Les malaises barbares

15 décembre 2016 à 18:39

On parle trop peu souvent de comédies scandinaves, mais cela ne veut pas dire qu’elles sont inexistantes. C’est juste qu’elles ne voyagent pas. Et pourtant on y découvre parfois des trésors, pour peu de faire l’effort de se pencher sur elles : c’est ce que j’ai fait avec Vikingane, une comédie norvégienne diffusée un peu plus tôt cet automne par NRK, et dont, je vous le dis tout net, je suis déjà fan.
L’histoire se déroule dans un petit village viking, et démarre lorsqu’un groupe de soldats revient au bercail après une campagne victorieuse. Dans leur bateau, les guerriers rapportent des richesses ramenées d’Europe, ainsi que des esclaves capturés sur place ; certains ont hâte de rentrer après tout ce temps passé au loin, d’autres se demandent un peu comment reprendre le quotidien du village, pas si excitant que ça, voire déprimant. C’est le cas d’Arvid, un guerrier sans la moindre possession qui retourne au pays avec zéro perspective d’avenir et se pose des questions existentielles. Pendant ce temps, en l’absence de leur chef Olav, qui conduisait ses troupes, les villageois étaient dirigés par Orm, pas vraiment un type charismatique (d’ailleurs même Hildur, l’épouse d’Olav, est plus autoritaire que lui… y compris sur lui). Frøya, l’épouse d’Orm, fait d’ailleurs partie des guerriers qui trainent un peu des pieds pour rentrer. Et puis, il y a un petit soucis : avec le retour des troupes, la nourriture va commencer un peu à manquer…

Il est tentant d’essayer de dresser des comparaisons entre Vikingane et Kaamelott, ne serait-ce que parce que les personnages et pas mal de dialogues sont écrits de façon assez moderne, presque anachronique. Ce serait dommage de s’arrêter là, tout de même.
Déjà, niveau réalisation, Vikingane en met plein la vue à Kaamelott livre VI ; la série n’est pas seulement une comédie en single camera : c’est une comédie tournée dans les conditions d’un drama. Vous me regarderez ces falaises en début d’épisode, et vous me direz si vous arrivez encore à penser à Kaamelott ! Cette ambiance magnifique (la musique y met aussi du sien) est un contrepied total au genre humoristique dans lequel la série donne ouvertement par ailleurs.
Mais surtout, ce qu’essaye d’accomplir Vikingane est très différent. Ici pas question de parler de politique de l’époque, par exemple, d’essayer même de faire un tant soit peu dans l’historique. Les vikings de la série sont des personnages de leur époque, ni plus ni moins. Le contexte tend là encore à créer un contraste avec le type d’humour choisi, et de suivre les personnages pendant qu’ils se dépêtrent entre eux. La façon dont ils le font, en revanche, donne toute sa saveur à Vikingane.

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L’humour de Vikingane, c’est en effet une façon d’ajouter des dialogues assez longs soulignant la maladresse d’un ou plusieurs personnages, et de les étirer par l’absurde.
La série m’a un peu rappelé certains ressorts comiques de la franchise Yuusha Yoshihiko, en particulier dans les scènes que je préfère : celles pendant lesquelles les héros discutent avec Bouddha. Pour ceux qui n’ont toujours pas jeté un œil à cette comédie nippone, ne vous en faites pas, je vais expliquer ! Chaque conversation semble commencer de façon solennelle, et porte sur un détail, avant de s’enfoncer dans une série d’échanges embarrassés ; ça dure plusieurs minutes parce que les personnages ne se comprennent pas et/ou n’osent pas se dire franchement les choses, et il y a quelque chose de profondément moderne dans ce type d’échange, surtout dans une série historique (ou de fantasy, dans le cas de Yuusha Yoshihiko). Ce sont des dialogues qu’on s’attend plutôt à voir dans des séries contemporaines bavardes, typiquement le truc qu’une série comme Girls ferait sans qu’on soit entièrement sûr qu’il y ait du second degré. Un grand moment de malaise entre deux personnages qui se parlent abondamment mais ne communiquent pas, masquent leurs véritables émotions y compris souvent à eux-mêmes, s’enfoncent dans le malentendu, et tentent laborieusement de préserver une façade qui s’est pourtant effondrée plusieurs minutes plus tôt.
Étrangement, moi qui suis si sensible à l’embarras de seconde main, je n’ai absolument aucun type de problème avec cet humour ; peut-être parce que la gêne ressentie ne passe pas systématiquement par l’humiliation (même si cela peut se produire). On y décrit plutôt des relations interpersonnelles totalement foireuses, et sur moi ça marche ! Ça, j’arrive plus facilement à en rire, que lorsqu’il s’agit uniquement de se moquer d’un personnage pathétique. D’ailleurs la formule fonctionne d’autant mieux ici qu’on est devant un vrai ensemble show où tous les personnages ont le potentiel de se sentir mal à l’aise : Orm quand il essaye d’exister au yeux des guerriers qui reviennent au pays, le guerrier Arvid qui balbutie péniblement alors qu’il essaie de provoquer quelqu’un en duel, l’homme qu’il a provoqué qui essaie péniblement de n’avoir pas l’air d’avoir la frousse devant sa femme, et ainsi de suite. Dans ces scènes de surcommunication, où chacun essaie de préciser sa pensée diplomatiquement et ne parvient qu’à s’enliser, je vois quelque chose de profondément drôle, parce que péniblement authentique. Le fait que l’archétype de la grosse brute (la réputation du viking n’est plus à faire) soit systématiquement au centre de ces échanges malaisants dans Vikingane constitue une cerise sur le gâteau.

Le résultat c’est que Vikingane est tout-à-fait mon genre d’humour. Du coup, ce dernier a aussi l’avantage d’être accessible : la drôlerie fonctionne essentiellement parce qu’on lit les expressions affolées des personnages et qu’on voit se prolonger la conversation, mais ne repose pas sur des jeux de mots ou des répliques foudroyantes (…au contraire). Un humour qui passe donc très bien auprès d’un public non-norvégien ! Alors certes, on trouve quelques références à la culture viking dans ce premier épisode, et c’est normal ; mais l’humour ne repose pas dessus. Et pour qu’une comédie voyage, c’est absolument précieux ! Pour le reste, on trouve aussi quelques gags visuels (de bon goût variable, je l’admets), un peu de violence (Vikingane semble parfois lorgner vers la parodie de séries historiques et/ou de fantasy qui lui ressemblent un peu esthétiquement, oui je pense à Game of Thrones), et quelques autres petites choses que vous apprécierez selon vos préférences. Mais l’essentiel se tient là.

Vikingane peut apparaître, sous un certain angle, comme un peu cliché, mais vous serez peut-être étonnés d’apprendre qu’il s’agit en fait de la toute première comédie norvégienne sur le sujet (et côté cinéma, le dernier film norvégien à vouloir se moquer des vikings remonte à 1983…). Même en Suède, je n’ai connaissance que de la regrettable existence de Hem Till Midgård, d’ailleurs.
Du coup c’est vraiment chouette d’avoir pu jeter un œil à Vikingane, et j’espère qu’elle réussira à se faire sa place dans un festival ou un autre. On sait pas, avec ses qualités esthétiques, on la prendra peut-être pour une série dramatique ? Sur un malentendu…

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Et pour ceux qui manquent cruellement de lecture…

3 commentaires

  1. Agathe dit :

    Bonjour,
    Sur quoi as tu regardé la série ? Car j’ai cherché mais ne les trouve pas avec des sous titres.
    Merci d’avance !

  2. mabo dit :

    Ah ben j’y jetterai un coup d’oeil si j’arrive à trouver ça ^^

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