LAgos Law

23 octobre 2021 à 17:37

Si vous avez lu deux ou trois trucs sur la télévision nigériane (mettons, complètement au hasard, ici), vous avez certainement entendu parler de Mo Abudu. Créatrice de séries, mais aussi créatrice depuis 2013 de sa propre chaîne de télévision, EbonyLife TV, elle est devenue une productrice ainsi qu’une exécutive de premier plan. Il y a très peu de femmes dans le monde (quand bien même certains médias occidentaux tentent de les comparer…) qui ont pris un tel contrôle d’un empire télévisuel à autant de niveaux.
En 2018, elle a figuré parmi les premières au Nigéria à orienter sa politique vers le streaming, et a lancé sa propre plateforme, EbonyLife ON (l’essentiel du marché du streaming en Afrique passant par la téléphonie mobile, une app pas mal de sens). En parallèle, elle a aussi co-créé et produit une nouvelle série, Castle & Castle, promue comme le tout premier legal drama de son pays. C’est l’avantage quand on porte deux casquettes : on peut mettre ses propres séries à l’antenne sur le modèle de diffusion qu’on veut ! Ou vice-versa, d’ailleurs.

Netflix a d’ailleurs bien compris à qui on avait ici affaire, et (dans un climat où la plateforme n’a pas grand’chose de solide sur le continent en-dehors de l’Afrique du Sud) a fait l’acquisition de Castle & Castle pour la production d’une saison 2. A cette occasion, ainsi qu’en parallèle de la fermeture de la chaîne linéaire EbonyLife TV, la saison 1 a été mise à disposition sur Netflix.
…Ce qui fait que par ricochets, je suis enfin en mesure de vous parler de son premier épisode.

En fait, quelque chose qui semble important à préciser, c’est que Castle & Castle n’est pas exactement un legal drama. Parler de legal dramedy semble beaucoup plus approprié ici ! La série alterne en effet les intrigues sérieuses avec d’autres qui le sont volontairement beaucoup moins, et j’avoue qu’en voyant le matériel promotionnel de la série jusqu’alors, je ne m’attendais pas trop à ça.

La série porte le nom de Tega Castle et Remi Castle, un couple qui gère ensemble un cabinet d’avocates. Tega, que toute le monde appelle Professor, était enseignant en droit lorsqu’il a rencontré Remi, son étudiante, a eu une aventure avec elle et l’a mise enceinte… hors des liens du mariage. Le scandale. C’était il y a longtemps et leur fils Ben est adulte à présent, mais on va percevoir à deux ou trois reprises que l’épisode n’a pas été digéré totalement, en particulier par le père de Remi, un homme influent qui possède l’immeuble de bureaux où le couple a installé son cabinet. Le paternel pense d’ailleurs que ça lui donne le droit d’interférer avec les affaires de Castle & Castle et associés.
Pourtant quand commence cet épisode inaugural, il semblerait n’y avoir aucun nuage à l’horizon pour le couple. Tega et Remi sont même à deux doigts (…pardon du jeu de mot) de s’envoyer en l’air dans la salle des archives du cabinet, lorsque la réceptionniste les prend sur le fait. Il faut dire que ce soir-là, il y a quelque chose à fêter : un associé du cabinet, Mike, a remporté une affaire énorme, avec un budget tout aussi énorme. Ce soir, c’est donc champagne chez Castle & Castle !

…Mais ce serait trop facile si ça durait. Car très vite, Castle & Castle commence à chercher la petite bête.
Il y a, pour commencer, des tensions entre les associées, le succès de Mike suscitant des jalousies. L’interruption du père de Remi nous apprend aussi que Tega travaille sur des dossiers pro bono, qui par définition ne font pas rentrer d’argent dans les caisses et sont en outre peu reluisants pour des clientes potentielles qui chercheraient un cabinet d’affaires prestigieux.
Mais surtout c’est le soir que Mike a choisi pour annoncer qu’il donnait sa démission, et avait l’intention de se mettre à son propre compte, faut d’avoir été promu partenaire suite à son succès récent. Et ça va créer un problème entre Tega et Remi, qui ont une approche très différente du problème : le professeur n’a aucune intention de changer quoi que ce soit à la direction de ses affaires, et Remi pense au contraire qu’il s’agit d’un sacrifice utile pourvu de pouvoir garder leur meilleur élément au cabinet. En outre, Mike, lui, rapporte de l’argent, ce qui n’est pas le cas des causes pour lesquelles Tega travaille pro bono, aussi le conflit s’envenime-t-il. Faudra-t-il céder un peu du contrôle du cabinet pour le garder à flots ?

Là, dit comme ça, l’intrigue paraît sérieuse. Mais comme tout bonne série judiciaire qui se respecte, Castle & Castle a une intrigue secondaire. Et en matière de ton, c’est le grand écart !
Se présente en effet au cabinet (le lendemain du pot) un pasteur et deux de ses ouailles, qui viennent déposer plainte contre l’un des chanteurs les plus populaires du moment, l’accusant d’avoir volé un hymne composé au sein de la chorale de leur église pour le sampler. Son dernier titre, qui tourne en boucle sur toutes les radios du pays, présente effectivement de curieuses ressemblances avec l’hymne en question.
Le truc c’est que notre homme d’église et ses deux groupies chantantes sont, quand même, assez ridicules, et que le personnel de Castle & Castle a bien du mal à garder son sérieux devant une telle affaire. Mais quand la star arrive en plus dans les locaux, dans le cadre d’une négociation avec le plaignant, l’hystérie est vite à son comble. Sur cet axe, la série se fait clairement plaisir, joue de ses personnages les plus humoristiques (la standardiste Stella, notamment) et en rajoute dans le ridicule consommé, à dessein. C’est une partie plaisante mais pas inoubliable de l’épisode.

Dans l’ensemble, ça se regarde avec plaisir. Comme beaucoup de séries dans son genre (tous pays confondus, de The Good Wife à The LAB), la série se passe en grande partie non pas dans une cour de Justice, mais dans des bureaux, et les intrigues sont principalement corporate. Cela ne veut pas dire que personne ne gère de dossiers, mais simplement que la série élargit son champs d’action pour étudier un peu plus que les affaires ; cela lui offre l’opportunité de varier pas mal le ton de ses intrigues, passant volontiers du drama austère à la comédie puis même, dans une certaine mesure, au soap.
Et ça marche ! Même dans le décor limité des bureaux de Castle & Castle, la série réussit à avoir plein de choses à offrir dés ce premier épisode, tout en présentant des protagonistes intéressantes. En particulier, Tega et Remi sont formidablement bien interprétées (même si j’ai tendance à préferer le jeu de Richard Mofe-Damijo, qui incarne Tega avec distinction, bonne humeur et intelligence), d’autant que le couple partage une réelle intimité qui est à la fois la force et la faiblesse de leur cabinet. Cette relation devrait être encore plus compliquée par la suite, vu que sur la fin de l’épisode on apprend que Ben est sur le point de revenir à Lagos…

Visiblement tournée avec un budget modeste (même si, comme souvent dans les séries africaines, la garde-robe du cast fait illusion), mais attachée à être une série efficace aux intrigues à la fois fines et divertissantes, Castle & Castle réussit son premier épisode. Des bases sont posées sur le long terme, mais il y a aussi, très nettement, une volonté d’offrir aussi de la satisfaction à plus court terme, et le mélange fonctionne bien (peut-être pourvu de ne pas en attendre un immense chef d’oeuvre). Bon, je ne suis pas toujours fan de toute la distribution ; le pasteur par exemple, ou un employé mineur du cabinet, sont moins convaincants. Mais globalement ça se tient et les protagonistes centrales sont vraiment faciles à apprécier.
Même si… bah, en toute honnêteté, Castle & Castle n’est pas ma série nigériane préférée de 2021. Eh oui, année faste, je me prépare à vous parler d’une autre série de ce pays, quand bien même il faudra vous armer un peu de patience dans l’immédiat, parce que je veux rendre parfaitement justice à King of Boys : The Return of the King, également proposée par Netflix cet été.
Certains jours je critique Netflix (et de toute évidence ne suis pas la seule), mais cette plateforme a parfois du bon en matière de découverte téléphagique. Ca ne compense certainement pas, mais il faut dire ce qui est : voir des séries africaines, avant, c’était un peu mission impossible.


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Et pour ceux qui manquent cruellement de lecture…

2 commentaires

  1. Tiadeets dit :

    Très intéressant et aussi très intéressant de voir que malgré le fait que la plupart des systèmes juridiques sont différents suivant les pays (je dis la plupart parce que je crois me souvenir que certains pays du Commonwealth continuaient d’avoir des systèmes copiés-collés de l’ancien mère patrie qui permettait d’être avocat dans le pays même avec des études venant d’un autre pays, mais bref, je m’égare), donc malgré ces différences, les séries qui sont produites sur des avocats et autres juristes restent similaires sur pas mal de points.

    • ladyteruki dit :

      D’une certaine façon, c’est parce que ce qui nous attire (narrativement parlant) dans le monde juridique et/ou judiciaire, ce n’est pas tant le fonctionnement du système que ce qui est révélé par lui. En outre le legal drama s’accommode si bien d’être mêlé à d’autres genres (policier, dramatique, soapesque, comique… même médical à l’occasion !) que c’est un vrai bac à sable pour scénaristes.
      Et oui, j’avais cru comprendre ça pour le Commonwealth aussi, entre autres en regardant les séries australiennes Rake ou (rien qu’au titre !) Crownies.

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