Sheer insanity

16 novembre 2019 à 16:09

Il existe de nombreux types de plaisirs dans une vie de téléphage, et découvrir le premier épisode d’une série qu’on ne parvient pas à prédire en est un. La série russo-ukrainienne Fantom fait preuve d’originalité non seulement dans son sujet de départ, mais aussi dans sa façon de développer, progressivement, l’intrigue qui l’intéresse, et qui, si elle emprunte à des genres et thèmes populaires, a tout d’unique.
Le résultat est un premier épisode particulièrement réjouissant !

Il reprend ses esprits, assis sur un lit d’hôpital dans une chambre glauque, des médicaments impossible à identifier dans un petit gobelet de plastique serré entre ses doigts. Face à lui, un homme goguenard en peignoir. Il ne sait pas qui il est ni ce qu’il fait là, et c’est son compagnon de chambrée qui lui apprend qu’il s’appelle Ivan, qu’il a des pertes de mémoire fréquentes, et qu’ils se trouvent dans un hôpital psychiatrique municipal. Son interlocuteur est un autre patient, Artur, qui se révèle vite incollable sur l’endroit comme ses habitants ; sa bonne humeur indélébile contraste avec la morosité d’Ivan, laquelle remplace progressivement son état de choc à mesure qu’il sort de son état second.
Que fait-il là ? Depuis combien de temps est-il enfermé dans ces murs, d’ailleurs ? Et pourquoi ?

Les réponses qui commencent, lentement, à être fournies à Ivan, ne sont pas rassurantes. Sa psychiatre Olga Suvorova, qui a consulté son dossier, admet que le diagnostic qui y figure (« schizophrénie paranoïaque ») ne coïncide pas avec le comportement qu’elle observe. Et puis, toute hospitalisation forcée devrait être approuvée par un comité, et il n’y a pas trace d’une telle décision administrative dans son dossier. Suvorova promet d’aider Ivan à comprendre ce qui se passe… et, si comme elle le soupçonne, il est interné illégalement et/ou sans motif, à faire ce qu’elle peut pour qu’il sorte de là.
Le chef du service psychiatrique, Dr Efim, n’est pas aussi catégorique. Lorsqu’Ivan insiste pour discuter de son dossier avec lui, le très respectable praticien affirme qu’il n’y a pas d’erreur. Toutefois, tout en essayant de prononcer des paroles rassurantes, il écrit un message alarmant sur un bout de papier, qu’il montre à Ivan avant de le brûler : « Vous êtes en danger. Quelqu’un vous observe. J’expliquerai tout ce soir ».

Une explication qui ne vient jamais. Alors qu’il utilise un caisson hyperbare de l’hôpital, Efim est brûlé vif. Une main mystérieuse jette un briquet dans le caisson rempli d’oxygène pur et, ma foi, vous avez eu des cours de physique/chimie comme moi. La police n’est pas captivée par ce meurtre, et a tôt fait d’accuser un patient surnommé Samson, retrouvé en possession du postiche du docteur. Pourtant rien dans cette histoire ne colle. Ivan et Artur vont donc commencer à mener leur propre enquête depuis l’intérieur de l’hôpital.
En comprenant ce qui est arrivé au Dr Efim, peut-être Ivan aura une meilleure compréhension de ce qui lui arrive et de la façon dont il peut se sortir de là ?

Fantom est à la fois glauque et réjouissante. Peut-être même réjouissante parce que glauque.
L’ambiance y est importante, en partie parce que les hôpitaux psychiatriques viennent avec tout un imaginaire « clé en main ». Pas seulement, toutefois. La palette de couleurs de la série, la vétusté des lieux, la façon dont personne ne se soucie trop du confort des patients… eh bien tout cela participe à donner à l’univers de Fantom quelque chose de palpable, bien qu’imprécis. Qu’est-ce qui se trame dans cet hôpital, bon sang ?
Peut-être qu’il est normal qu’un vieil hôpital aux murs décrépis soit « naturellement » anxiogène. Peut-être aussi qu’il se trame autre chose, ce n’est pas incompatible. Mais dans ce cas, s’agit-il d’une conspiration ? D’un phénomène surnaturel, peut-être ? Autre chose…?

Certains des mécanismes à l’œuvre dans ce premier épisode, qui inclut une conclusion au meurtre du Dr Efim (ce n’est pas là le fil rouge de la série), sont plus que familiers.
On y trouve ainsi une grande proximité structurelle avec les séries policières procédurales, l’épisode commençant comme un whodunit, impliquant ensuite la police, et l’enquête parallèle d’Ivan et Artur. Des indices physiques sont relevés, des témoignages enregistrés, des preuves progressivement inventoriées. Il y a même une fausse piste ! Finalement, parce que le flic en charge de l’affaire admet d’écouter les questions d’Ivan, et de le laisser même lui faire des suggestions, l’affaire est résolue en moins d’une heure, dans la plus pure tradition du procedural.
Il n’y a pas grand’chose d’innovant, non plus, dans l’intrigue d’Ivan, au moins sur le papier. Nous avons vu de nombreux personnages, par le passé, être mis dans cette même situation de s’interroger sur leur santé mentale (de nombreuses séries, souvent fantastiques, l’ont fait). Cependant, cela s’est souvent fait à l’occasion d’un épisode isolé. Ici la question est clairement vouée à sous-tendre l’intrigue principale de toute la saison, et donner sa dimension principale à Fantom. En commençant par nous interroger sur qui est Ivan, ce qu’il fait dans cet établissement, et quel est réellement son diagnostic, cet épisode inaugural montre que sa priorité est de parler moins du monde psychiatrique ou de la mort du Dr Efim, que de quelque chose de bien plus glaçant. La question étant : comment savoir si l’on est « sain d’esprit » ? Ivan n’a pas l’impression d’être fou… mais d’un autre côté, son diagnostic est précisément qu’il serait « schizophrénie paranoïaque », quelque chose qui, s’il en est atteint, le pousserait à croire que le monde est contre lui, du coup. Alors comment déterminer qui a raison à propos de lui ? Ivan est-il la personne la mieux placée pour déterminer qui est Ivan ? Vu ses pertes de mémoire, pas nécessairement. Mais plutôt que de balayer ses craintes d’un revers de la main, comme le fait le Dr Efim, Fantom prend au sérieux ses interrogations, et nous interroge nous aussi : comment prouver qu’on est en bonne santé mentale ? La prouver à nous-même est déjà compliqué, mais la prouver à d’autres ? Et dans un système habitué à tout voir sous un angle pathologique, en plus ? Et dans un système, ma foi, hautement imparfait parce que ses soignants ne sont pas du tout parfaits non plus.
Elle est là, la véritable source de terreur de Fantom, et finalement pas trop dans cet hôpital psychiatrique sordide. Plutôt dans le système psychiatrique dans son ensemble.

D’autres éléments, que je ne vous dévoilerai pas ici, peuvent assez facilement être identifiés, jusque, dans une certaine mesure, le twist final de l’épisode. Mais ce qui fonctionne malgré ces aspects bien connus des téléphages, c’est la façon dont ils se combinent. Alors d’accord, certaines choses semblaient tomber sous le sens, à mesure du visionnage. Quand bien même : la façon dont cet épisode se déroule, mélange les genres, oriente son discours et ses interrogations, est totalement neuve, et fait de cette expérience de visionnage quelque chose d’imprévisible. On sait où, individuellement, ces ingrédients mènent dans une série… mais, pris tous ensemble ? C’est moins sûr.
D’ailleurs, s’il est possible de déterminer assez facilement comment l’épisode va réellement se finir, il est assez difficile de deviner ce que Fantom réserve pour la suite. Y aura-t-il d’autres meurtres/mystères, permettant à Fantom de préserver un aspect procédural (accessible au grand public) ? Ivan comprendra-t-il ce qu’il fait précisément là ? Sortira-t-il un jour de l’hôpital ? Que nous dira Fantom de la relation d’Ivan et Artur ? De celle entre Ivan et Olga ?

Tout est familier mais rien n’est plié, et très franchement, c’est pas tous les jours que je regarde le premier épisode d’une série sans avoir la moindre idée de ce vers quoi elle se dirige. C’est l’une des raisons pour lesquelles j’aime d’ailleurs tellement parler de l’épisode d’exposition d’une série. Parce qu’à ce moment-là tout est possible, du moins, si on a de la chance. Que l’introduction de la série stimule l’imagination, lance des hypothèses, ouvre des pistes de réflexion personnelle. J’aime l’idée qu’une série fasse des promesses (et ressens peu d’insistance à ce qu’elle les tienne, dans certains cas), qu’elle me présente quelque chose qui me lance dans son sillon. J’aime être accueillie dans un nouvel univers fictif dans lequel, stimulés, mon cerveau et/ou mon cœur cherchent leur place.
Dans le cas de Fantom, les possibilités, contrairement aux cellules de confinement, sont totalement ouvertes.

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Et pour ceux qui manquent cruellement de lecture…

1 commentaire

  1. Tiadeets dit :

    Oh ça m’a l’air d’être une série très intéressante. Pas sûr que je la regarde, mais je serai curieuse de savoir où elle se dirige et le fin mot de l’histoire.

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