All’s fair

15 février 2020 à 19:46

Pendant que vous regardiez ailleurs, ce qui a été l’une des plus importantes séries sud-coréennes de 2016 est tranquillement en train de prendre d’assaut le reste de l’Asie. Des mots que je n’emploie pas à la légère.

La romance Taeyangui Huye (dont le titre international est Descendants of the Sun) connaît de multiples adaptations dans la région, après avoir battu des records au moment de sa diffusion. La télévision vietnamienne l’a ainsi adaptée en Hậu Duệ Mặt Trời (une traduction littérale) en 2018, et une version philippine vient de démarrer cette semaine sous le titre de Descendants of the Sun (parce que pourquoi se compliquer la vie). Je mentionne aussi le projet d’adaptation chinoise, qui serait apparemment un long métrage, et que donc je vais puissamment ignorer à partir de maintenant.
Pour resituer, rappelons que l’intrigue de la série d’origine est la suivante : une docteure en médecine et un capitaine de l’armée se rencontrent en Corée du Sud, mais ce n’est qu’en se recroisant en mission à l’étranger qu’ils tombent amoureux l’un de l’autre. Aujourd’hui on va donc parler d’amour et de guerre, avec le premier épisode de Hậu Duệ Mặt Trời, une série vietnamienne qu’hélas je ne suis pas en mesure de bien prononcer mais qu’en tout cas je ne me suis pas privée de tester.

L’intrigue du premier épisode de la version vietnamienne est très, très similaire à celle de la série sud-coréenne. Une copie quasi-conforme, en fait.
On y découvre une unité d’élite appelée NH1 qui est envoyée pour une opération risquée, offrant ainsi en guise d’ouverture de la série une scène d’action. Après quoi on suit ses deux meilleurs éléments pendant leur journée de permission suivante : le capitaine Võ Duy Kiên et son meilleur ami le sergent Bảo Huy tombent nez à nez avec un voleur à la tire, qu’ils interceptent. Ils lui prodiguent les premiers secours puis le confient à une ambulance sans s’apercevoir que le voleur a soutiré à Bảo son téléphone portable. Lorsqu’ils s’en aperçoivent, les deux amis se ruent à l’hôpital pour récupérer le mobile, découvrent que le voleur fait partie d’un gang dont il souhaite se libérer, et font la rencontre de Hoài Phương, une jeune docteure qui espère un jour ouvrir sa propre clinique. L’ex petite amie de Bảo, la lieutenant Minh Ngọc, est également sur place suite à un quiproquos, et en profite pour confronter le jeune homme à propos de la raison pour laquelle il l’a ghostée comme une malpropre.

Si vous avez lu ma review de Taeyangui Huye, vous connaissez déjà par cœur le déroulé.
Tout au plus notera-t-on que le premier épisode de Hậu Duệ Mặt Trời interrompt l’histoire un peu plus tôt que prévu (Võ Duy et Hoài n’ont pas encore eu leur premier rendez-vous), mais étant donné que les épisodes de la série vietnamienne sont plus courts que ceux de l’originale d’une dizaine de minutes environ, ça n’est pas étonnant. C’est même plutôt une preuve que cette adaptation est tellement conforme qu’elle n’a pas même essayé de préserver le cliffhanger à la fin de son épisode introductif… à ce stade, ce n’est pas une adaptation, c’est une traduction filmée !
Relevons pour la forme que certaines sources indiquent que les épisodes de Hậu Duệ Mặt Trời auraient duré une vingtaine de minutes et été diffusés deux par deux… mais la version que j’ai vue dure bel et bien trois quarts d’heure donc je m’en tiens à ce que j’observe de mes propres yeux, pas ce que je trouve sur un wiki ouverts aux quatre vents.

Pourtant, en dépit de cette impression de copie carbone, il y a des choses à dire de ce premier épisode quand même. Plein.

Ce qui se passe quand on regarde Hậu Duệ Mặt Trời pour la comparer à Taeyangui Huye, c’est un peu ce qui s’agitait sous la surface quand on parlait de la version malaisienne de The Bridge l’an dernier : l’intérêt est dans les choix qui sont faits, quand bien même ils sont subtils.
Tenez, cette scène d’action au début de la série, là, bon, elle a l’air banale à première vue, pas vrai ? Après tout elle n’a pas d’incidence sur l’intrigue romantique qui, elle, sert bel et bien de fil rouge à la série, et qui en plus détermine bien plus le ton léger de Hậu Duệ Mặt Trời. Pourtant, cette introduction musculée soulève une différence fondamentale entre les deux séries : contrairement à son aïeule sud-coréenne, la version vietnamienne n’a aucune intention de se dérouler à l’étranger, ni de parler de conflits internationaux. Hậu Duệ Mặt Trời démarre en effet sur une prise d’otages qui a lieu sur un navire au pavillon étranger alors qu’il est dans les eaux vietnamiennes, et que les pirates promettent d’exécuter un otage par jour jusqu’à ce qu’ils obtiennent la rançon qu’ils exigent. L’unité NH1 intervient, maîtrise la situation, et restitue le bateau comme l’équipage à son pays d’origine. Ce n’est pas grand’chose, mais cette différence va perdurer au-delà : la série vietnamienne préfère parler d’opérations militaires sur son propre sol. Idéologiquement, ça fait une grosse différence, quand même.

Cela s’explique parfaitement, et c’est bel et bien le travail d’une adaptation que d’avoir opéré ce changement. Mais en cela, Hậu Duệ Mặt Trời s’inscrit dans la continuité d’une autre série dont je n’ai pas encore parlé…
Il se disait à l’époque que Taeyangui Huye était la série coréenne préférée du premier ministre thaïlandais Prayut Chan-o-cha, un ancien commandant de l’armée royale parvenu au pouvoir grâce au coup d’Etat de 2014. En 2017, la chaîne thaï Channel7 commande la série Paragit Ruk, dont l’intrigue s’inspire lourdement de Taeyangui Huye… et Paragit Ruk est en réalité la première adaptation, quoiqu’officieuse, de ce drama sud-coréen. Constituée de 4 saisons de 10 épisodes diffusées en l’espace de quelques mois, la série inclut à la fois à une romance entre un soldat et une médecin, et des opérations militaires touchant au contre-terrorisme ou au trafic de drogue. Rappelons que Channel7 a la particularité d’appartenir à l’armée thaïlandaise…
En cela, Hậu Duệ Mặt Trời est donc très proche de la version thaï, qui l’a précédée de plusieurs mois.

Une adaptation, quand bien même elle est en apparence très fidèle (à la minute près !), dit donc bien des choses, et en particulier, elle en dit long sur son pays. Le simple fait de vouloir adapter (plus ou moins officiellement) une série comme Taeyangui Huye témoigne déjà d’une approche particulière : pourquoi cette romcom-là plutôt qu’une autre ? Bon alors, je ne suis, naturellement, pas en train de dire qu’aucune autre série sud-coréenne ne rencontre de succès en Asie (si un jour je viens à raconter ce genre de conneries, assurez-vous que ce seront les derniers mots que vous lirez de moi), et pas non plus en train de dire qu’aucune autre série sud-coréenne n’est adaptée en Asie (nan sérieusement, engagez un tueur à gages ce jour-là). En fait je suis un peu en train de sous-entendre le contraire : il y a beaucoup de séries sud-coréennes qui voyagent, mais pourquoi certaines plutôt que d’autres ? Ce qui intéresse les décideurs des chaînes asiatiques dans Taeyangui Huye n’est pas juste le soucis de faire de bonnes audiences.
Que raconte-t-on sur le rôle de l’armée au public-cible de ces séries ? Rappelons que, comme en Corée du Sud, le service militaire au Vietnam dure deux ans, et est obligatoire pour les hommes de la même tranche d’âge que celle qui regarde ces romances. Et même si tout cela se fait en toile de fond d’une intrigue romantique, quelque chose est ici transmis qui dépasse le cadre seul de la romcom : nos jeunes soldats sont forts, et opérationnels, et mènent des combats justes. Forcément justes. Et cela les rend impossibles à vivre mais aussi séduisants. Très séduisants, mesdames, avez-vous noté combien ils sont séduisants ?

Ni Taeyangui Huye, ni son adaptation vietnamienne Hậu Duệ Mặt Trời, n’ont pour vocation de se poser des questions sur le rôle de l’armée ou sur la difficulté à maintenir une vie sociale pendant 2 ans lorsqu’on est obligé de faire son service militaire. Sans aller jusqu’à parler de propagande (un terme qui s’applique plutôt à la version thaïlandaise, vous en conviendrez), on est quand même devant une romantisation de ce qui est présenté comme un état de fait, sans jamais s’attarder sur les implications idéologiques.
Alors les romcoms, un produit inoffensif qui s’exporte sans arrière-pensée ? Vous me permettrez d’en douter.


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Et pour ceux qui manquent cruellement de lecture…

2 commentaires

  1. Mila ♥ dit :

    J’aime bien quand tu parles de séries asiatiques en commençant par des trucs du genre « Pendant que vous regardiez ailleurs » ou « Mauvaise nouvelle, ça fait 3 ans que j’aurais dû vous prendre par la peau des fesses pour regarder ce drama, et je m’y prends maintenant que vous allez tous vous ruer, par solution de facilité, sur la versions US. » (God’s Gift) parce que c’est un des rares moments sur ton site où je me sens parmi les gens qui sont au courant d’un truc « de niche », haha. (alors qu’en vrai, pour peu qu’on soit, comme moi, avant tout dramas, c’est pas du tout « de niche » MAIS BON)(let me enjoy this ;;)

    « Alors les romcoms, un produit inoffensif qui s’exporte sans arrière-pensée ? » pour reprendre ce que tu disais plus haut, en l’appliquant à moi: si un jour *je* viens à raconter ce genre de conneries, assurez-vous que ce seront les derniers mots que vous lirez de moi.

    Bon, puis je suis contente parce je n’ai pas vu Descendants of the sun…. au delà de l’épisode 2 (ou 3?) wouhou ! Juste assez pour comprendre de quoi tu parlais ! Le monde est bien fait quand même :des fois :’)

  2. Tiadeets dit :

    Je me demande s’il y a eu des recherches de fait sur le traitement de l’armée dans les séries de par le monde (et pas seulement aux US s’entend). Oui, très probablement. Il faudrait que j’aille regarder.

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