Kill it dead

4 avril 2021 à 23:39

Une fois de temps en temps (rarement, mais ça arrive quand même), je me promets d’essayer une série un peu effrayante. Je suis, de nature, plutôt une froussarde, mais parfois il m’est possible de prendre sur moi. Au moment où le mois dernier je me sentais pousser des ailes, une nouvelle série fantastique sud-coréenne s’apprêtait à démarrer. Timing impeccable pour l’arrivée de Joseon Gumasa, donc !

Les plus avisées parmi vous ont déjà une petite idée de ce vers quoi cette review se dirige, ou au moins en partie. Les autres, installez-vous, vous allez adorer.

Joseon Gumasa (ou Joseon Exorcist de son titre international) jongle entre plusieurs genres, mais vous pouvez en deviner au moins un. Il va effectivement être question d’exorcisme ici, mais aussi d’intrigues de palais et d’Histoire.
La série se déroule au 15e siècle sous le règne du roi Taejong ; outre celui-ci, le premier épisode dépeint également le destin de ses 3 fils : l’aîné Yangnyeong, destiné à porter la couronne mais ne semblant jamais s’en montrer digne aux yeux de son père ; le cadet Chungnyeong, encore un peu naïf mais désireux de bien faire ; et le benjamin Kangnyeong, qui n’est encore qu’un enfant. Une décennie plus tôt, Taejong a dû faire face à la pire menace qu’ait connu son royaume : certains sujets vivant au fort de Hamju sont devenus d’atroces monstres, capables de transmettre leur condition par une simple morsure, et il a dû les exterminer tous pour s’en débarrasser. Plus encore, il a étendu le bain de sang au personnes non-contaminées vivant dans le fort. A priori l’épidémie aurait dû s’arrêter là, mais voilà donc que 10 années plus tard, de nouveaux monstres font leur apparition.
Quand Kangnyeong lui-même est attaqué et égratigné par l’une de ces créatures, Taejong prend peur. Pas vraiment pour son fils, mais surtout pour son royaume…

La première chose à savoir c’est que Joseon Gumasa est très sanglante ; quand bien même le sang des créatures (qui doivent beaucoup aux zombies, et un peu aux vampires) est bleu, des humains au sang parfaitement rouge sont sont aussi zigouillés dans tous les sens, si bien qu’on a l’impression que ce premier épisode pisse le sang en permanence (ça donne, cela dit, certains visuels symboliquement pas dénués d’intérêt). Non mais c’est bien, moi qui n’avais pas eu le courage de regarder Kingdom parce que je craignais que ce soit trop gore, je suis parée là.
La seconde chose à savoir, c’est que Joseon Gumasa est très sanglante. Je sais, je l’ai déjà dit, mais croyez-moi l’avertissement est nécessaire.

La troisième des choses, c’est l’ambition qui transparaît dans le premier épisode de Joseon Gumasa. Les costumes, les décors, les scènes d’action, le fait que la série se déroule en plusieurs langues aussi (des exorcistes catholiques sont de la partie, et s’expriment en latin)… l’ampleur dépasse pas mal de production historiques sud-coréennes. Et d’ailleurs, celles-ci sont rarement aussi explicites en matière de violence (je vous renvoie aux deux premiers de mes points), ce qui est une forme d’ambition également. Impossible de qualifier Joseon Gumasa de production parmi tant d’autres.

La quatrième des choses tient moins à la série elle-même qu’au phénomène autour.
La réaction devant le premier épisode de Joseon Gumasa, diffusé le 22 mars dernier, n’était pas exactement négative… du moins dans un premier temps. Mais en moins de 5 jours, le vent a totalement tourné. Les critiques ont fusé et les plaintes se sont faites si insistantes, que SBS a décidé d’annuler la série au bout de 2 épisodes diffusés seulement. Or, des annulations, à la télévision sud-coréenne, ça ne se produit quasiment pas. C’est pas la télévision US, ici.
Alors à quoi tenaient ces critiques, pour qu’une telle chose soit arrivée ? Pour simplifier, cela venait du fait que la série utilisait des personnages historiques réels, comme le roi Taeyong, tout en déformant la réalité historique ; qui plus est, les spectatrices ont relevé de nombreux objets et plats utilisés dans la série qui n’étaient pas coréens, mais chinois. Et je sais ce que vous allez me dire : que si on commence à annuler toutes les séries historiques qui ne sont pas de rigoureux documentaires, on n’a pas fini. Qu’une série avec des zomb-ires à exorciser, ça n’avait pas vocation à être réaliste de toute façon. Et que bon, peut-être que la production aurait pu faire gaffe aux accessoires utilisés, mais de là à annuler une série qui était déjà tournée à 80%, et dont les droits avaient déjà été réglés par la chaîne SBS, faut pas pousser non plus.

Je ne suis pas la personne la plus qualifiée pour vous parler de l’Histoire coréenne, et pas plus pour vous parler des relations entre la Corée du Sud et la Chine. En revanche je suis relativement bien placée pour vous parler d’industrie télévisuelle.
Joseon Gumasa était (du coup je bascule sur un temps passé) une série certes tournées en coréen avec des acteurs coréens, mais produite par une société chinoise, Jiaping Pictures. En outre, le directeur de la branche coréenne de Jiaping, un certain Eun Joo Ahn, a la nationalité chinoise et se trouve être également le directeur du quotidien Renmin Ribao. Pour ne rien arranger, le scénariste de la série Gye Ok Park aurait signé un contrat d’écriture pour plusieurs séries avec Jiaping… et il venait d’écrire une autre série historique, Cheorinwanghu (alias Mr. Queen de son titre anglophone). Une adaptation d’une série chinoise de 2015, Tai Zi Fei Sheng Zhi Ji
Ce qui inquiétait donc, ce n’était pas que Joseon Gumasa ait pu inclure des erreurs dans sa reconstitution historique… mais que ces modifications de l’Histoire coréenne aient été faites tout-à-fait sciemment, avec un objectif politique. Cela explique que les sponsors de la série aient retirés leurs billes vite fait à mesure que la contestation prenait de l’ampleur, laissant Joseon Gumasa sans annonceur. Rien ne signe mieux l’arrêt de mort d’une série que couper les cordons de la bourse.

En un sens, bien-sûr, c’est dommage. Annuler une série avant la fin, c’est toujours un peu dommage, quel qu’en soit le motif. Et puis là de toute évidence on était sur une série un peu hors du commun.
Mais le tournage de la série étant très avancé, le financement largement engagé, les sponsors évaporés, et les délais courts impossibles à tenir (rappelons en outre que la diffusion typique d’une série sud-coréenne, c’est 2 épisodes par semaine), il était inimaginable de changer les paramètres de production de Joseon Gumasa pour finir la série dans des conditions qui auraient apaisé les esprits. En admettant qu’il y ait un moyen de les apaiser, ce qui n’est même pas garanti.

Adieu, donc, Joseon Gumasa ; une série de deux épisodes qui aura vécu ce que vivent les roses, mais qui marquera les esprits. Moi en tout cas, je ne prévois pas de dormir dans les prochains jours…


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Et pour ceux qui manquent cruellement de lecture…

1 commentaire

  1. Tiadeets dit :

    Toute l’histoire autour de la série est intéressante et est un bel exemple des techniques de la Chine au niveau culturel pour faire passer son message. Il y a énormément de bisbilles en ce moment entre la Chine et la Corée (je pense notamment au kimchi qui est au centre d’une bataille parce que la Chine semble avoir une campagne pour en clamer la provenance chez elleux ce qui ne plaît pas aux coréens).

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