Sweet utopias

22 mai 2020 à 20:54

Maddie, Dana Sue et Helen ont grandi ensemble dans la petite bourgade de Serenity, en Caroline du Sud. La solide amitié forgée entre ces trois femmes a survécu aux aléas de la vie, et elles vivent ensemble les hauts et les bas. Lorsque l’existence de l’une d’entre elles bascule, les trois amies décident d’en profiter pour se lancer dans une affaire ensemble, et deviennent également partenaires en affaires.
Tel est le sujet de Sweet Magnolias, une série lancée ce mois-ci sur Netflix et qui m’attirait essentiellement parce que j’ai une certaine affection pour deux des actrices de sa distribution (JoAnna Garcia Swisher et Brooke Elliott, pour être précise). C’est-à-dire qu’elle était sur ma liste sans y être.

Ce n’est pas pour son concept suprêmement original qu’on vient à Sweet Magnolias. Et pour cause : il s’agit de l’adaptation d’une série de romans de Sherryl Woods ayant connu un grand succès, publiés par Harlequin.
Cela va au-delà : Sweet Magnolias veut volontairement sembler familière. La série se déroule dans une petite ville qui évidemment s’appelle Serenity (si ça n’avait pas été ça, alors ç’aurait sûrement été Trinity, Liberty ou Prosperity), où tout le monde se connaît, où on mentionne Dieu toutes les 2 minutes, où la vie est supposément plus douce, plus chaleureuse, plus simple. Vous l’avez déjà vue des centaines de fois cette bourgade, quand bien même c’était sous un autre nom.
Même au niveau des intrigues, on n’est pas là pour faire dans l’inédit, tout étant prévisible de bout en bout dans la façon dont hommes et femmes interagissent, ou dans les rapports parent/enfant. Vous aimez voir des femmes boire des margaritas en parlant de leurs problèmes domestiques et/ou romantiques ? C’est parfait, vous allez apprécier Sweet Magnolias.

Pour moi, ce qui est intéressant dans Sweet Magnolias, c’est le fait qu’elle existe sur Netflix.
Netflix est une plateforme qui s’est fait un nom initialement en allant chasser sur les terres des chaînes du câble US premium, avec des séries qui se voulaient transgressives. C’était la première étape, on le sait maintenant à voir son catalogue : il n’est plus tant question de produire des fictions d’excellence, que de produire des fictions qui touchent toutes les catégories de publics. Et il y a un public qui ne se serait certainement pas abonné à Netflix pour du House of Cards, du Orange is the new black ou du Jessica Jones : celui-là même qu’on trouve massivement rassemblé devant les séries de, oh je ne sais pas moi, disons Hallmark Channel, au hasard (bon ok c’est pas un hasard si je cite cette chaîne, d’autant que Chesapeake Shores est en effet issue d’une autre série de romans de Sherryl Woods). Ce que ce public recherche, c’est que ses séries se passent dans des petites villes où tout le monde se connaît, où on mentionne Dieu toutes les 2 minutes, où la vie est supposément plus douce, plus chaleureuse, plus simple. C’est même pas familial, c’est plus que ça encore (ou alors au sens où c’est la seule série que les membres de One Million Moms acceptent que leurs enfants regardent). C’est conservateur.
Et le secteur audiovisuel conservateur est une industrie éminemment juteuse aux USA ! Il y a de nombreux films qui connaissent un succès massif et dont on n’entend presque jamais parler si l’on n’appartient pas à ces cercles, qui sont produits et distribués dans des circuits parallèles aux blockbusters (à vrai dire nombre d’entre eux revendiquent totalement de ne pas faire partie du même système). Il y a, ça va de soi, des plateformes de SVOD dédiées à cette « industrie dans l’industrie », comme par exemple CrossFlix ou FishFlix, et qui ne se cachent pas de se placer en alternatives à des plateformes jugées trop « hollywoodiennes » (sous-entendu : décadentes). Quand je me déteste, je regarde des videos à propos de God’s Not Dead sur Youtube, ne faites pas attention.
Mais pour le moment, cet essor se limite aux longs-métrages.

C’est là qu’il y a un truc à jouer pour Netflix, avant que ces plateformes ne se piquent de financer des séries aussi. Alors la plateforme fait pour ce public exactement ce qu’elle a fait pour tous les autres qu’elle a voulu conquérir : commencer par acheter les droits de séries existantes (Chesapeake Shores, par exemple, est présente sur le service… comme on se retrouve), et puis en même temps, s’assurer de commander des séries originales similaires, histoire de ne pas avoir à se reposer sur le catalogue d’un tiers.
Abracadabra, Sweet Magnolias !
Soyons rigoureux : ce n’est pas la première fois que Netflix courtise ce public (c’était une partie des raisons derrière la commande du revival de Gilmore Girls, ou celle de la série anthologique de Dolly Parton). Cependant Sweet Magnolias est à ce jour l’exemple le plus évident d’efforts en ce sens. Tout dans ce premier épisode ne cesse de crier « regardez combien nous sommes wholesome« . Très fort. Le plus près possible de votre oreille.

En soi ce n’est ni une qualité ni un défaut d’être wholesome. A condition qu’on soit bien clairs sur une chose : Sweet Magnolias est une série qui a été créée pour envoyer en permanence des signaux à un public bien précis, et le conforter à tout moment dans une certaine vision du monde. Quitte à embrasser un certain nombre de clichés, à s’interdire de poser certaines questions à ses personnages, ou même à refuser d’articuler des dialogues naturels. Il n’y a aucun naturel dans ce que Sweet Magnolias (ou les séries en son genre) fait, comble de l’ironie pour un sous-genre qui se réclame d’une authenticité à toute épreuve quant au visage de la vraie Amérique.
Si ça vous convient, alors grand bien vous fasse. Allez regarder les aventures de ces trois trentenaires, et régalez-vous de cet univers où tout est parfait même quand ça va mal. Vous avez le droit, à vrai dire il m’arrive de le prendre aussi. Hey, quand j’étais plus jeune, je regardais assidûment Touched by an Angel et 7th Heaven, je ne suis là pour jeter la pierre à personne ! J’ai même une théorie personnelle selon laquelle la popculture conservatrice véhicule une forme de science-fiction aspirationnelle, qu’il est parfaitement compréhensible de vouloir regarder même quand on n’en partage pas nécessairement les idées. Nan mais j’écoute de la country, qu’est-ce que vous voulez que je dise d’autre ?
Mais je pense que, de la même façon qu’on discute de façon critique de n’importe quelle autre série, il faut aussi dire les choses : la fiction conservatrice est encore très, très limitée… dans sa forme comme dans son fond. Parce qu’elle est toute entière tendue vers son objectif de dépeindre une vision très précise de la vie aux USA, son écriture, sa réalisation, et bien souvent son interprétation, manquent de richesse*. Elle se veut aussi « évangélisatrice » quant aux valeurs qu’elle véhicule… ce qui encore une fois, est vrai de beaucoup d’autres types de fiction (et on devrait sûrement en discuter plus souvent aussi, de cet impératif progressiste et ses manifestations), mais celle-ci a une façon très particulière de faire passer ses idées pour des normes absoutes de toute critique ou même interrogation. Ce sont, paradoxalement, des fictions très politiques, quand bien même elles se présentent comme des séries qui ne le sont absolument pas : on n’y discute ja-mais de questions politiques, par contre les dog-whistle politics sont partout.
A mon sens, c’est important de le dire, et de ne pas faire passer ces divertissements en apparence tous publics pour des divertissements qui courtisent tous les publics. Il y a une nuance.

Donc voilà, je ne sais pas si cette review vous en dit beaucoup sur les amourettes des unes et les difficultés professionnelles des autres, mais ça me semblait important à dire sur ce premier épisode. Après, c’est vous qui voyez ce que vous en faites.

*Je suis tellement pas opposée à Sweet Magnolias que j’en ai, en réalité, vu déjà trois épisodes au moment où j’écris ces lignes. Et je dois admettre que les personnages sont un tantinet plus complexes que la moyenne pour des fictions de ce genre, mais ça se joue à pas grand’chose.


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Et pour ceux qui manquent cruellement de lecture…

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