Jeux dangereux

27 avril 2017 à 18:00

Igor Andreevich Krjukov est dépêché dans un lycée où vient de se produire une terrible tragédie : Anastasia Nicolaeva est décédée, devant tout le campus. Que s’est-il réellement produit ?
Que l’on se rassure : Sparta, proposée exclusivement aux accrédités pendant Séries Mania, n’est pas une énième série policière. Elle propose même des thèmes assez intéressants, dont certains tout-à-fait inédits, pourvu qu’on parvienne à naviguer dans sa chronologie brouillonne et qu’on survive à son personnage central impénétrable (lire : ennuyeux). Mais avant qu’on aille plus en avant, il me faut vous avertir d’une dimension d’importance :

Trigger warning : suicide, harcèlement dont sexuel.

Je dois admettre que regarder le premier épisode de Sparta quelques jours après m’être fait l’intégrale de 13 Reasons Why a probablement teinté mon visionnage. La proximité thématique des deux séries, sur un certain nombre de plans (pas tous cependant) est confondante, ainsi que leur timing : Sparta vient de commencer au début du mois en Russie.
Toutefois, le premier épisode de la série russe pose les enjeux très différemment, à commencer par une nuance d’importance : Anastasia Nicolaeva, qui vient de se jeter du haut du 2e étage du lycée, est une professeure, et non une élève. Elle laisse derrière elle une classe très réduite (12 pupitres dans la salle, pas un de plus) qui recèle de surprenants secrets.

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En partie grâce à l’enquête de Krjukov, en partie à cause de flashbacks relevant plus d’une narration omnisciente, le spectateur découvre progressivement que la classe en question n’en est pas à sa première tragédie. Quelques mois plus tôt, la même prof avait perdu ses deux parents dans des événements flous mais tragiques ; le proviseur avait trouvé la mort ; et une élève de la classe avait également perdu la vie. La série noire n’en est donc pas à son commencement quand le shérif (c’est la traduction des sous-titres en tous cas, mais je ne pense pas que ce titre existe en Russie) débarque au lycée.
Sparta va passer son temps à donner dans l’allusif, car il n’est pas question de nous expliquer pourquoi le sort persiste à frapper cette classe en particulier, mais on peut assez évite éliminer la probabilité d’un pur hasard. En jonglant entre les événements présents (notamment alors que Krjukov enquête) et passés (l’un des événements déclencheurs, un an plus tôt, semble avoir été l’arrivée d’un nouvel élève, Mikhail), Sparta tente de nous amener à nous poser des questions, tout en insistant de plus en plus sur la dangerosité de certains adolescents. On apprend aussi, progressivement, que Krjukov mène cette enquête en ayant lui-même un investissement émotionnel dans le suicide d’Anastasia Nicolaeva : sa propre femme s’est suicidée de la même manière, voilà également un an.

C’est vous dire s’il va être question de flashbacks pendant ce premier épisode, où l’exposition est volontairement brumeuse et imparfaite. Mais Sparta veut aussi nous donner conscience que Krjukov vient de pénétrer un univers particulièrement glauque, où les élèves n’hésitent pas à harceler leurs congénères, où règne une certaine omerta, et où un jeu d’un genre nouveau, appelé « Sparta » (tiens, tiens !), est devenu la colonne vertébrale de la vie de groupe.
Pas de mystère : une fois qu’on découvre l’existence de ce jeu video au sein duquel il n’existe aucune règle (il s’agit d’un univers de réalité virtuelle où les adolescents peuvent baiser, tuer, et bien plus), on sent qu’on tient une piste d’explication, quand bien même les détails manquent encore.

Outre la question du harcèlement (même s’il semble également concerner les profs eux-mêmes) et du suicide, la parenté avec 13 Reasons Why se retrouve dans les diverses situations personnelles des élèves. Ce que je qualifiais voilà quelques jours de « véritable buffet d’afterschool specials » est ici également présent.
A mesure que les profils des adolescents se précisent (et sont montrés dans leur évolution, flashbacks aidant), il devient de plus en plus clair que ce sont eux les véritables dangers de l’univers de Sparta, mais quelle est la responsabilité de chacun ? Et jusqu’où iront-ils dans leur petit jeu cruel ?

La raison pour laquelle Sparta est fondamentalement différente de 13 Reasons Why, en dépit de nombreuses similitudes, est dans la présentation qui est faite de ses enjeux. Quand bien même ni Krjukov ni le spectateur n’ont toutes les cartes en main, l’absence totale de réalisme, et la volonté nette de présenter une forme de sadisme volontaire, indique que le propos de la série n’est pas de dénoncer le harcèlement ou de parler de santé mentale, mais seulement d’utiliser le concept de la disparition de la limite entre jeu et réalité. En un sens, s’il fallait comparer avec les séries dont j’ai récemment parlé dans ces colonnes, on serait plutôt dans l’univers de 2091.
Sparta est avant tout un thriller, pas un conte moral, et la série semble bien décidée à parler de la dangereuse duplicité d’adolescents ayant perdu (ou n’ayant jamais eu) tout sens commun. Encore une série qui doit bien aider les parents à regarder leur marmaille dans les yeux après le visionnage…

Parce qu’elle semble jouer sur des thématiques vieilles comme le monde (dépeindre les adolescents, surtout s’ils sont en groupe, comme une bande de sociopathes en puissance) saupoudrées de craintes relativement modernes (le virtuel va tous nous faire perdre la tête !), Sparta trouve son ton. Ce n’est pas franchement la panacée, et l’opacité persistante de cet épisode d’exposition n’est pas très rassurante pour la suite (surtout quand on sait qu’une deuxième saison était commandée à peine la première tournée). Mais au moins on ne pourra pas accuser Sparta de faire semblant de donner dans la pédagogie.

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Et pour ceux qui manquent cruellement de lecture…

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