Un homme pressé

11 septembre 2017 à 11:29

La télévision québécoise nous a fourni quelques excellentes séries pendant la saison passée, mais il fallait, plus que pour aucune autre, que je prenne le temps de vous écrire une review de la saison de Plan B, une mini-série sur le voyage dans le temps. NE PARTEZ PAS TOUT DE SUITE, ce que Plan B accomplit avec ce qui était, probablement, le thème central de l’année télévisuelle dans le monde, est absolument unique. Et d’une finesse rare, ce qui ne gâche rien.

Car si inévitablement, Plan B donne naissance à plusieurs timelines, se lance dans des réécritures de l’histoire de ses personnages, et réserve des surprises, ce n’est pas avec pour seul but celui de nous surprendre et/ou nous entortiller le cerveau. Il s’avère que la série est riche d’un propos sur le couple, le rôle que nous jouons dans celui-ci, et les choix que nous faisons pour lui.
Plan B est, malgré son utilisation du voyage dans le temps, avant tout une série qui s’envisage sous l’angle dramatique. Aborder son sujet sous cet aspect, et ne jamais le perdre de vue, lui donne une étonnante capacité à surprendre intimement plutôt que superficiellement. Pour vous expliquer pourquoi j’accumule les qualificatifs émerveillés dans une review de saison, ça se passe après l’image de promo… quoique, je dois vous avertir : avec des spoilers.


Au départ de Plan B, en mai 2016, il y a une situation d’une triste banalité : un couple comme un autre, Philippe et Evelyne, dont le quotidien semble devenu étouffant.

Jeune avocat ayant monté un cabinet avec son ami Patrice (qui s’avère être aussi le frère d’Evelyne), Philippe est en particulier au centre de la série, et lorsqu’elle commence, il cumule les raisons de stresser. Entre le cabinet qui a du mal à décoller et vit une période charnière alors que se profile un contrat qui pourrait tout changer ; la maison qu’il vient d’acheter avec sa compagne mais dans laquelle de nombreux et envahissants travaux gênent le quotidien (sans parler de leur retard, ni de leur coût) ; ou encore les difficultés familiales (son frère est alcoolique, notamment)… Philippe éprouve de plus en plus de difficulté à jongler entre ses différentes responsabilités.
Dans tout cela, Evelyne se sent, et pas à tort, oubliée. Elle qui a mis sa carrière prometteuse de violoniste au placard afin de travailler comme assistante juridique dans le cabinet de son frère et de son compagnon, elle qui semble faire tous les sacrifices sans jamais obtenir d’attention, elle qui étouffe dans une relation où elle passe systématiquement en dernier, commence à sentir l’amertume monter. Dans le premier épisode, on découvrira qu’elle envisage de reprendre le contrôle de sa carrière, et de passer à nouveau des auditions pour rejoindre un orchestre.
Philippe, bien-sûr, est aveugle à tout cela, obsédé par ce qu’il doit gérer. Mais lorsque les choses tournent au vinaigre et qu’il laisse Evelyne sur le carreau une fois de trop, celle-ci décide de le quitter.

Par chance, Philippe trouve dans l’annuaire (qui utilise encore un annuaire en 2016 ?! eh bien voilà une bonne raison de s’y remettre) le numéro de « Plan B », une mystérieuse compagnie qu’il croit à ce moment-là être une agence de voyage (bon, il a bu). Sans vraiment prêter garde, il réserve un voyage qu’il pense celui de la dernière chance avec Evelyne… pour se réveiller le lendemain matin, enlevé par deux hommes de main de « Plan B » qui le font retourner dans le passé. Philippe a une chance inouïe d’effacer sa dernière bévue en date pour ne pas perdre Evelyne !

Comme je le disais pour le 1er épisode, Philippe a rapidement compris le principe du voyage dans le temps, et se met vite à l’ouvrage pour ne pas perdre Evelyne. « Plan B » semble lui avoir apporté, quasiment sur un plateau, une solution idéale pour apprendre de ses erreurs et refaire les choses de façon à obtenir une fin heureuse. Plan B, toutefois, est un peu plus fine (et taquine) que cela, et à mesure que la série va évoluer, plusieurs autres scénarios vont se produire. En fait, en l’espace de 6 épisodes, la série parvient à explorer diverses configurations autour de ce service (onéreux !) de voyage dans le temps, y compris en travaillant sur la façon dont Philippe décide, ou non, d’y avoir recours pendant un épisode donné.
A quel point ce « Plan B » sera-t-il tenu pour acquis ? A quel point un retour dans le passé pourra-t-il résoudre une situation ? C’est une grosse partie des mécanismes de la série… mais pas forcément de ses enjeux.

Ce sur quoi Plan B passe le plus de temps, c’est plutôt la façon dont Philippe se confronte à ses problèmes de couple. Dans le premier épisode, il retourne dans le temps sur seulement 24 heures environ… par la suite il faudra, par la force des choses, viser un peu plus grand. Dans le fond ce n’est pas UNE action qui a gâché les choses entre Philippe et Evelyne, mais une multitude. Ce n’est pas UNE journée qui détermine le cours de leur relation, mais un continuum d’actions, en particulier de la part de Philippe. Cela, notre personnage central met beaucoup de temps à l’intégrer.


Le portrait qui se dessine du personnage principal n’est pas aussi positif qu’il semblait l’être initialement, d’ailleurs. Au début, le « méchant » de Plan B, ce serait surtout Pat, l’ami de longue date, le collègue, le beau-frère : or malgré son lien avec le couple Philippe/Evelyne, il s’avère aussi voire surtout être un avocat qui n’hésite pas à manipuler, à coucher avec des clientes (ou filles de clientes) pour obtenir ce qu’il veut, ce alors qu’il est marié d’ailleurs, bref un menteur obsédé par la réussite quoi qu’elle puisse coûter aux autres. Chose qui ne simplifie pas l’existence de Philippe et ajoute des complications à ses retours dans le temps, comme un problème de plus à corriger.
Progressivement toutefois, il apparaît que Philippe, sous ses airs de Gentil Gars™, n’est pas vraiment mieux, juste plus subtil dans sa mesquinerie. En fait, Philippe n’est pas nécessairement un homme victime du quotidien écrasant : il a sa part de responsabilité dans les événements, à laquelle les retours dans le temps le confrontent. Là où Evelyne a consenti des sacrifices pour son bien, lui a décidé de la sacrifier elle, bien souvent, au prétexte que c’était pour s’assurer d’un avenir radieux. Il se montre incapable de réaliser que cet avenir, Evelyne n’y voit, n’y a jamais vu en fait, sa place. Au fil des épisodes, Plan B explique que cet homme victime des circonstances est en fait quelqu’un qui fait des choix dont il veut s’absoudre ensuite ; il pourrait ne pas vouloir de grande maison, ou ne pas vouloir qu’Evelyne sacrifie ce qui la passionne pour son cabinet à lui, ou ne pas vouloir le gros contrat juteux pour le cabinet. Chaque fois qu’il fait un choix différent, toutefois, il apparaît que ce n’est pas seulement une forme d’ambition qui le gangrène, mais la façon qu’il a de considérer que la fin justifie les moyens. Philippe, obsédé par son idée de la réussite (de sa carrière, de ses finances, de son couple, etc.), n’est pas un homme meilleur que Patrice ; il fait juste un peu mieux illusion, peut-être de par sa capacité à se mentir à lui-même quand Patrice ne ment qu’aux autres.

Au-delà de cette démonstration d’un rapport toxique à la réussite, Plan B dresse, progressivement, le portrait d’un homme dérangeant à cause du contexte-même de la série.
D’un homme avide de contrôler son sort, ce que le principe-même de retour dans le temps ne fait qu’encourager, Plan B passe à un homme avide de contrôle, au sens large. A chaque nouvelle utilisation de « Plan B », Philippe gagne en effet en assurance. Sauf que cette assurance lui donne un sentiment de supériorité empoisonné, dont il a tendance à oublier qu’il ne provient que de sa connaissance de l’avenir, et pas d’une réelle capacité à mieux gérer sa relation aux autres. Malgré son apparent triomphe pendant ces longs mois qu’il vit une seconde fois en évitant tous les écueils apparents, il ne peut s’empêcher de continuer à mal traiter Evelyne (voire commencer à la maltraiter franchement), sous des apparences idylliques. Mais idylliques pour qui ?
A longueur d’épisode, quoi qu’il fasse en retournant dans le passé, Philippe persiste à ne prendre en compte que ce qu’il veut, ce qui est important pour lui, ce qui est un gage de succès d’après ses critères. Il continue d’oublier de prendre en compte Evelyne, notamment (dont la perspective est très souvent omise), et l’impression de savoir mieux qu’elle n’est qu’empirée par sa connaissance du passé. Après tout il ne retourne jamais dans le passé pour changer sa vie à elle, mais juste sa vie à lui… on peut même, à certains moments, se demander s’il n’y a pas un véritable problème de consentement.
Plan B met en place tout cela avec une finesse incroyable, sans jamais pointer trop nettement du doigt les agissements de son héros ; mais plus les épisodes passent plus le spectateur se demande s’il est vraiment souhaitable, dans le fond, que Philippe corrige les erreurs du passé. Et si, au bout du compte, au lieu de chercher à obtenir ce qu’il veut, Philippe devait se demander s’il veut les bonnes choses ? Et si l’objectif à atteindre n’était pas la réconciliation entre lui et Evelyne ?
L’ambiguïté ménagée au long de la série, bien que plus faible sur la fin lorsque Philippe commence sérieusement à devenir une inquiétante boursoufflure d’ego, m’avait laissé penser que Plan B se conclurait de façon ambivalente. Mais le dernier épisode s’achève, en fait, sur un propos assez clair à ce sujet…

Plan B est riche de ce propos central de l’homme aveuglé par son propre désir. La mini-série dépeint un homme toxique, mais profondément convaincu de bien faire… et de bien faire contre vents et marées, comme si le monde entier était contre lui. Il idéalise son propre comportement, ainsi que ses objectifs, afin de continuer de s’envisager comme une victime des circonstances. La série fait en parallèle un travail fantastique pour révéler au spectateur à quel point ce point de vue du héros, qu’en somme on a vu des millions de fois dans la fiction, cache une vérité bien plus complexe, et écœurante. Un homme moderne trop pressé de réussir au détriment de ceux qu’il prétend aimer.

Pour cela, Plan B utilise la mythologie qu’elle a mise en place autour de ce fameux service de voyage dans le temps. Là encore c’est d’ailleurs très fin ; « Plan B » semble de prime abord extrêmement simple : on réserve, on paye, on est kidnappé par deux étranges employés, on retourne dans le passé, on recommence tout. Mais en fait il y a toutes sortes de mécanismes qui rendent l’exercice moins simple qu’il n’y paraît. Par exemple il n’est pas possible de réserver un retour dans le temps pendant un retour dans le temps. Il faut aussi, bien évidemment, avoir les fonds nécessaires, et les sommes deviennent très vite astronomiques. Pourtant, ces mécanismes ne poussent jamais Plan B à expliciter trop les règles de son univers, mais juste les conditions d’utilisation de son service. Elle m’a rappelé des séries comme Soumatou Kabushikigaisha, dans lesquelles il n’est pas important pour que les mécanismes fonctionnent de savoir exactement comment les choses se passent, et où les tenir pour acquises joue dans les ressorts dramatiques, voire tragiques, de l’intrigue. Cela permet en outre à Plan B de conserver un ton aussi réaliste que possible, sans avoir à se lancer dans des explications sur le côté science-fiction ou fantastique de la compagnie « Plan B ». Comme je le disais, l’aspect dramatique est ici au centre de tout.

Et cet aspect dramatique, il va d’ailleurs bien au-delà du couple de Philippe et Evelyne. A mesure que s’égrènent les épisodes de Plan B, on découvre le sort de plusieurs autres personnages qui gravitent autour d’eux.
Patrice est ainsi, dans une certaine mesure, progressivement réhabilité, ses fragilités apparaissant au grand jour quoique ne compensant jamais totalement ses défauts. Le frère de Philippe, André, a plusieurs opportunités de changer de vie également (bien qu’à son insu ; intéressant d’ailleurs de voir que Philippe ne l’aide à changer de vie que parce qu’elle simplifie la sienne avant tout), et la série explore son rapport à l’alcool, à sa femme, à sa fille… et à son frère. La mère de Philippe et André, une drama queen egocentrique, se révèle progressivement dans tout son sens de la victimisation, de la manipulation émotionnelle, de l’égoïsme (le fruit n’est pas tombé loin de l’arbre…), jamais remis en question par Philippe d’ailleurs (c’est l’une des rares choses qu’il ne cherchera jamais à changer !) quand bien même cela lui ajoute des raisons de se considérer comme une victime lui-même.

On découvre au fur et à mesure des épisodes la complexité de l’histoire de cette famille élargie, en apprenant par exemple que Philippe et André sont en fait demi-frères, avec un passé commun complexe, terreau fertile en toutes sortes de ressentiments. On apprend ces détails, en fait, de la même façon qu’à chaque retour dans le passé nous sont délivrés des détails sur la vie de couple de Philippe et Evelyne : pour comprendre que chaque situation a des racines bien plus profondes qu’il n’y paraît. C’est presque une origin story familiale qui se dessine au fil des épisodes, qui concerne plusieurs générations ; le comportement de Philippe, en somme, est la conséquence de tous ces événements. C’est difficile par exemple de déconnecter entièrement le comportement de Philippe en cours de saison, notamment face à la peur qu’Evelyne le trompe dans une nouvelle timeline, avec le fait qu’il soit, lui-même, le fruit d’une relation extra-conjugale… Quand bien même ces éléments n’expliquent pas forcément les aléas du couple, ils les enrichit d’enjeux complémentaires, de tensions externes, de passions complexes.
Plan B comporte aussi de nombreux flashbacks de la « timeline d’origine » pouvant parfois remonter sur plusieurs années… sans forcément qu’un retour dans le passé ne soit organisé par Philippe soit dit en passant, tout événement montré n’ayant pas forcément vocation à être changé. Même quand Philippe n’opère pas de retour dans le temps, la série emploie ces flashbacks, ce qui sert autant de twist (« tiens, il n’utilise pas Plan B ») que de structure narrative au sens large pour revenir sur les origines de ce couple, de cette famille, de ce groupe au sens large.
En racontant des événements parfois très anciens, la série étoffe ses personnages, leurs dynamiques, leurs motivations, et ainsi de suite, avec beaucoup de finesse. Elle décrit aussi, aussi, leurs difficultés à communiquer certaines choses, à passer à côté les uns des autres presque bêtement, pour ne s’être pas compris, pour ne s’être pas écoutés surtout. Il y a eu toutes ces interprétations, tous ces malentendus, tous ces non-dits, tous ces mensonges, qui se sont accumulés au fil des années, et ont créé un fossé qu’il est aujourd’hui si difficile de franchir pour se retrouver…

Et c’est grâce à cela que les twists de Plan B sont profondément dramatiques. Il ne s’agit pas simplement de visser le spectateur sur son fauteuil en lui imposant un retournement de situation, mais plutôt de le heurter de plein fouet avec une information qui lui fait reconsidérer la façon dont il envisageait les personnages et leur devenir. Ce que ces personnages révèlent d’eux, de la complexité de leur vie intérieure, c’est ça, la force des twists de Plan B. Ils donnent la mesure exacte, et non pas imaginée, de ce qui sépare réellement les protagonistes.
Petite par la durée (au moins pour le moment : l’équipe de Plan B n’exclut pas de revenir pour une nouvelle saison avec de nouveaux personnages, sur un principe anthologique) mais grande par l’ambition, voilà une série qui réussit parfaitement ce qu’elle entreprend en dépit de nombreux écueils. Plus qu’une (énième) fiction de voyage dans le temps, plus qu’une radiographie d’un couple, Plan B combine tous ses ingrédients pour proposer un conte moral qui prend aux tripes.

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Et pour ceux qui manquent cruellement de lecture…

1 commentaire

  1. Toeman dit :

    Rhooo, j’ai loupé cet article, et du coup, cette série. Je peux m’en prendre qu’à moi même, j’avais qu’à venir plus régulièrement.
    Le voyage dans le temps, c’est pas trop mon truc, mais l’aspect dramatique que tu décris m’intéresse particulièrement.
    Allez hop, ça faisait longtemps en plus que j’étais pas allé voir du côté du Québec.

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