With an « E »

5 mai 2017 à 20:05

En matière d’œuvres littéraires, et moins encore canadiennes (sorry, Canada !), peu sont celles ont eu l’impact international obtenu par la saga née avec Anne of Green Gables. Je vous accorde qu’on n’est pas là pour causer bouquins.
Évoquons donc dans le domaine de la télévision la minisérie éponyme (diffusée en France sous le titre Le bonheur au bout du chemin) et son spin-off Road to Avonlea, qui ont marqué les esprits non seulement des spectateurs canadiens, mais de la planète entière, et dont le statut de « culte » n’est pas usurpé.

Evidemment, lorsque la chaîne pour la jeunesse YTV puis la télévision publique canadienne anglophone ont annoncé bosser chacune, à quelques mois d’écart, sur des adaptations, le sang des Canadiens n’a fait qu’un tour. On ne plaisante pas avec les pignons verts.
En se matérialisant par deux téléfilms (l’un en février 2016, l’autre exactement un an plus tard ; un troisième est à prévoir pour février 2018), la version d’YTV n’a pas beaucoup fait parler d’elle. Mais celle de CBC, elle, a eu la chance d’être co-produite par Netflix, ce qui a considérablement amélioré à la fois son budget et ses perspectives internationales comme dans un double retour aux sources. Lancée en mars dernier, Anne (avec un « e ») a donc dû relever le pari à la fois de passer après l’adaptation de 1985, immensément populaire mais vieillissante, et d’arriver derrière la version d’YTV, laissant éventuellement craindre une Anne-fatigue.
Eh bien, il n’en est rien, et cette nouvelle mouture a tout d’une grande.

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Évitons tout quiproquos : pour ceux qui ignorent leurs classiques, rappelons qu’Anne Shirley est une jeune orpheline qui, à la fin du 19e siècle, est débarquée dans une ferme d’Avonlea, petite bourgade de l’Île-du-Prince-Édouard. Pour Anne, c’est une chance inouïe, alors qu’elle est depuis des années trimbalée de famille d’accueil en famille d’accueil (quand ce n’est pas un retour à l’orphelinat), essentiellement à des fins domestiques ; elle n’a pour ainsi dire jamais connu l’amour d’une famille.
En dépit de ce passé difficile (surtout pour une enfant d’à peine 13 ans), par nature et un peu par conviction aussi, Anne est une petite jeune fille positive, éduquée, intelligente, et dure à la tâche ; bref, prête à affronter tout ce qui se présente à elle la tête haute. A son arrivée à Avonlea, et plus précisément dans la ferme aux pignons verts à laquelle elle se pense destinée, elle découvre avec stupeur que ses adoptants attendaient en réalité un garçon, qui aurait ainsi pu aider aux corvées en extérieur. Matthew et Marilla Cuthbert, le frère et la sœur qui l’accueillent, finissent toutefois par changer d’avis au contact d’Anne, et finissent par l’accueillir au sein de leur famille…

En réalité, la série Anne reprend assez fidèlement (avait-elle le choix ?!) cette structure, et l’essentiel des événements qui suivent. Ce n’est pas là que se joue le brio de cette adaptation, mais plutôt, comme souvent, dans la tonalité qui est la sienne.
Écrite par Moira Walley-Beckett, qui après avoir bossé sur Breaking Bad a créé sa première série en 2015 avec Flesh and Bone (une série qui m’a fascinée, bien que probablement un peu de façon malsaine/cathartique), cette nouvelle interprétation du monument littéraire canadien est plus complexe et sombre. Pas de méprise : Anne Shirley-Cuthbert est une force vive, mélange d’énergie et d’imagination, un personnage fondamentalement optimiste d’ailleurs très joliment incarné par la jeune Amybeth McNulty (une jeune actrice irlando-canadienne dénichée après avoir lancé un casting mondial). Mais la série, elle, soulève des choses dramatiques, et se refuse à jeter un voile pudique sur les conditions de vie difficiles d’une jeune orpheline dans la campagne canadienne voilà maintenant un siècle et demi. Surmonter les obstacles, y compris le rejet, a toujours fait partie du mythe d’Anne of Green Gables ; c’est le propre d’un récit initiatique comme celui-ci. Dans Anne, toutefois, c’est plus qu’un parcours inspirant ses spectateurs à imiter un modèle idéal de force de caractère : c’est un traumatisme. Je n’emploie pas ce mot au hasard : dans cette adaptation, Anne souffre d’un véritable stress post-traumatique, ce qui inclut des flashbacks douloureux et un certain nombre de triggers. Cela ne signifie pas que des événements douloureux ont nécessairement été ajoutés à la trame de la série, mais plutôt qu’ils ont été explicités. La série continue ainsi de matérialiser pour les plus jeunes les efforts d’une gamine positive à laquelle s’identifier, mais pour les spectateurs plus âgés, Anne raconte ces efforts avec une certaine idée du réalisme émotionnel. A ce stade je serais tentée d’avancer que Moira Walley-Beckett a ses sujets…

En ce qui me concerne, je trouve que c’est un sans-faute. Je regrette uniquement la chute brutale du dernier épisode, qui ne fait pas grand mystère quant à ses espoirs de renouvellements (elle n’a pas tort : c’est en partie une série Netflix après tout…). Il y a aussi cette gênante différence de promotion de la série entre le Canada et les Etats-Unis (on ne photoshope pas Anne Shirley impunément !). Mais sur le reste, c’est vraiment impeccable.
En particulier si, à ses thématiques, qui me parlent nécessairement, on ajoute une réalisation impeccable (voire très ambitieuse), et des dialogues enlevés (mais pourrait-il en être autrement quand on connaît le vocabulaire de l’héroïne ?). Le soin placé dans cette adaptation est non seulement palpable, mais n’a rien d’artificiel ; Anne est une série pleine d’âme, ce qui devrait aller de soi, mais quand on est face à un tel monument…

Et le résultat, c’est ma foi une série qui n’est pas forcément familiale au sens « tous publics », mais qui se regarde à plusieurs niveaux, prête à passionner et émouvoir quiconque a envie de se passionner pour la jeune orpheline, ses joies et ses peines. Et surtout c’est une série qui ne marche pas sur les plate-bandes de la précédente, se trouvant sa propre identité, un propos bien à elle. Cela ne plaira probablement pas aux puristes absolus, mais étaient-ils vraiment, dans le fond, ceux qu’il fallait convaincre ?

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Et pour ceux qui manquent cruellement de lecture…

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