What kind of trouble ?

10 mars 2019 à 16:19

Depuis vendredi, Netflix inclut ENFIN une série originale produite sur le continent africain dans son catalogue. Vaut mieux tard que jamais, comme on dit, et après tout ça ne faisait que 3 ans que la compagnie s’était implantée sur le continent !
Shadow, c’est son nom, nous vient d’Afrique du Sud, comme ce sera prochainement le cas des autres productions africaines annoncées par la plateforme, à savoir Queen Sono, une série d’espionnage, et Blood & Water, un teen drama (et, non, on va pas se mettre à compter les scènes de Sense8 tournées au Kenya, hein). On peut se l’avouer : pour le moment, l’incursion de Netflix en Afrique est très spécifique : rien pour l’Afrique du Nord, rien en Afrique francophone… M’enfin bon, il vaut espérer qu’on y viendra.

Autrefois flic, Shadow est désormais une sorte de détective privé ou un mercenaire que l’on emploie pour se sortir de pétrin. On s’adresse à lui lorsqu’on ne fait pas confiance à la police, et/ou pour des affaires particulièrement sordides qui requièrent, disons, un certain doigté.
Ce qui rend Shadow si capable dans ce type d’attributions, c’est que notre homme ne ressent pas la douleur : lorsqu’il était enfant, il a été frappé par la foudre, ce qui a définitivement modifié ses terminaisons nerveuses. Pourtant, notre héros connaît une autre forme de douleur, après avoir perdu sa femme et sa fille dans des circonstances tragiques.

Sur le papier, Shadow n’est donc pas franchement révolutionnaire. Et c’est vrai qu’à voir sa scène introductive, le premier épisode donne tous les signes d’une série d’action plutôt classique : Shadow intervient dans un squat, menace le gang qui y a élu domicile, les fout dehors, c’est un héros. Bon.

Malgré tout, ce premier épisode est plein de charme, et ce sont des nuances, apportées au concept de départ et les impressions qu’il laisse initialement, qui font la différence.
D’abord parce que l’intrigue de ce premier épisode est plutôt intéressante : une jeune femme du nom de Mary fait appel à Shadow parce qu’elle est victime de chantage. Elle a contracté un prêt auprès d’un homme peu recommandable qui a pris des photos d’elle, nue, dans son club ; bien qu’elle ait depuis remboursé la somme empruntée, elle continue d’être sollicitée par lui, et comme il a des relations dans la police, c’est donc à Shadow qu’elle s’adresse. Mais la jeune femme ne veut pas juste qu’il la sorte du pétrin : elle lui confie la mission de voler TOUTES les photos entreposées dans le coffre du malfrat, et ainsi délivrer toutes ses victimes de son influence.
A cela faut-il ajouter deux autres personnages, Reggie et Max, dont je ne vous dit pas tout, parce que leur intervention vient recontextualiser l’action de Shadow. Celui-ci a finalement une approche un peu simpliste des choses, comme va le prouver Max… mais en même temps il n’est pas non plus n’importe qui et a une vraie compétence pour ces choses-là.
Ce détail dans le portrait, cette façon de montrer Shadow à la fois comme un héros badass et un type qui fonce un peu dans le tas sans vraiment prendre le temps d’enquêter (d’ailleurs il n’y a AUCUNE forme d’investigation dans cet épisode), donne de l’équilibre à la série. Il y a une remise en question qui se trame dans le fond de l’intrigue, et qui se montre rafraîchissante pour ce genre de fiction.

Et puis, il faut le dire, le personnage éponyme est dans Shadow un parfait héros de thriller d’action : il est cool, fort, capable, vulnérable, et il ne se prend pas totalement au sérieux. Il y a d’ailleurs beaucoup d’humour dans ce premier épisode, et dans l’ensemble ça marche même terriblement bien, comme cette scène au petit matin dans la cuisine qui, sans mentir, m’a pliée en quatre (j’ai interrompu mon visionnage pour la revoir trois fois tellement j’étais morte de rire). D’ailleurs chapeau bas à l’interprète de Shadow, Pallance Dladla, qui incarne ce personnage avec une décontraction et une versatilité plus qu’appréciables. Mention honorable pour l’actrice qui incarne sa sœur (dont il est dommage que pour le moment elle soit si secondaire), d’ailleurs l’un des rares personnages en fauteuil roulant de la télévision sud-africaine.

Je vous le disais en introduction, pour le moment Netflix n’investit l’Afrique que par une porte d’entrée, l’Afrique du Sud.
Ca paraît bien peu (et pour cause), mais il y a peut-être une raison pour laquelle Netflix investit ce marché à toute vitesse et pas d’autres : l’Afrique du Sud est à la fois riche d’une industrie plutôt dynamique (quoiqu’en proie à de nombreuses difficultés, notamment du côté de la télévision publique) et un territoire où la VOD n’est encore qu’en développement. Ainsi, IROKOtv, l’une des plateformes les plus dynamiques d’Afrique noire, n’est pas encore présente en Afrique du Sud, si ce n’est sous la forme d’une boutique en ligne de DVD (et encore, il s’agit essentiellement de vendre des DVD de films nigérians). Quant à Showmax, lancée par l’opérateur satellite MultiChoice en octobre dernier, on y trouvait jusque là de nombreux films et ce n’est qu’en ce début d’année 2019 qu’est apparue sa première série, The Girl from St. Agnes, qui a démarré quelques semaines avant Shadow.
C’est donc le moment de se placer en Afrique du Sud, où la concurrence n’est pas encore trop vive mais où la demande évolue. Un panorama encore en mouvement, contrairement à d’autres pays comme le Nigeria, où IROKOtv et EbonyLife ON se sont imposées avec un catalogue riche et des séries inédites (EbonyLife ON se targue d’avoir lancé l’été dernier, avec Castle & Castle, le tout premier legal drama nigérian).

Depuis la France, on serait bien en peine de voir tout cela. Il faut en effet noter que pour le moment, il n’existe à ma connaissance aucune série africaine accessible dans le catalogue Netflix français en-dehors de Shadow, ce qui est super pratique si vous n’avez jamais pu voir une série africaine, et n’avez donc aucun point de comparaison. Vous m’avez bien lue : Netflix ne s’est même pas fatiguée à acheter les droits d’une série africaine pour ses spectateurs non-africains (…y compris la diaspora), avant même de parler de commander des séries originales. C’est dire si je ne vais pas envoyer de fleurs pour avoir finalement sauté le pas avec Shadow.
D’autant que, « naturellement », Shadow n’a pas fait l’objet d’une grosse promotion pour sa mise en ligne vendredi (en fait les projections presse ont même été annulées en Afrique du Sud), donc comme ça c’est parfait, vraiment ne changez rien ; continuons tous de traiter la fiction africaine par-dessus la jambe alors qu’on a une occasion inédite d’avoir accès à des séries de la planète entière. Ca me fait enrager comme rien, cette persistance à ignorer un continent entier.

Il est ainsi assez difficile, à moins d’avoir produit un véritable effort (qui n’est donc pas mis à la portée du premier abonné Netflix venu), de définir comment Shadow s’inscrit dans l’industrie télévisuelle nationale. On serait tenté de comparer, notamment sous l’angle du budget, qu’on serait bien en pleine de le faire.
De mon point de vue, Shadow n’est pas franchement la série la mieux produite du pays, mais on y sent un réel effort malgré tout, notamment sur les éclairages. Toutefois la réalisation est bien plus incisive pour capturer des moments drôles que pour rendre les scènes d’action aussi passionnantes qu’elles pourraient l’être, et c’est un peu dommage. J’ai vu des séries sud-africaines plus léchées visuellement, même si elles n’employaient pas autant de filtres ; mais j’en au aussi vu des bien pires, et Shadow s’inscrit finalement dans une sorte de médiane confortable. Et il y a aussi toutes celles que je n’ai pas vues, et vous non plus, et hélas il est difficile de juger dans quelle mesure Shadow représente un investissement pour Netflix. Ce qui est certain, c’est que la série a été produite très vite ; Queen Sono a été annoncée et commandée avant Shadow, mais ne fera pas son apparition sur la plateforme avant quelques mois, et ça nous dit aussi quelque chose de Shadow, ainsi que de la démarche de Netflix…

Vous l’aurez compris, il y a des raisons de venir à Shadow avec méfiance ou frustration. Il y a aussi de bonnes choses à y trouver, pourvu de bien comprendre que la série est, concrètement, une production simple, par ratée mais un rien expéditive (seulement 8 épisodes, d’ailleurs), pour placer des pions sur un marché en plein mouvement, mais sans ambition autre. En-dehors du fait qu’elle est la première fiction africaine de Netflix, on n’en reparlera pas dans plusieurs années ; cela ne signifie absolument pas qu’elle mérite d’être ignorée aujourd’hui, toutefois, et j’insiste sur le fait que j’ai passé un réel bon moment. Mais pour moi, Shadow est aussi une mise en garde : ce n’est pas tout pour Netflix de s’intéresser à l’Afrique, il s’agit aussi d’y prendre la production au sérieux autant que d’autres marchés abordés par la plateforme.

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Et pour ceux qui manquent cruellement de lecture…

3 commentaires

  1. Céline dit :

    Je trouve aussi dommage que Netflix ne la mette pas plus en avant (alors que c’est une de leurs séries originales !), au niveau de la promotion comme tu le disais, mais aussi sur leur site, dans les recommandations, je ne l’ai pas vue. J’en ai entendu parler par hasard ce weekend sur un site qui a fait une news à ce sujet, et j’ai dû faire une recherche avec son nom pour la trouver sur Netflix, je ne l’ai pas vue dans les nouveautés ou les recommandations. Je l’ai ajoutée à ma liste car je suis curieuse de voir une série sud-africaine (j’ai eu l’occasion de voir quelques séries africaines francophones au Festival de la Fiction TV mais c’est tout). Du coup ton article me donne encore plus envie d’aller y jeter un œil 🙂

    • ladyteruki dit :

      Le catalogue de Netflix est, pour autant que je puisse en juger, une vaste blague. C’était déjà le cas lorsque je l’ai testé à son arrivée en France et c’est toujours vrai : plutôt que de laisser les abonnés fouiller la base de données de façon ordonnée, systématique et détaillée, il faut soit connaître le nom de ce que l’on veut voir (en passant par la fonction de recherche), soit se fier à des catégories imprécises et lacunaires… soit, et c’est au final le plus fréquent, laisser l’algorithme décider des recommandations visibles. Il n’est pas possible de sélectionner une série selon si elle est en cours ou achevée. Et surtout, ce qui m’ulcère particulièrement et encore plus dans le cas dont on parle ici : il n’est pas possible de rechercher spécifiquement par pays, ou par année de diffusion. Le résultat c’est que certaines séries, y compris des productions originales de Netflix, deviennent des « séries de seconde zone » auxquelles on ne peut avoir accès que par hasard, et donc bien souvent pas du tout. C’est insupportable parce qu’en réalité, les consommateurs de Netflix n’ont pas un accès total au catalogue, mais un accès limité et contrôlé.

      • Céline dit :

        J’ai du mal aussi avec leur catégorisation, je ne me sers plus du tout de leurs catégories mais presque uniquement de la recherche, l’algorithme est présent même à l’intérieur des catégories, on voit d’abord les séries de notre liste, les tendances du moment, les originaux Netflix, les séries recommandées en fonction de ce qu’on a déjà vu…
        Au niveau des recherches pas pays, je suis complètement d’accord avec toi, clairement ça manque. J’ai découvert un peu par hasard qu’il existe des catégories pour certains pays (ex : séries danoises https://www.netflix.com/browse/genre/77951, séries brésiliennes https://www.netflix.com/browse/genre/69624), qui sont aussi présentes sous forme de liens quand on va sur les détails d’une série. MAIS pas pour tous les pays, même s’il existe des séries de ce pays sur la plateforme, et toujours le même problème : ces catégories n’apparaissent pas dans les menus, il faut fouiller pour les trouver.
        Difficile de tomber sur certaines séries si elles ne sont pas poussées par l’algorithme.

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