In human

14 avril 2017 à 14:00

Avec la projection aujourd’hui de Rakuen (sous le titre de Heaven) à Séries Mania, la fiction japonaise revient dans la course, 3 ans après la victoire de Woman dans la catégorie des séries internationales. Certes, l’an dernier, la piteuse Kangoku Gakuen avait été projetée hors compétition sous la forme d’une anomalie (lors de la soirée « Orient Extrême » ; elle n’avait même pas eu droit au marathon comédies où elle trouvait pourtant plus sa place), mais personne ne pouvait vraiment prendre la fiction japonaise au sérieux avec pareille représentation de la fiction de ce pays. Rakuen est plus proche du type et surtout du ton des séries qui jalonnent depuis plusieurs années le festival Séries Mania, et son accessibilité pour un public peu rôdé aux fictions nippones est évidente.

De toutes les séries nippones que j’ai vues ces derniers mois (pour ne pas parler des autres pays de la région), je n’aurais en toute sincérité pas forcément pensé à Rakuen en priorité. Mais qu’importe qu’elle n’ait pas été ma série asiatique préférée de l’année écoulée : elle n’en est pas moins solide, et je m’apprête à vous le prouver avec la review qui va suivre.

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Tout commence in media res avec un incendie domestique, qui surprend un couple en pleine nuit. Comme vous, comme moi, comme n’importe qui, l’homme et la femme paniquent, mais leur panique semble avoir un motif supplémentaire, qui commence à apparaître lorsque l’épouse tente à tout prix de sauver des flammes quelque chose se situant sous leur plancher. Quelque chose… qui pourrait être quelqu’un ? Une fois les secours arrivés, le sinistre est maîtrisé, mais le couple n’est pas apaisé ; à un pompier désemparé, l’homme va bientôt avouer au beau milieu de la nuit que les ossements de sa fille reposent sous la maison, et qu’il souhaiterait qu’on les dégages des décombres, si ce n’est pas trop demander.
Voilà 16 ans que leur fille adolescente a été inhumée en secret sous le domicile des Doisaki ; tout le monde la croyait en fugue, elle a en réalité été tuée par son père.

L’introduction de Rakuen ne perd pas de temps : en quelques minutes nous sont révélés la nature du crime, ses circonstances, et même son coupable. A l’heure où tant de séries aiment poser des questions plus qu’y répondre, la démarche peut surprendre. C’est qu’en réalité, Rakuen n’est pas tant une enquête qu’un drame ; le meurtre de la jeune Akane Doisaki n’est qu’une composante de la tragédie qui se joue dans la vie des protagonistes de la série.
D’ailleurs les Doisaki ne sont pas nos héros : Rakuen met en scène l’une des actrices les plus occupées de l’Archipel, Yukie Nakama, dans le rôle d’une journaliste elle aussi hantée par des faits anciens, mais autres. C’est loin d’être le premier rôle de Yukie Nakama dans la peau d’une journaliste, au passage.

Shigeko Maehata était voilà 9 ans une plume particulièrement populaire, qui pour une grande publication couvrait une affaire sordide : la découverte de pas moins de 13 cadavres, enterrés dans le jardin d’une maison alors surnommée la « Death Villa ».
A l’époque, le coupable semblait évident, et Shigeko avait longuement écrit sur lui après avoir enquêté sur son parcours, ses proches, tout. Tout, sauf un détail : celui qui pendant des mois avait été accusé des meurtres n’en était pas le coupable !C’était son meilleur ami, Kouichi Amikawa, qui avait détourné l’attention de la police et donc de la presse, qui avait commis ces atrocités ; il avait fini par être appréhendé. Comme les autres professionnels gravitant autour de cette sombre affaire, Shigeko était tombée dans le panneau ; aujourd’hui encore elle ressent une violente culpabilité, notamment parce que la soeur du suspect initial s’est suicidée face aux horribles accusations. Aujourd’hui Shigeko travaille dans une plus petite revue, et planche sur des sujets mineurs, essayant de mettre tout cela derrière elle ; elle peut pour cela compter sur le soutien de son mari, un ouvrier totalement extérieur à cet univers dont la tranquillité simple lui permet de se ressourcer.

Evidemment cette quiétude ne pouvait avoir qu’un temps, et elle est ravivée lorsque Toshiko Hagiya, une mère de famille, lui rend visite dans sa nouvelle rédaction. Elle veut lui soumettre des dessins de son jeune fils Hitoshi, qu’elle soupçonne d’avoir des dons surnaturels : il verrait les souvenirs d’autres personnes. Le petit garçon a notamment dessiné ce qui ressemble grandement à l’affaire Death Villa, aussi Mme Hagiya s’adresse-t-elle à la journaliste pour authentifier le contenu du dessin, et par extension vérifier si Hitoshi possède bel et bien cet étrange don.
Rakuen traite cette intrigue avec le plus grand des naturels : la journaliste Shigeko Maehata accepte le dossier, commence à poser des questions à Hitoshi, et à recouper les dessins avec les faits. Elle découvre à sa grande surprise, parmi les dessins en question, un croquis représentant le meurtre d’Akane Doisaki…

Cette composante fantastique, intégrée de façon fluide dans le ton très naturaliste de la série, est certainement l’atout le plus surprenant de Rakuen, et fait sa spécificité. L’aspect surnaturel est si sous-joué qu’il semble avant tout servir de déclencheur à autre chose, surtout vu la tournure des événements pour le petit Hitoshi.
Mais qu’importe : comme s’il ne faisait aucun doute que quelqu’un puisse en effet avoir le don de voir les souvenirs d’autrui (la question étant surtout de savoir si Hitoshi est ce quelqu’un, ou s’il a simplement créé ces images à partir de ce qu’il a pu voir ou entendre dans les médias), Shigeko s’engage dans cette étrange enquête journalistique. Celle-ci la conduit en partie à revisiter cette fameuse affaire qui l’a traumatisée par le passé, rouvrant ses plaies émotionnelles encore fraîches, et, parfois, à reprendre contact avec certaines personnes de l’affaire Death Villa…
Si les dessins de Hitoshi représentent effectivement les souvenirs de quelqu’un… alors de qui ? Hey Hitoshi, ya aussi des souvenirs agréables parfois dans la vie.

Au-delà du mystère qui entoure ces dessins et donc les crimes sur lesquels ils semblent porter, Rakuen s’interroge aussi de façon plus vaste sur la survie psychologique après de telles tragédies. La famille Doisaki va ainsi être observée : comment le père vit avec la culpabilité, la mère avec la douleur… Akane avait en outre une petite sœur, Seiko, qui aujourd’hui a un travail, une vie, est sur le point de se marier : quelles conséquences pour elle, alors qu’elle découvre la vérité ? Le choc est d’autant plus rude que Seiko apprend, par le biais d’une avocate engagée par les Doisaki, que ses parents refusent soudainement de lui adresser la parole, et coupent totalement les ponts avec elle.

Si sur la fin de l’épisode, Rakuen introduit une donnée qui semble donner une idée de la résolution de certaines interrogations, la série parvient à intriguer avec ce premier épisode, tout simplement parce qu’il établit parfaitement que la question centrale de la série n’est pas de savoir qui a tué, comment et/ou pourquoi, mais comment exister dans un monde où ce genre de crimes se produit. Comment survit-on à pareilles tragédies, qu’on en soit l’instigateur ou un dommage collatéral ?
A l’heure où tant de fictions s’intéressent au meurtre, interroger non pas l’acte en lui-même mais plutôt ses conséquences psychologiques, morales, sociales même, pour les êtres humains faisant de si horribles expériences. Humains… ou à peu près.

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Et pour ceux qui manquent cruellement de lecture…

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