Treat Me Nice

13 avril 2017 à 8:00

Chose promise, chose due, retournons à Berlin pour faire le point sur la première (et techniquement, la seule !) saison de Ku’damm 56, diffusée pendant deux jeudis consécutifs sur arte sous le titre Berlin 56. Au terme des 3 épisodes, puisqu’on avait dit qu’on ignorerait le découpage français, que nous auront raconté les aventures de Monika, et ses sœurs Helga et Eva ?
Vous l’aurez deviné, la review qui va suivre comporte des spoilers, donc si vous n’avez pas encore vu les derniers épisodes, qu’arte proposera ce soir, gardez-vous cet article sous le coude. Mais comme dans quelques heures, j’entre en mode Séries Mania…

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La semaine dernière, je vous disais que « Ku’damm 56, en dépit de ce que sa bande-annonce pourrait laisser penser, ou ses couleurs, ou ses jolies robes, n’aucune intention d’être le joli petit period drama frivole que vous pourriez attendre ». Je ne vous avais pas menti : en l’espace de quelques heures à peine, la série va, par le biais de ses jeunes protagonistes, s’intéresser à bien des sujets sensibles. La question, c’est comment.

Parmi ces intrigues personnelles douloureuses, on trouve d’abord les conséquences du viol de Monika. Dans les années 50, évidemment, ces conséquences sont un peu différentes, mais un peu seulement, pour une jeune femme a fortiori si elle n’est pas mariée.
Monika a, qui plus est, le malheur supplémentaire d’avoir été attaquée par un « beau parti », Joachim Franck, riche fils d’un industriel, que sa mère considère comme un parfait mari potentiel pour celle de ses filles qui a jusque là collectionné les échecs et n’a rien pour elle. L’insistance de la mère Schöllack à pousser Monika dans les bras de Joachim fait froid dans le dos, d’autant qu’elle est totalement aveugle aux réticences compréhensibles de sa fille. D’autres inquiétudes viennent se greffer à celle-là, notamment la peur que Monika soit tombée enceinte hors mariage, qui soulève toutes sortes de question inconfortables.
Malgré cette expérience traumatique (et dont le traumatisme se répète, même, chaque fois que sa mère la pousse à fréquenter Joachim), Monika commence à s’épanouir. Derrière ce paradoxe se cache une explication : la jeune femme consacre de plus en plus de temps au rock’n’roll, notamment en la compagnie de Freddy, un musicien qui l’a introduite à ce milieu pour le moment assez underground. Comme l’annonçait la toute première scène de la série, Monika se prend de passion pour cette danse, en particulier, et devient une référence dans le microcosme du rock’n’roll berlinois. La quête d’autonomie de Monika, et c’est peut-être le plus surprenant dans ce qui semblait être le déroulé mis en place initialement par Ku’damm 56, passe aussi par une interrogation sur ses origines, et notamment le sort de son père, brièvement aperçu à l’Est par sa sœur Eva alors qu’il est porté disparu.
Tous ces facteurs, combinés, l’encouragent à prendre un peu plus d’assurance, une affirmation qui se traduit aussi bien physiquement (elle se muscle à force de s’entraîner), qu’émotionnellement (elle est capable de prendre du recul sur ses propres souhaits, et même à les expliciter ponctuellement à l’école de danse Galant et face à sa mère), voire même sexuellement (elle commence une relation casual avec Freddy). L’évolution de Monika revêt ainsi de nombreux aspects, certains plus détaillés que d’autres mais qui rendent la transition de la jeune femme particulièrement solide et bien écrite ; l’interprétation lumineuse de Sonja Gerhardt ne gâche rien non plus, reconnaissons-le. Ku’damm 56 aurait pu ne pas prendre le temps d’entrer autant dans les détails, surtout vu sa durée, mais la série n’en est que plus riche de ces développements détaillés.

Bien que clairement traitées comme secondaires, les deux autres filles Schöllack ne sont pas en reste.
Eva est certainement la sœur de Monika qui se confronte le plus au changement ; la jeune femme, qu’on a vue au départ bien décidée à suivre la voie tracée pour elle par sa mère en épousant un psychiatre plus âgé, mais au statut enviable, commence à découvrir qu’il y a une faille dans son plan : que se passe-t-il si elle tombe amoureuse ? L’objet de son affection sera un footballeur professionnel de l’Est dont l’épouse est internée à l’hôpital où Eva travaille. L’intrigue d’Eva dans Ku’damm 56 pose de douloureuses questions sur les choix d’une femme à l’époque, entre le confort et l’émotionnel, rappelant que le mariage d’amour est quand même une notion récente. Finalement, Eva fera son choix, une décision qui n’est pas forcément celle espérée ni même attendue par le spectateur, mais qui semble plus réaliste quant aux options des femmes de son époque.

Helga est quant à elle un personnage moins approfondi, et son intrigue est surtout l’occasion d’aborder un sujet totalement inattendu vu les éléments de départ de la série, lorsqu’il s’avère que son mari Wolfgang est gay. Enfin, non, bien-sûr, ce n’est pas si simple, et celui-ci a bien du mal avec cette idée, sans même parler d’aller l’évoquer avec sa jeune épouse. Le parcours de Wolfgang souligne combien l’acceptation de cette homosexualité est difficile ; le jeune homme tentera par divers moyens d’en « guérir », et il est impossible de ne pas trouver son parcours déchirant. C’est ce qui rend d’autant plus perturbant de le voir devenir violent avec Helga lorsqu’elle commence à poser trop de questions, et faire un peu plus que la cuisine à heures fixes.

C’est là que j’en viens à mon gros problème avec Ku’damm 56 ; le seul, quasiment, mais dont il est vraiment difficile de faire abstraction malgré les efforts de la série.
Le féminisme dont se revendique ostensiblement Ku’damm 56 est souvent boiteux, voire déplaisant : la série essaye clairement de parler des questions d’auto-détermination, des choix, des désirs des femmes de l’époque (c’est le cas des sœurs Schöllack, donc, mais aussi dans une moindre mesure de leur mère), en nous invitant à vouloir pour elles, eh bien, ce que nous voulons pour nous, mais en sachant que les circonstances de l’époque rendent ces trajectoires difficiles pour ne pas dire impossibles. Les intrigues sont clairement écrites pour que, plein d’espoir, le spectateur ait envie de voir Monika s’affirmer, Eva vivre l’histoire d’amour qui la consume, ou dans une moindre mesure, Helga trouver une vie heureuse dans son nouveau foyer (comme je vous le disais, la pauvre n’a pas exactement une intrigue bien à elle). Mais il semble aussi que la série crédite systématiquement les hommes les plus malaisants d’intentions si ce n’est nobles, au moins propices à leur donner des excuses.
Pour reprendre l’exemple du couple de Helga, Ku’damm 56 met un tel soin à nous faire compatir aux troubles ressentis par Wolfgang face à sa sexualité, qu’on est incités à excuser ses comportements violents, quand bien même il s’exprime de façon extrême au point de faire saigner sa pauvre épouse. Il faut le comprendre, le pauvre, ce n’est pas facile, semble susurrer Ku’damm 56 d’un air navré ; impossible pour la série de condamner ses agissements, quand bien même, effectivement, il n’a pas des préoccupations faciles.
Le schéma est le même avec Fritz Assman (Assman !!!), le professeur de danse de l’école Galant qui entretient une liaison avec maman Schöllack depuis des années dans le secret. A plusieurs reprises, la série le dépeint comme patient, plus compréhensif avec les 3 sœurs et en particulier Monika que leur propre mère, et généralement attentif. Son amour pour Caterina Schöllack est essentiellement montré sous la forme d’une passion contrariée, d’abord par le fait qu’elle a été mariée à une époque, et ensuite parce qu’elle continue de repousser sa demande en mariage. Le pauvre ! Sauf que l’Assman est un ancien Nazi, et qu’au fur et à mesure de la saison, il va apparaître qu’il n’éprouve pas l’ombre d’un soupçon de remords quant au fait qu’il ait confisqué l’école de danse à une famille juive qu’il a ensuite envoyée à une mort certaine. C’est difficilement tolérable de la part de la série de ne pas introduire plus d’ambivalence, au minimum.
Le champion toutes catégories dans ce domaine, c’est bien-sûr Joachim. De fils à papa riche et imbu de sa personne, convaincu de sa supériorité, et sans oublier violeur, il va devenir… un enjeu amoureux à part entière, romantique et romanesque, sans oublié torturé, bien-sûr. Dans certaines scènes on dirait que non seulement la mère de Monika pousse celle-ci à envisager sérieusement un avenir avec Joachim, mais que la scénariste aussi. C’est vraiment difficile à supporter, surtout quand les résistances de Monika tombent… et qu’elle coule réellement un amour idyllique avec le jeune homme ! Sous un certain angle, j’avais envie de croire que Ku’damm 56 voulait mettre en scène la complexité de la situation pour Monika, mais si je suis honnête, non, c’est vraiment la série qui, un temps au moins, veut croire à cette relation ; les raisons de son échec à la fin de la saison sont si loin, d’ailleurs, du problème-même de son origine, que c’en est décourageant.

Dans Ku’damm 56, il semble pourtant y avoir une finesse d’analyse à plein d’égards. Sans être une fiction sur la Seconde Guerre mondiale, il s’y dit plein de choses sur le traumatisme d’une génération qui a connu le nazisme (les actions d’Assman, entre autres, mais pas seulement, font l’objet de discussions intéressantes, bien que brèves). La façon dont Monika et ses sœurs découvrent la dette morale que leur famille paye à cette époque est d’autant plus intéressante qu’on parle peu, finalement, de la façon dont les jeunes Allemands ont découvert cette part de leur histoire (elle n’a, pendant longtemps, pas été enseignée, et certainement pas dans les années 50). Mais sitôt qu’il s’agit de trouver des excuses aux hommes pour leur traitement des femmes, bizarrement, les nuances s’estompent, quand elles ne disparaissent pas, maquillées par des intrigues sur l’auto-détermination et la découverte de soi, étrangement.

C’est dans ses scènes entre femmes, ou celles où l’une des protagonistes est seule face à elle-même, que Ku’damm 56 brille le plus, et le mieux. Et il ne s’agit pas de diminuer les efforts ni les réussites de la série dans ce domaine, mais de rappeler ses limites. A la fin de la mini-série, Eva a choisi son chirurgien et repoussé son footballeur, Helga a accepté l’homosexualité de son mari, et Monika est tombée enceinte de Freddy en refusant tout mariage de convenance.
Faudra-t-il vraiment attendre 3 ans avant de savoir ce qu’il est advenu de Monika et de ses soeurs ? Ca en laisse, du temps, pour remettre en question certains réflexes déplaisants de cette première saison. Rendez-vous dans Ku’damm 59.

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Et pour ceux qui manquent cruellement de lecture…

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