Demon Head

16 décembre 2016 à 12:00

Lancée il y a deux mois outre-Manche, la série britannique Crazyhead fait son apparition aujourd’hui sur Netflix, et c’est donc un peu maintenant ou jamais que je me botte le train et vous touche trois mots de son premier épisode.
A la base je n’avais pas prévu de le faire, je le confesse, étant donné pour tout sympathique que m’ait été cet épisode, je ne l’ai pas non plus trouvé fracassant. La première chose à savoir de Crazyhead est en effet que la dramédie fantastique connaît ses classiques, au point bien souvent d’avoir du mal à prendre ses distances avec son héritage (dont Buffy) pendant cet épisode introductif.

L’histoire est celle d’Amy, une jeune femme un peu fragile qui passe les dernières étapes qui lui permettront de mettre fin au parcours de soin qui a été le sien jusque récemment. Après un suivi psychiatrique soutenu (et un traitement médicamenteux à l’avenant), Amy est en effet renvoyée à la vie civile dans l’espoir de commencer une existence « normale »… la normalité étant évidemment relative lorsqu’on sort d’une période aussi sensible.
Mais peu de temps après son retour au bercail, la voilà à nouveau sujette, un soir, aux hallucinations qu’elle connaît bien ; ces hallucinations se manifestent sur un parking isolé, en pleine nuit, alors qu’elle voit le visage d’un homme se transformer horriblement. Tout recommence ! Mais ce soir-là, sur ce même parking, une autre jeune femme est présente : Raquel, qui très vite révèle à Amy qu’elle voit la même chose. Ces visages ne seraient, selon Raquel, pas des hallucinations, mais la manifestation de démons que seule une poignée d’élus peuvent voir sous leur vrai jour. Amy et Raquel seraient selon cette théorie deux de ces élus ! Et maintenant qu’Amy a été repérée par des démons, son existence va changer à jamais…

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Crazyhead est loin d’être la première série fantastique à mêler aventures surnaturelles et questionnements sur la santé mentale. Sans même aller jusqu’à évoquer des cas particuliers tels que des épisodes de Buffy, Charmed, Smallville ou (plus près de nous) The Magicians, la question de la santé mentale est souvent essentielle pour établir le réalisme d’une situation fantastique : admettre d’emblée que les démons existent comme si c’était la chose la plus naturelle au monde n’est pas, justement, « normal ». Alors qu’être convaincu par divers membres de l’entourage (famille, amis, professionnels…) que ces visages démoniaques sont des hallucinations est, précisément, « normal ». Ce n’est qu’à la condition que le héros, ou ici l’héroïne, découvre ne pas vivre selon les mêmes règles que le commun des mortels que le fantastique peut trouver sa place dans l’univers de la série. Le réflexe de se dire « je dois être complètement folle, je vois des démons » est un outil important dans un épisode d’exposition, et la possibilité doit être écartée pour fonctionner ; ici Crazyhead choisit simplement d’aller plus loin que ce pré-requis, et d’en faire un objet à part entière du passé de son héroïne. Cela lui permet de rejoindre les rangs toujours plus nombreux ces derniers temps de séries de la planète se penchant sur la santé mentale.
Cependant, à cet élément s’en ajoute un autre : vous aurez observé qu’une grande partie des séries que je viens de citer sont des fictions surnaturelles principalement adressées à des adolescents ou jeunes adultes. C’est là l’autre intérêt de se pencher sur les questions de santé mentale dans une série de ce type : la métaphore des démons est ainsi étendue. La « normalité » est une problématique importante pour beaucoup de fictions adolescentes, parce qu’elle répond à des interrogations de ses spectateurs ; cette « normalité » permet de définir sa place dans la société, en particulier dans un contexte comme celui du collège/lycée où la « norme » est une notion très présente, et renforcée par le peer pressure.

Que Crazyhead fasse donc le choix de questionner la « normalité » par le biais de la santé mentale, comme plusieurs autres séries fantastiques ou non essentiellement destinées à un jeune public (de façon passagère ou constante), est donc assez cohérent. Mais là où ce premier épisode peine un peu à s’imposer, c’est dans sa façon d’aborder le sujet. Crazyhead a évidemment tout le temps du monde de délayer à partir de ces premiers coups de pinceau, mais pour le moment on reste en surface sans vraiment tenir de discours sur la question (la scène la plus importante à mes yeux sur le sujet ne concernant même pas Amy, mais Raquel lors d’un échange avec son frère très bienveillant).
En fait, sur le fond, Crazyhead galère un peu pour nous donner dans cet épisode introductif quoi que ce soit de très consistant. En-dehors de son humour (il est vrai extrêmement bien servi par ses deux héroïnes principales, et notamment Raquel qui est une lumière dans la nuit à certains moments), l’épisode est par exemple bien incapable de nous dévoiler des éléments mythologiques sur les démons, qui permettraient de se figurer un peu à quel type de danger les protagonistes ont affaire.

On nous en dit si peu qu’à la fin de l’épisode, on a surtout l’impression de signer pour une immense course-poursuite de 6 épisodes, sans autre objectif pour Amy et Raquel qu’échapper à de vilains démons leur voulant du mal. Elles ne semblent pas avoir d’objectif en propre si ce n’est… rester en vie ? On ne peut même pas dire que préserver leur équilibre mental soit un problème, puisque le simple fait que leurs hallucinations n’en soient pas élimine cette problématique… à moins éventuellement que Crazyhead ne veuille réinstaurer le doute à ce sujet, pourtant balayé dans ce premier épisode ? On ne sait pas trop ce qui va se dire, en fait ; on sait juste que cela va être dit de façon drôle, et probablement en essayant d’échapper à des monstres.

Naturellement je peux me tromper : c’est tout le principe d’une review de premier épisode, à la fois son intérêt et le défaut de sa nature. Mais regarder l’épisode introductif d’une série, c’est aussi, un peu, quand même, se poser ce type de questions : si je continue la série, dans quoi suis-je en train de m’engager ? S’agit-il de thèmes qui me parlent et ai-je l’impression qu’ils seront explorés, ou ne servent-ils que de window dressing à une aventure loufoque sans grande profondeur ? Suis-je partante pour une aventure loufoque sans grande profondeur, d’ailleurs ? Après tout, pourquoi pas ! Il me semble nécessaire de le décider au terme du premier épisode, sans quoi le reste de la série peut vite devenir une plaie plutôt qu’un plaisir. Ces décisions ne se prennent pas forcément de façon consciente, mais pour ma part je trouve que cela participe au plaisir de découvrir une série que d’essayer de se demander ce qu’elle tente de faire, comment, et vers quoi elle tend. Et si ça m’attire !
Une confession : j’ai vu le premier épisode de Crazyhead, j’ai préparé ma review en avance, et j’ai depuis décider de continuer à regarder la série. Ya pas de mal à se faire du bien, et Raquel est un personnage qui personnellement me fait du bien de par son oscillation entre le drôle et le touchant. A l’heure où vous lisez cette review préprogrammée, j’ai donc, ça se trouve, fini la série ! On n’est pas obligés de ne regarder que des séries qui se prennent au sérieux, voire même qui prennent leur sujet au sérieux. C’est d’autant plus vrai devant une comédie, même si dans le fond rien n’interdit non plus à une comédie de s’attacher à explorer un sujet dans ses moindres nuances.

Mais je trouve tout de même dommage que dans un panorama télévisuel où on s’intéresse et on s’interroge de plus en plus sur la santé mentale, Crazyhead semble survoler cette question. Au profit d’aucune autre soulevée par elle, d’ailleurs. Il m’a semblé qu’elle tenait pour acquis beaucoup de choses pourtant au centre de son intrigue, voire de son identité, et je soupçonne que cette position soit due en grande partie au fait que Crazyhead connaît ses classiques… et part du principe que ses spectateurs aussi. A partir de là, Crazyhead n’est pas une mauvaise série, loin s’en faut, mais je la vois mal prétendre au statut (et à la postérité) des fictions fantastiques dont elle s’inspire ouvertement…

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Et pour ceux qui manquent cruellement de lecture…

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