Where is your God now ?

31 décembre 2016 à 17:08

Il existe trois grands types de séries touchant à la religion. Certaines préfèrent parler de spiritualité, parfois au sens très large ; entre autres choses, le doute y est permis, et la critique des institutions peut parfois s’y montrer virulente bien qu’elle ne soit pas automatique. D’autres décident de reprendre des faits historiques (ou considérés tels dans les textes sacrés) pour les mettre en images soit de façon idéalisée comme tant de biopics produits par Lux Vide, soit pour prendre conscience du contexte réel dans lequel ils ont eu lieu. C’est typiquement le cas de The Tudors, et dans ce cas-là la religion, pour des raisons historiques évidentes, se mêle aisément de politique. Enfin, un troisième type, souvent plus léger et donc plus grand public, correspond aux séries qui souhaitent avant tout rappeler le spectateur à sa foi, à travers des intrigues idéologiquement teintées (beaucoup de ces dernières sont inregardables pour des non-croyants).
Plus rares sont celles qui n’appartiennent à aucun de ces groupes ; The Young Pope semble, étrangement, flotter au-delà des classifications. Regarder le premier épisode de The Young Pope, c’est bien-sûr être frappé par sa réalisation recherchée et légèrement décalée, par la performance de Jude Law, ou par le luxe de détails par lesquels la série dépeint la vie à l’intérieur des murs du Vatican. Mais c’est aussi se trouver un peu démuni face à ce que la série essaye réellement de raconter, tant elle échappe aux standards du genre.

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Dans The Young Pope, nous sommes invités à suivre Pius XIII, un jeune Pape quarantenaire qui vient à peine d’être choisi pour prendre la relève de son successeur. C’est en fait tellement récent qu’il n’a même pas encore fait son discours inaugural devant les croyants sur la place Saint-Pierre (pas faute d’être habité, jusque dans ses rêves, par cette perspective).
Élu pour des raisons essentielles de photogénie, il est supposé être malléable et ne pas gêner les ambitions des autres prélats plus expérimentés de l’Église ; avec un peu de chance on le convaincra facilement de se taper les déplacements aux quatre coins de la planète en laissant à ses aînés le soin de décider des orientations de fond.

Dans les heures qui suivent sa nomination, Pius XIII s’installe : il fait venir la nonne qui l’a éduqué dans un orphelinat, qu’il élève au rang d’assistante personnelle ; il dicte ses instructions à son entourage, aussi bien en ce qui concerne son quotidien le plus trivial que pour ce qui est de ses intentions quant à son poste ; et surtout il donne le ton auprès de son entourage direct en démontrant qu’il n’a aucune envie de se cantonner à un rôle de représentation, loin de là… et qui quiconque en doute va devoir sérieusement surveiller ses arrières. Une situation qui n’est pas sans rappeler celle d’un Président voulant installer son gouvernement après une élection, plus intéressé par la façon dont il donne le ton pour son mandat, que par les décisions qu’il prendra.

Dans une introduction à la fois pleine d’élégance visuelle, et assez brutale thématiquement, The Young Pope parvient étrangement à interroger les positions que tient son personnage éponyme en matière de spiritualité, tout en réaffirmant une foi intransigeante en l’institution ; à faire de la politique sans n’être que vaine politique politicienne faite de manigances ; et même, à revenir sur les choix idéologiques de l’Église catholique sans vraiment les remettre en question.
L’irrévérence de The Young Pope n’est qu’une façade : chaque fois que son personnage semble adopter une attitude contrastant avec les traditions de l’endroit, c’est toujours pour renforcer quelques instants plus tard sa croyance inébranlable en une institution inflexible. Pius XIII est jeune, et très au fait des tensions qui agitent les Catholiques de par le monde (voire jusque dans ses rangs) autour de questions modernes ; mais il est, avant tout, un rigoriste qui applique à lui-même, et semble bien parti pour appliquer à tous ceux qui l’entourent, des règles spirituelles ne laissant aucune place aux errements. L’imagerie religieuse de la série, omniprésente de fait mais aussi par choix de réalisation un rien surréaliste, semble donner dans la surenchère comme si elle n’attendait que d’être renversée ou pervertie par un Pape iconoclaste par la suite, mais rien n’est moins sûr.
Dans tout cela, The Young Pope met en scène un étrange Pape qui veut tout changer, mais pas pour tout moderniser. Juste pour renforcer l’existant, voire revenir aux sources.

The Young Pope est une série moderne sur un conservateur un rien terrifiant. Dans ce premier épisode, nous assistons à l’arrivée sur son trône de ce qui est sûrement l’un des derniers grands rois du monde, avec toute la panoplie : régnant sur un milliard d’âmes, vivant dans un palais somptueux, ayant la capacité de torturer mentalement quiconque ne sert pas ses intérêts, et dont le bon vouloir décide de la vie de tous, ou presque. Ne pas se plier à son désir, c’est courir des risques dont les menaces sont proférées de façon à peine voilées dans cette introduction. The Young Pope m’a glacé le sang, voilà la vérité ; mais je lui reconnais une capacité incroyable à n’être pas qu’une question d’ambition personnelle ou une critique cynique d’une institution pervertie par ses luttes intestines, et c’est absolument unique dans le panorama de la fiction touchant au religieux.

Cette année encore, la fiction italienne n’a fait parler d’elle quasiment que par la grâce de Sky Italia ; en lançant The Young Pope, un projet dans lequel la chaîne italienne a embarqué de nombreux diffuseurs ou producteurs de la planète, la télévision payante transalpine continue de se forger une réputation d’excellence… venant d’un pays qui, en matière de télévision, n’a guère de réputation internationale. Le développement de The Young Pope est l’illustration parfaite de ce qui anime Sky depuis quelques années : le désir de faire quelque chose de profondément italien (la série est créée, écrite et réalisée par Paolo Sorrentino, et porte sur la papauté) au point d’en devenir quasiment à une marque, mais de se donner toutes les chances de l’exporter partout dans le monde, et donc de coller à des goûts plus universels.
Avec sa réalisation moderne, sa distribution cosmopolite, et ses airs de dramas exigeants, sans jamais négliger ses particularités thématiques, The Young Pope représente la garantie qu’au moins une fois par an, on parle d’une série italienne hors de ses frontières. Avec des effets variables sur son propre sol : son lancement a battu des records en devenant le démarrage de série le plus suivi de l’histoire de la chaîne (953 000 spectateurs devant Sky Italia pour les deux premiers épisodes ; c’est 45% de plus que le début du Gomorra et 42% de plus que la saga politique 1992 sur la même chaîne, et loin devant les séries américaines comme Game of Thrones ou Westworld, pour vous faire une idée) ; en revanche, les audiences ont chuté pendant toute la saison… au lieu de suivre la série toujours plus nombreux (c’est le cas pour Gomorra qui a dépassé la barre du million en cours de diffusion), la moitié des spectateurs italiens l’ont au contraire désertée. Mais qu’importe : l’image de marque, le tournage en grande partie en anglais, la présence de Jude Law (argument de vente international s’il en est), ou encore la co-production avec de grands diffuseurs et/ou producteurs français, sauve la mise.

Tout est ambigu dans The Young Pope, mais quand bien même il n’est pas possible de cerner facilement la série, elle ne peut que fasciner. Quitte à prendre le risque d’avoir le vertige de temps à autres quant à ce qu’elle peut signifier pour nous, et nous signifier.

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Et pour ceux qui manquent cruellement de lecture…

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