I moan, you moan, we all moan for Moana

23 novembre 2016 à 20:00

Ben, quoi ? Tout le monde parle de Moana aujourd’hui, alors pourquoi pas moi ! Vous dites ? J’ai confondu le film d’animation de Disney Moana sur une petite fille polynésienne… avec la mini-série italienne Moana sur une star du porno !? C’est vraiment trop stupide comme erreur d’inattention. Plus qu’à annuler ma review alors.
Non ? Vous insistez pour que j’en parle ? …Ok, c’est vous le lectorat.

Plaisanterie à part, vous avez raison de vouloir causer de Moana : vous allez en avoir pour votre argent. Cette série de SKY Cinema fait bel et bien tout ce qui est en son pouvoir pour se rendre agréable à regarder.
…Un euphémisme qui signifie qu’en décidant de raconter la vie de l’actrice Moana Pozzi, la mini-série est dans une esthétisation constante de son sujet, et de l’univers dans lequel la jeune femme évolue. Cela implique pas mal d’objectification, comme on pouvait plus ou moins s’y attendre hélas, mais aussi une propension à se prendre régulièrement pour un clip de MTV, avec des passages musicaux appuyés, des ralentis hypnotiques, bref, la totale. Le message est clair : on est ici pour passer un bon moment, et on n’attend pas des spectateurs de Moana qu’ils soient venus chercher grand’chose de plus. Ils seraient déçus.

Du début à la fin, Moana est une mini-série prévue pour vendre du rêve, et à l’occasion un peu de mélodrame. C’est tout. Fascinée par son sujet (incarné par l’actrice Violante Placido, laquelle est filmée sous toutes les coutures avec une forme de révérence déifiante), la mini-série s’embarrasse peu de nuances, ce qui est d’autant plus dommage que, si vous avez jeté ne serait-ce qu’un œil à la biographie de Moana Pozzi, celle-ci a eu une existence passionnante et complexe. Dans un univers parallèle, il serait possible, avec juste un peu d’effort, de tirer quelque chose de substantiel de ce parcours, si Moana ne persistait dans une doucereuse superficialité.

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Pour vous donner une idée, laissez-moi vous parler un peu de la façon dont commence la série.
Anna Moana Rosa Pozzi (Moana est donc son véritable nom… même si c’est son second) est née en province, où elle grandit dans une famille où sa féminité n’est pour le moins pas très appréciée ; Moana met un point d’honneur à insister d’emblée sur la façon dont, à peine adolescente, elle est fustigée par ses propres parents pour danser en public sur une plage. Son père, de toute façon, pense qu’elle ne fera jamais rien de sa vie.
La prédiction semble se réaliser lorsque, après avoir quitté le « cocon » familial et un fast forward de plusieurs années, Anna tente sa chance à la capitale, où elle tente de percer en tant qu’actrice. Elle découvre pourtant, au fil des auditions ratées, qu’elle a de la personnalité (une belle paire de personnalités, lui feront remarquer plus ou moins finement les hommes qu’elle croisera), mais pas vraiment de talent pour jouer. Vu que la jeune femme est du genre à déclamer du Shakespeare lors d’une audition pour une publicité, la déception est un peu rude…
Là où Moana s’épanche, pendant sa phase d’exposition, sur la difficulté de ses relations familiales ou ses déboires professionnels, en revanche, peu de cas est fait de son rapport à la sexualité. La série nous présente la jeune femme comme déjà assurée, bien qu’un peu naïve. En fait, elle rencontre rapidement un beau prétendant, Adrian, et au bout de seulement 11 minutes de son premier épisode, nous propose sa première scène de sexe (plutôt soft d’ailleurs). Mais pour le moment, tout cela reste dans le cadre privé… je dis bien pour le moment, car c’est justement Adrian qui commence à lui proposer d’épicer un peu leur vie sexuelle, et lui confesse s’intéresser au cinéma érotique. Ni une ni deux, la mini-série n’a pas de temps à perdre : après à peine une conversation avec le bellâtre, voilà la jeune femme qui accepte de tourner son premier film coquin. Elle n’a qu’une condition (souvenez-vous, elle est encore naïve) : ne tourner de scènes qu’avec Adrian.
Ce premier tournage, pour lequel elle utilise le prénom d’emprunt Linda, se déroule magnifiquement, à un tel point que tous sur le plateau sont subjugués par sa beauté et son érotisme. Paraît-il.

Non parce qu’à ce stade je vous dois une confession : outre le fait que l’érotisme de Moana est du genre à créer un sentiment de supériorité chez les films coquins de M6 du dimanche soir (…s’ils existent toujours ; pardon je suis vieille), sa protagoniste centrale n’inspire pas vraiment au spectateur ce que tous les hommes de la série semblent voir en elle. Elle est jolie, naturellement, mais au-delà de ça… la question se pose, franchement. C’est d’ailleurs le problème de cette sublimation constante dont je parlais plus tôt : à force de voir une créature quasiment surnaturelle chaque fois que l’héroïne esquisse un sourire, la série anesthésie son public. Il n’y a franchement pas de quoi entrer en transe quand on voit les débuts de Linda, et à vrai dire, la proposition initiale d’Adrian, qui se comporte comme si sa compagne était chaude comme la braise, surprend quelque peu.
Que se passe-t-il donc dans ce vagin magique pour qu’Adrian, puis l’équipe de ce premier film, soient à ce point envoûtés ? On ne le saura pas. Or, si le reste de la série se passera plus ou moins bien de cette démonstration, c’est vraiment au moment de la découverte des talents cachés d’Anna qu’il aurait fallu nous mettre dans la confidence.
Mais bon, pour avoir vu l’intégrale de la mini-série, je vous confirme qu’on se fait à cet érotisme de Schrödinger, et qu’on finit par faire mine d’opiner poliment, pourvu d’avancer dans le biopic.

Sur le tournage, le photographe Riccardo Schicchi repère Anna/Linda, et décide de lui proposer de rejoindre « Diva Futura », un projet de magazine érotique dans lequel elle décide d’accepter de s’engager, cette fois sous le nom de Moana. Même si en parallèle, le succès de son tout premier film érotique lui vaut d’être reniée par ses parents (sa jeune sœur Mina étant son dernier lien avec sa famille), et si Adrian la trompe avec une autre femme à laquelle il semble avoir promis monts et merveilles aussi, au moins la carrière de la jeune femme semble enfin s’envoler. D’ailleurs ce premier rôle sous le nom de Linda lui vaut de gagner un prix, qui lui permet donc d’être invitée comme caution sexy à certains évènements.
C’est ainsi, suite à un autre fast forward qui se produit sans vraiment prévenir (et ils seront encore nombreux), qu’elle rencontre un type qui se surnomme « il Duca » (le Duc), Marco de son vrai nom. L’idylle semble parfaite : il est riche, elle est belle, ils sont jeunes… sauf que le Duc Marco est avant tout un homme trempant dans de sombres magouilles, et qu’il est abattu un soir. Tragédie, ralentis, musique triste. Suite à cette tragédie, Riccardo décide d’introduire Moana à une certaine Ilona, qui pose également pour le magazine avec une image de femme-enfant. Ensemble, ils transforment le projet Diva Futura en une agence de talents érotiques, et montent un spectacle spécialement imaginé pour mêler la sensualité, l’art, et l’anti-conformisme. Pour les trois amis, Diva Futura va réveiller l’Italie et démarrer une nouvelle révolution sexuelle !

C’est là un autre problème récurrent de Moana : la mini-série a plus ou moins perçu des phases dans la vie de l’actrice, mais n’entre pas toujours dans le détail. C’est ce qui cause à la fois cette succession de cartes postales romanesques légèrement sexy, et cette impression de n’avoir jamais accès à des pensées et émotions de sa propre héroïne. On aimerait parfois passer un peu plus de temps sur un drame (Moana était bien partie pour épouser le Duc, on devrait avoir droit à un peu plus que 2 minutes pour la voir se remettre de sa mort) ou sur une décision. Que certains choix aient été pris avec une certaine innocence, voire spontanément, d’accord, mais tous ? Moana est trop intéressée par le mélodrame pour vraiment explorer ces questions, et en soi ce serait un choix comme un autre s’il ne donnait pas aussi un arrière-goût de stéréotype sur les travailleuses du sexe comme l’actrice Moana Pozzi, une jolie tête, qui semblait bien remplie (la suite de sa biographie l’indique en tous cas), mais dont on se contente de regarder les expressions tantôt heureuses, tantôt tristes, tantôt aguicheuses, décoratives et vaguement émouvantes en somme… sans s’intéresser à ce qui se déroule dans l’intimité de son âme. A la longue, c’est un peu gênant à la longue ; les scènes consacrées au Duc sont certainement les plus criantes à cet égard.
La présence-même d’Ilona, qui n’est nulle autre que la Cicciolina (figure importante du cinéma porno italien, rappelons-le), est plus utilisée comme une forme d’argument d’autorité, que comme une réelle relation interpersonnelle pour l’héroïne de la mini-série. Alors qu’il s’agit de l’un des rares personnages féminins de l’entourage de Moana, elle fait ici figure de guest, ou parfois de vague enjeu secondaire (Ilona est jalouse de ce qui pourrait potentiellement se passer entre Riccardo, son compagnon, et Moana… su. per.). Là encore la série pourrait se saisir de ce qu’elle a entre les mains pour construire de belles choses, ne serait-ce que des dialogues sur le travail de porn star par exemple, ou la construction d’une image puisque Ilona comme Moana ont savamment créé des personnalités publiques, mais encore une fois Moana se contente de rester à la surface des choses. Ce qu’on aura de plus approchant sera, plus tard, la rencontre entre notre héroïne et un juge, qui donnera lieu à un bel échange, mais c’est bien tout.

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Et pourtant, il y aurait matière. Entre son envie brûlante de faire de la télévision (qui deviendra, à mesure que l’accès à la télévision lui sera interdit à cause de son image sulfureuse, un leitmotiv douloureux), son engagement politique notamment sur les questions de liberté et d’éducation sexuelles (il aurait été intéressant de l’étudier face au modèle posé par la Cicciolina avant elle), son désir d’être maîtresse de sa carrière et parfois même de la fuir pour faire des choses plus « sérieuses » (puis, plus tard, d’en protéger Mina), le besoin d’exister dans des relations où son statut de porn star posait toutes sortes de questions (un cliché du travail du sexe vu dans la fiction, mais même s’il est simpliste, Moana n’a pas vraiment envie de l’interroger plus que ça)… Je ne veux pas tout vous raconter, en fait, puisque vous dévoiler la suite de la biographie de Moana Pozzi, c’est précisément vous détailler toute la série par le menu.
Sans même aller jusqu’à poser des questions existentielles à un niveau général (le porno est-il une industrie comme une autre ? comment concilier vie amoureuse et vie professionnelle quand on est travailleuse du sexe ? comment vieillit-on dans le porno ?), Moana n’a envie de se poser aucune question à propos de l’individu Moana. C’est très dommage.

Il y aurait sans nul doute eu long à dire d’Anna Moana Rosa Pozzi. Mais bien que se rêvant biopic, Moana finit par n’être qu’une simple suite d’étapes déjà connues du public, une collection de gros titres servant de fil conducteur au scénario, une mise en images romantisées de la fiche Wikipedia…
Du coup, la mini-série se regarde avec légèreté (pour moi c’était cet été pendant que j’étais alitée à cause de mon genou, par exemple ; oui cette publication a été programmée à l’avance, sue me) mais ne fait pas ressentir grand’chose, et incite encore moins à la réflexion sur ce que cela a pu représenter que d’être Moana. J’avais souvent l’impression d’assister à un hommage d’hommes ayant vécu autrefois leurs émois de jeunes adultes devant les films de Moana Pozzi, et qui avaient l’opportunité de retranscrire leurs sentiments vis-à-vis de la porn star quelques décennies plus tard ; c’est-à-dire une vision idéalisée, dénuée de toute approche réellement dramatique, dans le seul but de faire perdurer la légende. C’est clairement ce que je retiens de la scène finale de la mini-série, peut-être à tort, peut-être par excès de cynisme.
J’aurais vraiment voulu vous dire que Moana, l’un des rares biopics féminins, et encore plus rare, l’un des rares biopics sur une travailleuse du sexe, s’est saisi de l’opportunité de faire quelque chose d’unique.

Ce qui est certain, c’est que la série est accessible. Et par là j’entends à la fois que Moana est calibrée pour plaire au plus grand nombre… mais aussi qu’elle est sortie en DVD avec des sous-titres anglais. Dans le fond, tomber amoureux de Moana Pozzi (par l’entremise de Violante Placido) est déjà une jolie expérience en soi, bien qu’elle ne m’ait pas semblé suffisante personnellement. Mais ce n’est que moi !
Si vous avez envie de tenter l’aventure, il est donc très possible que vous tombiez sous le charme de cette mini-série plus que je ne l’ai fait, et que vous l’applaudissiez à deux mains. Ou moins.

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Et pour ceux qui manquent cruellement de lecture…

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