Rien à feutre

20 mars 2021 à 20:35

Malgré tout le scepticisme que m’inspire régulièrement Netflix, la plateforme a aussi des mérites. L’un d’entre eux, et non des moindres, est d’avoir amélioré en l’espace de quelques années seulement l’accès aux séries du monde arabe. Tardivement, si l’on compare avec d’autres territoires ; sans nul doute. Mais amélioré quand même. On partait de loin ! Le concept-même d’importation (et donc de traduction) de ces séries était proche de zéro… aujourd’hui on se retrouve avec des séries originales Netflix commandées au Liban, en Jordanie ou en Egypte, en plus d’acquisitions de séries diffusées à la télévision traditionnelle.

En ce mois de mars, Netflix a même lancé une nouvelle série… et ce n’est même pas le Ramadan ! On a atteint une forme d’opulence incroyable, vous ne vous rendez pas compte.
Cette série, c’est Abla Fahita : Drama Queen, une comédie dont l’héroïne est une veuve au caractère insupportable qui se trouve empêtrée dans une affaire des plus sordides. La série est plutôt courte, toutefois fidèle à mes habitudes je ne vais vous parler aujourd’hui que du pilote… après vous avoir brièvement présenté son héroïne.

Abla Fahita est à l’origine une personnalité qui a connu la gloire grâce à Youtube ; ses videos (la première à trouver écho parlait de… fajitas) ont séduit pour leur ton irrévérencieux, qui n’a que gagné en vigueur avec la révolution égyptienne de 2011, quand elle a ouvertement critiqué certaines figures politiques. Depuis, l’ascension a été constante : apparitions dans une émission satirique, puis obtention de son propre show hebdomadaire à partir de 2015, contrats publicitaires et même un Lion à Cannes, Abla Fahita a tout fait… mais pas sans s’attirer des critiques. Son anti-conformisme, ses positions politiques, son goût pour les hommes séduisants (et sa propension à la nudité, à l’occasion), ne pouvaient pas plaire aux conservateurs. Menacée plusieurs fois de censure et d’interdiction, la voilà pourtant qui trouve un public international grâce à Netflix. Le conte de fées, quoi.
Qui aurait cru que cette marionnette partie de rien deviendrait une superstar internationale ?


Quand commence Abla Fahita : Drama Queen, l’héroïne éponyme a la grosse tête, justement. Elle se prépare à monter sur scène pour le rôle principal d’une comédie musicale, et en profite pour terroriser son entourage : sa fille aînée Caro qu’elle traite comme une moins que rien, mais aussi manager, régisseuse, costumière… Hélas pour elle, ses caprices ne lui évitent pas un scandale. A un moment-clé de la pièce où elle doit révéler un costume, elle s’aperçoit qu’elle a oublié de l’enfiler et se retrouve nue sur scène. C’est le déshonneur ! Elle est accusée de l’avoir fait exprès et perd tout, du jour au lendemain.
L’intrigue ne démarre vraiment que trois mois après cette soirée, lorsque, affamée (ainsi que ses enfants, Caro et le bébé Boudi), elle décide d’accepter l’offre à dîner d’un homme d’affaires qui la courtise depuis des mois. Au départ elle espère juste profiter des miettes de son statut de star pour manger à l’oeil, mais rapidement elle se trouve à devoir réellement négocier un contrat avec l’homme obséquieux qui l’a invitée dans son nightclub.

Abla Fahita : Drama Queen n’hésite pas à montrer d’abord son héroïne sous un jour profondément antipathique. Tout ce qui fait d’elle une icône la rend aussi insupportable au quotidien : cette langue bien pendue, cette façon de ne pas mâcher ses mots, son ego surdimensionné, sont détestables au possible. L’exposé de ses torts prend une grande place pendant ce premier épisode.
Parce qu’Abla Fahita est une marionnette, ces défauts peuvent être poussés à leur paroxysme avec plus de facilité sans avoir l’air totalement aberrants ou la rendre réellement repoussante. C’est même ce qui permet de rire de ses excès. De la même façon, certains plans ou bien-sûr la scène du « scandale » seraient impossibles avec une actrice en chair et en os. Il y a même une inventivité renouvelée dans la façon de filmer la série, et plein de super bonnes idées visuelles pour tirer partie pleinement la nature de son héroïne. Mais il faut noter que personne, absolument personne, ne semble remarquer qu’elle est une femme en tissus, ce qui est toujours ma façon préférée de traiter les marionnettes dans des séries ! Jurisprudence Randy Feltface.

Comme beaucoup de séries égyptiennes que j’ai pu voir avant elles, Abla Fahita : Drama Queen semble parfois bavarde, voire même lente. Personnellement je le perçois comme une spécificité, et à l’occasion comme une force, mais de toute évidence ça ne plaira pas à tout le monde. Sans doute que pas mal de subtext m’a échappé, aussi, et je reconnais que j’ai des lacunes d’une façon générale dans le domaine de la fiction égyptienne (et la popculture égyptienne dans son ensemble) ; c’est bien pour ça que je suis si ravie qu’on puisse en voir plus qu’avant ! Il y a pourtant très peu de temps dans cette (première ?) saison de 6 épisodes, alors je gage que pour faire la lumière sur les événements du nightclub, Abla Fahita va devoir s’activer un peu au lieu d’invectiver tout le monde à longueur d’épisode.
On ne se tape pas forcément sur les cuisses en regardant Abla Fahita : Drama Queen, par contre il y a un délice indéniable à faire connaissance avec cette bonne femme un peu odieuse, mais en même temps tellement sûre d’elle, de sa valeur, de sa place dans le monde. La tournure des événements va-t-elle lui insuffler un peu d’humilité ? Je ne le parierais pas, vu l’essence-même du personnage. Qu’importe. Malgré son tempérament (et en même temps, à cause de lui), on a envie de voir Abla Fahita se tirer du pétrin.

Comment ? C’est ce que je vais découvrir par moi-même, et je vous encourage à en faire autant.


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Et pour ceux qui manquent cruellement de lecture…

1 commentaire

  1. Tiadeets dit :

    Ce n’est pas mon genre de séries, mais rien que le fait qu’elle existe me met en joie !

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