Say you’ll be there

24 octobre 2016 à 23:02

Maltraitée lorsqu’elle était jeune, frappée plusieurs fois par la maladie, anxieuse au point de se faire du mal… je me suis souvent fait la réflexion, au long des années : combien le hasard a bien fait les choses. De toutes les petites bestioles avec lesquelles j’aurais pu rentrer chez moi ce 24 avril 2004, c’est Trixie qui a fait le trajet depuis le refuge jusqu’à la maison sur mes genoux.

A l’époque, Lord T et moi avions déjà Tomcat. Un chaton plein d’énergie, qui grandissait sous nos yeux depuis plusieurs mois, qu’on avait acheté en animalerie et qui était la caricature de l’animal de compagnie gâté-pourri. Mais j’espérais trouver un travail bientôt et laisser Tom à la maison, seul, toute la journée, me faisait de la peine. On est donc allés dans ce refuge, à quelques dizaines de kilomètres de chez nous, pour voir s’il était possible de lui trouver un compagnon. Le parcours de celle qui allait s’appeler Trixie, mais qui n’était encore qu’Ucal (« Ucal », really ?!), n’aurait pas pu être plus différent.
Née dans une ferme où on ne voulait pas d’elle et où sa portée était sur le point d’être noyée « à l’ancienne », amenée dans un refuge à quelques jours à peine, adoptée par une famille qui a fini par la martyriser (brûlures, coupures…), retournée au foyer où elle avait fini maltraitée par les autres chats… et tout ça avant un an, Ucal en avait déjà bien bavé. Mais quand la responsable du refuge nous a descendu son panier qui sentait si fort, nous a présenté cette petite chose sale et tremblante, quelque chose s’est produit ; j’ai approché ma main et, avant même de la sentir, elle a levé la tête, légèrement poussé sur le pattes arrière, et a passé son museau sous ma main. Quelques secondes plus tard nous faisions les papiers pour l’emmener. On s’était trouvées. Dans la voiture, au fond de son carton, elle ne se calmait que lorsque je lui parlais ; j’ai fait l’erreur de m’interrompre pour aider Lord T à rentrer, et pensant vraisemblablement que je l’avais oubliée, elle a passé une patte par un trou du carton et m’a fait don de trois cicatrices qui lui survivent. D’emblée il était clair qu’il ne fallait pas, qu’il ne faudrait jamais, priver cette boule de poils de l’attention dont elle avait désespérément besoin. Elle était tombée sur la bonne personne pour ça.

Après une toilette et un nouveau nom, Trixie commençait sa nouvelle vie. Or dans l’ancienne elle n’avait jamais pu apprendre grand’chose. Elle ne savait pas trop bien se servir d’une litière. Elle ne savait pas se laver. Elle ne savait pas rentrer les griffes. Elle ne savait pas miauler. Elle ne savait pas ronronner. Et pour tout le reste, elle était trop effrayée pour essayer de faire quelque chose avant que Tomcat ne l’ait devancée. Elle a passé les premiers temps planquée sous un meuble ou sous un autre.
Progressivement elle nous a rejoints, prudemment. Il ne fallait pas faire de gestes brusques, hausser la voix n’était pas tellement mieux, et elle était totalement dominée par Tom. Mais elle a fait son trou. Et elle a appris le reste. Tomcat, en fait, lui a appris, étrangement. De temps en temps il dormaient même à moins de 2 mètres d’écart. C’est dire si les choses s’amélioraient. Au bout de quelques années j’ai même commencé à entendre sa voix, d’abord timidement, puis au point de faire la conversation… Pour la litière par contre, ya toujours eu des hauts et des bas.
Il y avait UN point qu’il n’y avait pas besoin d’expliquer à Trixie : les câlins. Du jour où elle a compris qu’on lui en donnerait (il faut reconnaître que pour elle ce n’était pas acquis), ça ne s’est plus jamais arrêté. Elle a continué à pousser sur les pattes arrière pour se faire caresser, aussi : c’est devenu le premier « truc » qu’elle a appris sans Tomcat, et qu’elle pouvait faire sur commande. Elle pouvait faire la chose la plus importante au monde, si je l’appelais elle venait toujours. En fait, à partir d’un moment, je n’avais même plus besoin de dire son nom : le simple bruit de frottement entre le pouce et l’index servait de signal, et elle surgissait de sa planque, ou, plus tard, déboulait de l’autre bout de l’appartement, pour avoir ses câlins. C’est comme ça que son surnom est devenu « Peluche ». Parce que si on avait besoin d’une petite chose velue et pleine de tendresse, elle répondait toujours présente.

C’était si facile de voir en Trixie une part de moi-même. De voir cette petite créature qui avait vraiment tiré des cartes de merde, et qui se dépêtrait avec tout ce qu’elle ignorait pour quand même s’améliorer. C’était super inspirant de la voir apprendre, chaque année, de nouvelles choses, souvent en apparence bénignes, mais qui montraient qu’elle allait toujours vers le mieux. Elle qui n’aimait pas les mouvements rapides au début, elle a commencé à chasser mon pied sous les couvertures puis jouer avec des lasers ; elle n’aimait pas qu’on lui touche le ventre, et puis sur la fin elle se roulait sur le dos pour que je la gratouille mieux. Quelques semaines avant de mourir, elle m’a même fait la démonstration qu’il n’est jamais trop tard pour tenter des choses nouvelles : pour la première fois, elle m’a apporté un jouet au lit.

Il n’y a rien qui l’arrêtait. Même malade, quand elle a eu une leucémie, elle faisait passer les caresses avant le reste. Cette année-là, j’étais au chômage, sans allocation, et en sévère dépression. Je me rappelle du véto et de son pronostic pessimiste. Je me rappelle de ma mère me disant de faire piquer Trixie. Mais non. On a tenu bon. Et on s’en est sorties sur quasiment tous les fronts : on a battu sa leucémie mais pas ma dépression.
Elle aussi, elle avait le moral fragile, d’ailleurs. Quand on habitait près d’une voie ferrée, et que des trains de marchandises passaient la nuit, elle sursautait, même après des années. Quand on a eu la machine à laver, elle pleurait pendant l’essorage, qui la paniquait. Elle a commencé à s’arracher les poils du dos, puis du ventre et même des pattes, sur les dernières années, aussi (apparemment les chats très anxieux peuvent faire de l’alopécie, on en apprend toujours les jours).

Il y a presque trois ans, j’en ai fait une autre, de dépression. Costaude. Avec plein d’options en prime que je n’avais pas prises les fois précédentes. C’est là que Trixie a fait ce qu’elle savait faire le mieux : elle a appris une nouvelle façon d’améliorer les choses.
Je ne sais pas si elle avait compris que j’avais des insomnies (parfois pendant trois ou quatre jours), mais elle a commencé à venir me chercher à mon bureau, miauler en allant à la chambre pour me pousser à la suivre, à sauter sur le lit, s’installer près de la lampe de chevet à « sa » place (peut-être que c’était sa façon de croire en l’Ampoule après tout), et ronronner là en échangeant des « baisers » (qu’elle avait la gentillesse de faire comme je les aime : sans truffe mouillée ni léchages) jusqu’à ce que je me calme et que j’arrête de bouger.
Une fois qu’elle me pensait apaisée voire endormie, elle retournait au salon vivre sa vie. Souvent, le lendemain, je la sentais venir se lover contre mes côtes en attendant que je me réveille.
Elle prenait soin de moi, en tous cas j’aime à le penser.

Même quand la tumeur est apparue (prenant un peu tout le monde par surprise, du jour au lendemain) le 8 juillet dernier, elle a continué. C’est comme ça qu’elle a fini : en venant faire un ultime câlin avec moi sur le lit, près de sa chère lampe de chevet. Punaise, cette bestiole.

Ce sont les choses auxquelles je veux penser maintenant qu’elle a rejoint l’Ampoule, et qu’il ne reste plus que Tomcat et moi. Tomcat qui a ses qualités et ses défauts, mais il aura droit à sa propre épitaphe en temps et en heure.

C’est idiot comme on s’attache à des bestioles dont on sait très bien qu’elles partiront en premier. Depuis sa leucémie, il n’y a pas eu un jour pendant lequel je n’aie pas pensé à la mort. A la trouver morte un matin en me levant, ou en rentrant du boulot (ça me le fait aussi avec Tomcat depuis ses ennuis au foie, la même année). Dix ans à vivre comme ça : pas idéal. Mais, étrangement, pas vraiment un système fiable pour se préparer à l’inévitable. Visiblement même en se préparant pendant 10 ans, on ne peut pas être prêt.
J’espère que je vais réussir à oublier sa douleur sur les derniers moments. La culpabilité d’avoir, peut-être, trop attendu (mais elle allait si bien quelques heures plus tôt !). Que je vais réussir à dormir à nouveau dans le lit où elle est partie, éclairée par sa lampe de chevet. Peut-être pas ce soir cela dit. Peut-être pas demain.

Je pense sincèrement qu’il y aurait pu exister une meilleure humaine pour Trixie. Une humaine avec plus d’argent, qui lui apporte de meilleurs soins ou un départ plus confortable, pour commencer. Mais je n’aurais pas pu rêver meilleure chatonne que Trixie, qui a dédié son existence à rendre la vie (la sienne, la mienne, et même celle de Tom parfois) plus agréable.

Un compte à rebours s’arrête, l’autre continue.

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