No pasarán

22 décembre 2021 à 19:32

En décembre, comme vous le savez, c’est le moment de l’année où je finis des brouillons en souffrance pendant les mois précédents. C’est la dernière opportunité pour certaines séries d’avoir leur propre review : après, très souvent, il devient trop tard. Il y a naturellement des exceptions, mais le flux de nouveautés est tel qu’à un moment, il faut admettre que certains articles ne seront jamais finis, trop de temps a coulé sous les ponts téléphagiques. L’une des miraculées en cette fin d’année est la série historique Król, diffusée l’an dernier par Canal+ Premium, filiale polonaise de…
Eh bien naturellement, de Canal+, ce qui explique la diffusion dans nos contrées de la série cet été, sous le titre The King.

Loin de moi l’idée de faire du mauvais esprit (mon Dieu ! non, c’est pas le genre de la maison), mais s’il seulement était aussi facile pour Canal+ de diffuser les séries africaines du groupe que de diffuser les séries polonaises… Enfin bon, on fait toutes des choix, hein ? Et les choix du groupe Bolloré, on les connaît. Bref.
Donc, avec quelques mois de décalage, voilà ma review de pilote.

Et ma review c’est que je sais pas trop quoi en penser.

Objectivement, ce n’est de toute évidence pas une série de mauvaise facture. Król est une série historique démarrant en 1937, sur fond de montée du fascisme dans toute l’Europe.
En Pologne, la Falanga est l’une des incarnations de cette montée ; le groupe, bien que marginal, est très actif et son leader Bronisław Żwirski, qui ne se cache absolument pas de détester les Juifs, ne manque pas d’ambition pour la Pologne, dont la grandeur lui semble indissociable du catholicisme.
La série ne se concentre pas sur ses activités, ou sur le climat antisémite qui s’installe à Varsovie (en particulier au sein de la police), bien que ces éléments soient évidemment mentionnés. Król s’intéresse plutôt à l’univers de la mafia juive, dont le chef incontesté est Jan Kaplica. Celui-ci a trouvé un équilibre bien particulier : il se pose en bienfaiteur des masses opprimées (et tient volontiers des propos socialistes voire marxistes), organise une soupe populaire, et semble globalement apprécié… Mais il est également respecté en temps qu’ancien combattant indépendantiste, et bien-sûr, craint, car sa bienveillance s’arrête où commencent ses propres intérêts. En particulier, il est également l’usurier de nombreux foyers pauvres du quartier juif.
Dans le premier épisode de Król, l’exposition met plutôt bien avant sa position complexe, et en apparence parfois contradictoire. Ce n’est pas un homme mauvais, et par certains aspects il semble vraiment croire en ce qu’il dit ; mais c’est également quelqu’un qui tient à préserver le pouvoir qu’il possède, par la force s’il le faut, et qui n’hésite pas à entrer dans des négociations plus politiques si cela lui permet de se maintenir à son rang. A ses côtés, se trouvent deux hommes de confiance. D’une part, Janusz Radziwiłek (ou « Doktor »), un militaire froid voire même cruel, qui ne rêve que de se lancer dans le trafic de drogues pour enrichir plus encore son clan (et lui-même). Quoi qu’il en coûte pour autrui. Et puis d’autre part, Jakub Szapiro, un boxeur en fin de carrière qui joue également les hommes de main, notamment en collectant les dettes… ou en punissant les mauvais payeurs pour le compte de Kaplica. La série suit en fait, plus qu’aucun autre personnages, sa perspective et sa vie intérieure, qui par certains aspects rappelle un peu celle de Don Draper : c’est un homme séduisant, influent et respecté… mais aussi profondément torturé.

J’ai plusieurs problèmes avec ce que je viens de vous dire. D’abord, oui, ce cliché de l’homme qui fait des trucs sales et s’en veut, mais qui continue de les faire comme s’il n’était pas l’une des personnes les mieux placées de son milieu pour faire des choix différents (le crime, ça paie, il suffit de voir l’appartement de Varsovie où il vit avec sa parfaite épouse et leurs deux enfants). Sauf qu’au contraire, il s’apprête à redoubler d’investissement dans son activité criminelle. Mais bon, on a l’habitude.
Non, ce qui me chiffonne le plus, c’est que la série soit montrée à la fois comme une série sur le crime organisé (et le crime organisé dans la communauté juive en particulier), ET une série sur la Pologne de l’entre-deux guerres. Le mélange me met très mal à l’aise. Je sais que le crime organisé et la politique ne sont pas si éloignées l’une de l’autre, et qu’il y a eu des périodes où c’était plus vrai encore ; d’ailleurs, même si je n’ai pas suivi la série, j’ai cru comprendre que Peaky Blinders (à laquelle Król, plutôt à raison pour ce que j’en ai vu, est régulièrement comparée) soulignait aussi combien ces deux mondes étaient poreux. Il y a une violence dans la politique rarement montrée dans les séries, en particulier lorsqu’elle concerne des groupes de taille modeste, mais extrêmes. Reste que je ne peux pas m’empêcher de penser qu’une série où l’on montre plutôt les Juifs comme des criminels (…pas loin de légitimer certains des propos énoncés par les personnages antisémites), dans l’atmosphère ambiante qui plus est (en Pologne et dans une bonne partie de l’Europe), et sur une chaîne du groupe Bolloré (quand même), suscite quand même un peu le malaise.
Quand Król montre la violence, c’est soit une violence symétrique entre les forces rassemblées par Kaplica et Żwirski (comme dans la première partie du pilote qui joue plus sur les ressemblances que les différences ; du vrai bothsiderism comme on ne l’aime pas), soit exclusivement la violence perpétrée par un membre ou un autre de l’organisation mafieuse juive de Kaplica. Et peut-être que ça ne veut rien dire… mais peut-être que c’est le genre de trucs auxquels je préfèrerais qu’on fasse attention.

Du coup, vous comprenez sûrement pourquoi j’ai eu du mal à finir cette review. En dépit des apparences, je trouve toujours compliqué de dire : « cette série-là, idéologiquement, je ne la sens pas » quand le reste tient la route (voire même plus). En outre, l’inconfort n’est pas forcément une mauvaise chose, en télévision ou toute autre forme artistique. Et puis comme toujours, je ne suis pas non plus à l’abri d’avoir eu une interprétation erronée, ou dit  de façon plus magnanime, une interprétation incomplète, de la démarche de la série. Je n’en ai, après tout, vu qu’un épisode, et l’exercice qui consiste à installer une série, s’il me passionne, a forcément ses limites.

Fort heureusement, en téléphagie, on a le droit. On a le droit de ne pas/plus regarder une série si on ressent du malaise à l’idée de la regarder, même si sa qualité « objective » n’est pas remise en question (le culte de la qualité « objective », c’est d’ailleurs une discussion en soi…). En fait, on a le droit de ne pas regarder une série, tout court. On a le droit, et il faut le prendre, de dire : cette série-là, je passe mon tour. Et toutes les raisons de le faire sont de bonnes raisons, d’ailleurs. Même celles avec lesquelles le reste du monde n’est pas d’accord : vous êtes encore la personne qui décide de ce que vous regardez.
Ma raison, pour être tout-à-fait franche avec vous, c’est qu’en 2021 il y aura eu suffisamment de choses pour me mettre mal à l’aise et/ou en colère sans que je puisse y faire grand’chose. Mais sur les séries que je regarde, en tout cas, j’ai encore ce pouvoir-là : celui d’arrêter. Alors je n’ai jamais fini Król, et je ne la finirai probablement jamais ; le groupe Bolloré fait ses choix et je fais les miens.


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Et pour ceux qui manquent cruellement de lecture…

1 commentaire

  1. Tiadeets dit :

    C’est rigolo (enfin façon de parler) ce que tu dis et la comparaison avec Peaky Blinders parce que dans son avant-dernière saison (et je pense encore plus dans celle qui vient de sortir et que je ne regarderai pas), c’est juste avant la 2nde Guerre mondiale et ça parle de nazi justement (avec nos héros qui essaient de les tuer et finissent par être forcé de les rejoindre lorsque le plan rate avec ce sentiment d’inévitable qu’on ne peut rien faire contre les fascistes et j’avoue que dans le climat ambiant, si j’ai bien besoin de quelque chose, ce n’est pas de ça…) (Bon en plus, ça faisait déjà une ou deux saisons que je me lassais de la série et ne regardais vraiment que pour un personnage qui ne va plus être dans la série étant donné que l’actrice est décédée.)

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