What a… wonderful ? world

23 avril 2021 à 21:23

Ces dernières années ont émergé ce que certaines publications qualifient de « dystopies féministes », qui consistent en général à montrer toutes sortes de violences sexuelles et reproductives commises à l’encontre des femmes (comme si elles ne se produisaient pas déjà…). Quand ce n’est pas une apocalypse qui conduit l’humanité à lorgner sur notre utérus soi-disant à des fins de survie, c’est un gouvernement totalitaire qui fait main-mise dessus pour des raisons idéologiques. Et si des séries comme The Handmaid’s Tale ou Leila (et dans une moindre, bien moindre mesure, The Lottery) ne sont pas sans mérites sur un plan thématique, sur un plan émotionnel, pardon, mais ça fait beaucoup à encaisser en tant que spectatrice.

Et puis d’abord, pourquoi une apocalypse tournerait toujours en notre défaveur ? Hein ?! C’est un peu la question que semble se poser Creamerie, une dramédie néo-zélandaise qui a démarré ce mois-ci, et qui propose un autre genre de scénario. Cette fois, tous les hommes ont disparu.
En tout cas… en théorie, parce que vous voyez comme moi cette photo de promo.

Qu’on se le dise, les créatrices de Creamerie ont commencé à développer la série avant la crise COVID (hop ! j’ai mentionné COVID, tout le monde boit un coup), mais comme on la regarde pendant, forcément la première scène de la série fait son petit effet… On assiste en effet au début d’une terrible épidémie, assez gore, dont on a tôt fait de comprendre qu’elle touche uniquement les hommes. Les femmes se retrouvent ainsi en l’espace de quelques semaines seules au monde et…
Et ma foi, ça va. Bon alors oui, toutes ont perdu quelqu’un dans cette terrible épidémie, mais le monde continue de tourner. En fait, l’intrigue réelle ne commence que 8 années plus tard et euh, pardon hein, mais ça va. Globalement ça va.

On pourrait même dire que c’est une utopie féministe : les femmes occupent tous les postes de pouvoir, forcément ; les coudées désormais franches, elles ont donc décidé d’implémenter un système de santé universel, l’éducation gratuite, des congés menstruels obligatoires, et mille autres choses encore. Il semble même que le travail du sexe ait été légalisé et normalisé.
Mais surtout, elles ont le contrôle total de leurs droits reproductifs. Dont elles jouissent encore, parce qu’elles ont mis la main sur les réserves des banques de sperme du monde entier, et qu’elle organisent des tirages au sort pour celles qui veulent enfanter de la prochaine génération de femmes (les embryons masculins continuant de décéder à cause de l’épidémie, ce qui fait quand même un risque de 50% de fausses couches, mais bon, ça, c’est inévitable).

Les héroïnes de la série soit trois femmes asiatiques en charge d’une ferme laitière : Alex, Jamie et Pip.

Philipa dite Pip est un petit bout de femme féministe, végétarienne (mais j’ai cru comprendre que la majeure partie de cette société était végétarienne), et secrètement ambitieuse. Elle reprend sans cesse ses camarades quand elles prononcent des termes comme « you guys« , parce que c’est triggering d’évoquer le genre masculin, ce genre de choses. C’est une nerveuse, sûrement parce qu’elle essaie en permanence de se faire bien voir par les autorités, et notamment Lane, qui est devenue (le pilote n’explicite pas trop comment ni pourquoi, mais il y a des signes) la leader incontestée de Wellness, l’organisation qui gère leur vie en communauté, et en particulier l’attribution des échantillons de sperme. Jamie quant à elle espère qu’elle sera choisie pour recevoir un embryon, mais son histoire est plus tragique : elle a perdu son mari Jackson et leur fils à cause de l’épidémie, et ce deuil la rend encore fragile. Sa belle-soeur Alex est, des trois, celle qui adhère le moins à l’utopie féministe de Lane ; en théorie elle est celle qui devrait être la plus heureuse, en tant que femme lesbienne, mais sa rébellion permanente semble plutôt indiquer qu’elle est la plus malheureuse ; elle ne comprend pas que personne d’autre ne semble voir ce qu’elle voit.

Dans cet épisode introductif, Alex jette le smoothie végétarien de Pip sur Lane, et est donc punie pour cette attaque. Dans cette société qui visiblement ne croit pas à la prison, c’est l’insertion dans son cou d’une « bliss ball » la rendant euphorique pendant plusieurs jours qui lui sert de sentence. Une camisole chimique, donc. Mais comme on va s’en apercevoir, ce n’est pas son premier rodéo…

Creamerie établit les règles de cet univers, avec un humour plus que noir par moments. J’ai apprécié sa façon de dépeindre une utopie féministe sans nécessairement tourner en dérision les idéaux eux-mêmes, mais plutôt leur application et l’hypocrisie qui l’entoure. Ce ne peut être un hasard que Lane soit une femme blanche, conventionnellement belle et blonde, et qu’elle occupe le poste le plus important possible… tandis que Pip, Jamie et Alex sont trois femmes racisées qui se chargent de plus basses besognes.
Divers autres éléments mettent aussi la puce à l’oreille. Il y a un passage à la clinique pendant lequel Jamie regarde une video sur Wellness qui évoque les publicités pour Veridian Dynamics (les vrais savent, les autres ont internet). Le positivisme forcené, alors que le monde a vu la moitié de sa population disparaître il y a moins d’une décennie, a des aspects dérangeants, surtout quand la prostituée que fréquente Jamie suggère qu’elle a des instructions strictes pour ne pas imiter les hommes, pas même pour des jeux de rôles sexuels. Quant à la mère d’Alex (et belle-mère de Jamie, si vous avez suivi), une femme âgée asiatique donc, on ne la voit qu’une poignée de secondes mais sa trajectoire a tout de sordide.
Cette utopie n’en est donc pas une, comme c’est si souvent le cas dans la fiction. C’est vrai qu’un jour j’aimerais bien en voir une, de vraie utopie, dans une série ; je persiste à penser que ce serait un incroyable défi à relever, dramatiquement parlant. Mais en attendant j’aime bien la façon dont Creamerie, lentement, détricote son utopie et nous montre qu’elle est en réalité un mensonge imposé à la collectivité. Parce qu’après tout comment voulez-vous mettre en place une utopie en moins d’une décennie, juste parce qu’une partie de la population a disparu ? Les choses tiennent à plus que cela.

C’est à un tel point que j’avais complètement accepté de mettre de côté les hommes pendant ce premier épisode, tant il y a de choses à dire sur la vie de ces femmes, l’organisation de leur société féministe encore jeune, et les différents indices prouvant que les choses ne vont pas si bien que ça. Si bien que lorsque le twist qui est voué à se produire (voir aussi : photo de promo) s’est effectivement produit, j’ai été sincèrement interloquée. Je ne sais pas où la série va aller à partir de là, et elle n’a que six épisodes pour le dire ; mais mon intérêt est largement piqué.
Creamerie est en outre le travail conjoint de quatre femmes Chinese-Kiwi : les autrices Perlina Lau, JJ Fong et Ally Xue (qui incarnent respectivement Pip, Jamie et Alex) ainsi que la réalisatrice Roseanne Liang, qui ont déjà travaillé ensemble sur plusieurs webséries indépendantes, mais dont c’est la première série pour le petit écran. Pour autant que je puisse en juger, c’est aussi une première pour une série néo-zélandaise (et au-delà) que de voir 4 femmes asiatiques à la tête d’une même série.

Cela fait, à bien des égards, de Creamerie une série nécessaire, et décidément dans l’air du temps. Si avec tout ça vous êtes encore devant ma review et pas encore devant le premier épisode de la série, je commence sincèrement à douter de vous.


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Et pour ceux qui manquent cruellement de lecture…

2 commentaires

  1. Milou dit :

    Encore merci pour cette découverte ,
    j’ai vu ce premier ce épisode et effectivement peu de choses distillées et encore beaucoup à voir j’espère…

    A suivre.

    Merci encore.

  2. Tiadeets dit :

    Oh la série me tente beaucoup ! Il va falloir que j’aille la trouver !

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