Dark magic

4 octobre 2016 à 21:00

Après un pilote pas exactement excitant, The Magicians m’avait un peu découragée. Il faut dire qu’à la base, ce n’est pas exactement mon genre de prédilection. Mais il y a quelques semaines, après avoir vu passer un tweet un peu plus encourageant que les autres (soulignant un certain angle de la série), j’ai décidé de lui donner une seconde chance, et ai gloutonnement avalé la première saison en l’espace de quelques jours. Preuve s’il en est que s’il reste nécessaire de se faire une opinion sur un pilote, il est au moins aussi vital de se garder la possibilité de changer d’avis via des revisionnages ultérieurs.

Pourquoi avais-je initialement si vite tourné la page ? Parce que j’avais le sentiment que The Magicians, bien qu’ayant de bonnes idées, avait sur plusieurs points cédé à la facilité. Et puis, parce que, soyons honnêtes, la série semblait conçue pour plaire à ceux qui ont lu (et aimé) des franchises littéraires comme Harry Potter, et qui auraient grandi pour se trouver, à leur tour, dans l’étrange entre-deux du passage à l’âge adulte, quand on a encore envie de croire à la magie mais qu’il semble de plus en plus difficile de ne pas laisser la réalité nous gagner. Problème : je ne suis pas dans cette cible du tout. En fait je ne suis pas certaine d’y avoir jamais eu ma place, étant donné le peu d’intérêt que j’avais pour Buffy quand pourtant, elle s’adressait à ma génération.
Mais au second visionnage, il m’est apparu que c’était justement sur cela que reposait le génie de The Magicians. Bon alors, « génie » est peut-être un bien grand mot, mais ce qui lui permet de fonctionner est en tous cas son aptitude à utiliser le surnaturel comme matière à métaphores. Le rapport à la magie, dans The Magicians, n’est pas celui de la découverte merveilleuse qu’on fait les yeux brillants ; c’est au contraire une source sans cesse renouvelée d’inquiétude, et une enfilade de portes s’ouvrant sur des couloirs toujours plus terrifiants.

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Pendant sa première saison, The Magicians démontre ainsi que la magie, pour incroyable qu’elle soit, est un danger à de nombreux égards.

L’intrigue qui parvient le mieux à le décrire est celle de Julia, la jeune femme (et amie d’enfance du héros) qui avait abandonné ses rêves de magie en passant à l’âge adulte, mais qui, après avoir été convoquée à l’examen d’entrée de Brakebills, découvre que la magie existe bel et bien. Problème : elle est recalée, et sa mémoire est effacée ; mais la découverte révolutionnaire de l’existence de la magie la conduit à se taillader le bras pour peut-être avoir une chance de ne pas oublier. Le stratagème marche, pour aussi douloureux qu’il soit, or la douleur ne s’arrête pas à l’entaille au bras : Julia est désormais comme un ange déchu qui a goûté le Paradis mais se l’est vue interdire.
Comment surmonter cette déception ? Eh bien par tous les moyens, y compris les moins propres. The Magicians va chroniquer sa descente aux Enfers, utilisant l’attrait pour la magie aussi bien comme un révélateur de qui Julia est vraiment, comme un moyen pour elle de repousser ses limites pour le but qu’elle s’est découvert, comme une drogue, et finalement comme un outil de spiritualité lui permettant de chercher une forme de rédemption. Absolument chacun des paliers de la progression de Julia indique que la magie, lorsqu’elle entre dans la vie de quelqu’un d’aussi entier qu’elle, a un caractère destructeur ; elle va perdre tout le reste tandis qu’elle se consacre, corps et âme, à sa quête de magie et qu’elle imagine de nouvelles façons d’acquérir des sorts. En détaillant sa soif de connaissance hors de tout contexte lui permettant de l’épancher (outre le rejet de Brakebills, Julia va aussi découvrir que les simples mortels qui essaient d’apprendre la magie par leurs propres moyens ne sont guère une communauté accueillante), The Magicians explore des choses intéressantes, quand bien même la série n’a pas le temps de les détailler. C’est le plus gros travers de cette première saison, en fait : l’impression de rapidité qui empêche certains très bons ingrédients d’obtenir l’attention qu’ils méritent.

Le danger, bien-sûr, revêt d’autres visages. L’intrigue filée de cette première saison est l’irruption d’un étrange personnage, The Beast, qui provient apparemment d’un autre monde et s’est infiltré dans Brakebills pour y commettre atrocité après atrocité. Ce « méchant » de service n’a pas forcément vocation à être présent dans tous les épisodes, et c’est plus souvent la peur de The Beast, plus que ses actions, qui va motiver les personnages à prendre des décisions souvent aussi dangereuses, parfois même plus, qu’une rencontre avec l’épouvantable bonhomme.
De fait, l’intrigue autour de The Beast, si elle est loin d’être accessoire, a le mérite de révéler la magie comme un danger inhérent : ce qui est effrayant avec la magie, ce n’est pas seulement qui s’en sert, mais comment et pourquoi. La peur est mauvaise conseillère, et combinée à la précipitation, elle est pire encore. Les pensionnaire de Brakebills ne sont pas simplement inexpérimentés en termes de sorts (ils comptent, au contraire, quelques excellents éléments !), ils sont inexpérimentés en général ; ils ne sont pas toujours en mesure de prendre des décisions sensées, et le pire, c’est que les rares fois où ils sollicitent des adultes du corps administratif ou enseignant, ceux-ci n’ont pas toujours plus d’explications qu’eux. Dans The Magicians, la magie apparaît donc aussi comme un révélateur de maturité, et c’est finalement lorsqu’ils choisissent de ne pas y avoir recours que ses héros s’avèrent les plus avisés (sacré témoignage, en creux, du pouvoir d’attraction et de gangrène spirituelle de la magie).

Un angle forcément un peu plus interrogé par le cheminement de Quentin, le héros de la série (à son corps défendant et, très franchement, si ça ne tenait qu’à moi… ce ne serait pas lui le héros ; même la série est d’accord sur la fin de la saison).
Criblé de doutes quant à sa santé mentale, d’un manque de confiance maladif, et en même temps, parfaitement conscient de ces difficultés, cet Elliot Alderson du pauvre passe son temps tiraillé entre l’envie de s’épanouir enfin, dans un milieu dont il a toujours rêvé (via les livres Fillory and Further qu’il lit depuis l’adolescence), et la réalisation assez brutale qu’il n’existe pas grand’chose qui puisse le changer viscéralement. La magie devrait être la source de grandes joies, le rêve de toute une vie qui se réalise… mais il s’avère qu’en réalité, il ne sait pas qui il est simplement parce qu’il peut enfin réussir des sorts ; une grande partie de la saison l’interroge sur sa spécialisation, quelque chose qui déterminera quel type de magicien il sera. Mais, comme des millions d’autres personnages entrant à la fac, Quentin ne trouve pas sa voie.
Au lieu de lui laisser le temps de grandir, ce qu’il n’a jamais eu l’opportunité de faire, The Magicians passe au contraire son temps à le bousculer, en grande partie pour observer les effets des évènements sur son propre psychisme. Là encore, la série se sert de sorts comme d’outils pour questionner métaphoriquement toutes sortes de choses sur la folie, l’isolement, les anxiétés diverses. Et là encore ce serait vraiment idéal si la série avait quelques épisodes de plus pour creuser son sujet, mais il faudra se contenter de peu.
Ce qui à mon sens est le plus fort dans The Magicians, c’est que l’exploration du mal-être est intimement lié à l’ADN de la série. Pour preuve, le personnage d’Eliot, un jouisseur présenté comme totalement inconséquent dont la dépression, à mesure que les évènements progressent, va devenir omniprésente. Je me suis trouvée vraiment hypnotisée par la façon dont son ressenti s’infiltrait dans l’intrigue, dans les scènes des autres personnages, dans tout. Tout ça pour un personnage de soutien qui n’accomplira jamais grand’chose si ce n’est accompagner le lent basculement d’ambiance de la série. C’est assez précieux à observer car finalement, Eliot n’est pas dépressif pour servir l’intrigue, il est juste dépressif parce que c’est l’état dans lequel il est, là, maintenant. Et qu’il ne fait rien pour s’en extirper qui plus est, là où Quentin se débat lamentablement.

La valeur de Quentin pendant cette première saison, en fait, s’avère n’avoir pas grand’chose en rapport avec la magie, et tout avec sa capacité à retenir de façon obsessionnelle jusqu’au moindre détail de chacun des 5 livres de Fillory and Further. Décidément, c’est quand elle les prive de magie que The Magicians permet à ses personnages de révéler leur vraie nature…
Il faut admettre, quand bien même ces univers me parlent peu (je n’ai lu qu’un roman Harry Potter, et aucun des Chroniques de Narnia), que The Magicians fait un excellent travail de déconstruction de ce type d’oeuvres, de leur pouvoir sur leurs jeunes lecteurs a fortiori lorsqu’ils grandissent, et des complexités cachées qu’ils peuvent receler. Le monde merveilleux de Fillory and Further, Quentin va le découvrir, n’est en fait pas merveilleux du tout.
L’histoire est conçue par Christopher Plover, un auteur britannique (forcément britannique) qui dans l’entre deux guerres, écrit la saga Fillory and Further. L’univers littéraire n’est pas si imaginaire : il est basé sur un lieu qui existe réellement, Fillory, auquel les Chatwin, des enfants confiés à la garde de Plover, découvrent l’accès. Ce sont les aventures qu’ils racontent à Plover qui atterrissent dans les livres, mais progressivement, The Magicians lève le voile sur cette adorable fable littéraire pour en révéler les dessous vraiment pas très propres. L’auteur Christopher Plover n’est pas un gentil romancier, les Chatwin n’ont pas vécu une enfance idyllique entre l’Angleterre et Fillory, et même le monde de Fillory n’est pas si enchanteur, lorsque finalement les héros de The Magicians y posent les pieds. Message à peine voilé sur l’innocence perdue (celle des Chatwin aussi bien que celle de Quentin), la genèse de Fillory and Further fonctionne plutôt bien, mettant en garde les lecteurs de romans fantastiques contre leur propre faculté à aller chercher le merveilleux dans un imaginaire facilement souillé par le réel.

Il y a des choses qui fonctionnent donc vraiment dans cette première saison de The Magicians. C’est juste dommage qu’il y ait les autres : des intrigues bricolées à la va-vite sans réel intérêt, et souvent abandonnées aussi vite qu’elles ont été abordées (c’est le cas de plusieurs phénomènes sur le campus de Brakebills, dont le bizutage totalement vain vers la fin de la saison), de personnages totalement jetables alors que souvent intéressants (qui se trouvent soit kelleyrisés sans autre forme de procès, soit changés brutalement sans explication, hello Marina), des romances rendues insupportables par un certain nombre de clichés (The Magicians aimerait nous faire croire qu’elle est une série edgy parce qu’elle montre trois images d’un plan à trois, mais ruine tout en passant un épisode sur une querelle de couple), et quelques autres excès propres à des séries pour ados.
Cela ne fait pas de The Magicians un chef d’oeuvre, mais ça en fait une série suffisamment solide pour se laisser regarder. A condition d’avoir le moral bien accroché, s’entend. Ca tombe bien, elle démarre ce soir en France.

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Et pour ceux qui manquent cruellement de lecture…

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