Sous la robe…

22 mars 2017 à 9:08

Depuis Ally McBeal, il y en a eu quelques uns, des legal dramas se passionnant plutôt pour un personnage féminin. Ne vous parlais-je pas de Newton’s Law il y a quelques heures à peine ? Non ? C’était déjà le mois dernier ? Le temps passe vite.
Il faut dire que j’ai l’impression d’en voir pas mal passer, des séries de ce genre, c’est-à-dire qui mêlent le travail d’avocate à une vie personnelle un peu chaotique et à un ton dramédique. C’est quasiment un sous-genre du legal drama, à ce stade. Je suppose que la féminisation du métier y est pour quelque chose, et que le métier d’avocate est si prenant et touche-à-tout, qu’il réunit toutes les conditions pour parler des vies trépidantes que mènent des femmes modernes. Toutefois je trouve un peu curieux que ces séries optent presque systématiquement pour la dédramatisation légère, voire malicieusement superficielle. Flirter avec la comédie et/ou la romcom semble un peu à l’opposé de ce qu’un legal drama accomplit d’ordinaire, non ?
C’est ce à quoi je pensais devant le premier épisode de Striking Out, un legal drama avec une femme dans le rôle central, oui, mais un legal drama ne reniant pas du tout son aspect dramatique.

Tout pourtant commence comme une dramédie « féminine » assez typique : alors qu’elle fête son enterrement de vie de jeune fille, Tara Rafferty est prise de l’envie d’aller visiter son promis, Eric Dunbar, en pleine nuit… et le prend sur le fait à s’envoyer en l’air avec une autre avocate.
Or, Striking Out se refuse à traiter la chose à la légère. Son premier épisode consacre l’essentiel de son temps non pas à utiliser cet évènement comme un déclencheur, mais plutôt à suivre le mini-traumatisme de l’héroïne, et les conséquences sur son travail autant que sur sa vie personnelle d’un tel choc. Tara expérimente l’intrigue de l’épisode inaugural sous le choc, incapable de se ressaisir, et donc de prendre des décisions. Pas de chance pour elle, la vie continue.

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Là, comme ça, ça n’a l’air de rien, mais ce cataclysme est une claque pour le spectateur aussi. Même si l’héroïne ne se lance pas dans de longues tirades explicitant son état d’esprit ou ses émotions, le sentiment de désespoir imprègne la série de façon durable. Plus saisissant encore : ce désespoir n’est pas chassé par ce qu’elle peut entreprendre sur un plan professionnel, par exemple. C’est ainsi que tout le premier épisode se trouve baigné dans une étrange mélancolie, dans une tristesse permanente qui, si elle n’est pas explicitement rappelée dans chaque scène, continue de faire son effet. On n’échappe pas à ce que ressent Tara, quand bien même il se passe plein d’autres choses.

Face à cette détresse, justement, il va se passer quelque chose de miraculeux : la naissance d’une autre relation.
Après avoir marché dans les rues de Dublin toute la nuit, Tara déboule dans son bureau, qui se trouve au cabinet Dunbar, Calloway & Associates (oui, le père d’Eric est le Dunbar en question), récupère en toute hâte des dossiers, et s’apprête à déguerpir vite fait… avant de remarquer, assis dans un coin de son bureau, le jeune Ray, avec lequel elle avait rendez-vous ce matin-là. Tacitement, Ray devient la béquille de Tara pendant cette étrange expérience, l’aide à exfiltrer quelques sacs de dossiers, lui trouve un point de chute (un café appelé « Stockholm »), la rassérène, lui offre de quoi s’occuper même. C’est la façon dont cette amitié se met en place de façon totalement naturelle qui est alors fantastique ; c’est à la fois magique et profondément humain, cette façon qu’a Tara de s’appuyer sur ce quasi-inconnu auquel elle n’a même rien demandé, qui volontairement, la prend en main. Pile ce dont elle avait besoin, dans son désespoir et sa désorientation. Sans que ni l’un ni l’autre n’en parlent, Ray devient tout d’un coup la personne la plus fiable de son entourage, son homme de main, son assistant, et, sans devenir exactement un confident, quelqu’un qui est aussi attentif à ce qui la bouleverse, quand bien même il n’en connaît pas la nature. Un phare dans le brouillard des dernières heures.
La fluidité de cette relation, qui s’impose à Tara sans crier gare, joue énormément dans l’impression que pour elle, les évènements s’enchaînent sans qu’elle n’ait le moindre contrôle depuis la découverte de la trahison. Mais ce manque de contrôle a trouvé, fort heureusement, quelqu’un pour rendre les choses juste un tout petit peu plus facile, en la personne de Ray. Un type qui, en plus, ne paie franchement pas de mine, un délinquant à la petite semaine, un jeune homme qui pourrait n’avoir pas l’air très recommandable (elle le représente parce qu’il a violé les termes de sa conditionnelle).
A noter qu’il apparaît en cours d’épisode que Ray est l’un des rares personnages gays de la télévision irlandaise (personnellement j’en ai vu un dans Raw et je crois bien que c’est tout ; mais les soaps Ros na Rún puis Fair City en ont inclus dés les années 90, c’est juste que je ne les regarde pas). Cette orientation sexuelle est d’ailleurs un délicieux pied de nez au stéréotype du jeune délinquant qu’incarne Ray par ailleurs.

L’autre raison pour laquelle tout échappe à Tara ce jour-là, c’est que bien qu’elle soit dévastée émotionnellement, elle n’a pas le temps de réfléchir à ce qui lui arrive, ou à la présence de Ray, ou à quoi que ce soit d’autre. En cause : eh bien, son agenda de la journée, tout simplement, qui est bien rempli.
Elle commence ainsi sa matinée avec une audience pour la conditionnelle de Ray, pour laquelle elle obtient un sursis de la dernière chance en mentant à la cour, puis se voit confier par l’entremise d’un ami une sordide affaire entourant un présentateur télé, qui cherche à faire interdire la publication d’une sex tape. Publication d’autant plus gênante qu’il est marié…

Cette affaire agit en partie comme une distraction, dans laquelle Tara se lance à corps perdu, mais Striking Out ne perd pas de vue ce par quoi son héroïne est en train de passer. La question des mœurs du présentateur, et notamment de mœurs adultères, tombent un jour vraiment pas comme les autres pour Tara ! Les échos se ressentent jusque lors de l’audience face à Caroline, l’avocate qui représente un magazine à scandales… laquelle n’est autre que la femme avec laquelle Eric a trompé Tara quelques heures plus tôt. Là encore, c’est en insistant sur l’impact émotionnel et la profonde tristesse de son héroïne que la série insiste, et non sur l’ironie du sort. Après tout quoi de plus normal, dans un microcosme comme le tribunal de Dublin, que Tara croise Caroline ? Ne reculant pas de l’exploration de la blessure, Striking Out continue courageusement de nous présenter une héroïne qui tente laborieusement de se concentrer sur son travail plutôt que sur sa peine, mais qui ne parvient pas entièrement à mettre cette dernière de côté. Le bref face-à-face ne fait l’objet d’aucune scène de jalousie, ou d’explication ; si vous venez voir Striking Out pour le lavage de linge sale en public et le placement de points sur les « i » entre personnages à fleur de peau, vous allez être déçu. Je ne vous cache pas que c’est ce qui m’a ravie dans ce premier épisode ! D’ailleurs, même la conclusion de l’affaire sera d’une étonnante sérénité mélancolique plutôt que dans un déballage ou même une révélation mystique permettant à Tara de tirer une conclusion ferme des évènements.

On a un peu l’impression pour le moment que les évènements et les situations glissent un peu sur Tara, mais c’est normal après tout, le choc est encore récent. Des choses se mettent en place, un peu malgré elle : le fait que Ray devienne officiellement son assistant, son installation à son compte, la connivence qu’elle partage avec une experte en informatique qu’elle emploie pour la première fois… La première saison de Striking Out (qui ne compte que 4 épisodes, mais les retours sont bons et l’équipe de la série a apparemment bon espoir de gagner un renouvellement) n’est pas dispensée de fil rouge. Cela se confirme par exemple en voyant combien le père d’Eric et la mère de Tara tiennent à ce que ce mariage ait lieu tout de même, à la date dite (soit deux semaines plus tard), bien que pour des raisons légèrement différentes. Cela se voit aussi à la façon dont Eric espère (moitié pour plaire à son père, moitié parce qu’il semble sincèrement navré) recoller les morceaux avec Tara. Et, peut-être plus important encore, cela se voit à la façon dont Tara expérimente sa douleur, et commence lentement à la transformer en quelque chose de productif.

Si la série va là où je le crois, elle pourrait bien accomplir de nouveaux miracles. Surtout si l’interprétation d’Amy Huberman continue d’être aussi parfaite ! Je ne pensais pas l’aimer davantage et pourtant nous y voilà.
Devant le flot d’émotions simples, mais sincères (et prises au sérieux par un scénario qui aurait si facilement l’occasion de traiter les choses à la légère), qui émane de Striking Out, je ne me fais pas franchement de soucis quant à ses 3 prochains épisodes… je commence plutôt à déjà m’inquiéter au-delà.

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Et pour ceux qui manquent cruellement de lecture…

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