The gift that keeps on giving

24 décembre 2021 à 18:07

Au moment de Noël, ma tradition personnelle s’est imposée sous la forme d’un revisionnage (généralement une intégrale) de la comédie Titus. Voilà quasiment une décennie que chaque année, je me replonge dans la série… à l’exception de Noël 2020, où là, vraiment, j’ai décidé que le masochisme avait ses limites.
Enfin, non, ce n’est pas exactement du masochisme. Pas exclusivement. C’est plutôt cathartique. Il y a peu de séries qui expriment le rapport complexe que l’on entretient à des parents maltraitants comme Titus le fait, ainsi que j’ai eu l’occasion de l’expliquer dans un article antérieur. Ah parce que, oui, la review de pilote du jour va être assez réjouissante, j’ai failli oublier de vous le dire.

Trigger warning : maltraitance psychologique/émotionnelle et physique d’enfant.

D’ailleurs, cet article en question, quand je l’avais préparé (…à la période de Noël), m’avait initiée à l’existence d’une autre série que Titus pouvant aborder le sujet. Ou disons, j’avais vaguement connaissance de l’existence de George Lopez, mais j’ignorais que les intrigues de ce sitcom familial en apparence assez conventionnel abordaient la question de la maltraitance. Il m’aura fallu m’armer de patience : malgré ses 6 saisons, la série était un peu difficile à dénicher. Mais par le plus grand des hasards, cette semaine, j’ai finalement trouvé son pilote.

Si je vous dis que George Lopez a toutes les apparences d’un sitcom américain banal, ce n’est pas par hasard : elle appartient à cette grande tradition de la comédie multi-camera qui consiste à prendre un comédien, lui donner sa propre série avec une jolie épouse et des enfants, et partir dans des intrigues domestiques supposées refléter les préoccupations des « vraies gens ». Bon, osons le dire, ces préoccupations sont historiquement des préoccupations d’homme blanc de la classe moyenne (ou classe moyenne haute), en général, avec les nombreux biais que cela implique ; ne serait-ce que parce que le vehicle qu’est la série est supposé mettre en valeur ce personnage souvent au détriment des autres. J’ai eu l’occasion de vous parler, notamment, des représentations genrées qui découlent de cette tradition étasunienne… un sous-genre télévisuel qui n’a rien de récent, mais qui battait justement son plein au moment où George Lopez a démarré, en 2002.
La première originalité de George Lopez dans le panorama dessiné dans l’article en question, c’est, et vous l’aurez sûrement deviné à son nom, que George Lopez (le comédien) interprète dans George Lopez (la série) un homme du nom de George Lopez (le personnage) qui est un homme hispanique. Ce qui est suffisamment rare dans les séries similaires pour être soulevé ; c’est dire si on part de loin (il y a aussi quelques hommes noirs dans ce type de séries, mais en infime minorité). D’ailleurs ce serait précisément sur ce critère que Sandra Bullock aurait souhaité aider George Lopez (l’acteur) à produire George Lopez (la série) pour ABC, apparemment. George Lopez (…le personnage) est en outre un homme qui vient d’être promu manager de son usine, mais qui pendant la décennie et demie qui a précédé, travaillait sur une chaîne de montage d’une compagnie aéronautique. Cela fait donc de lui l’un des rares hommes venant du monde ouvrier, bien que son ascension sociale récente lui permette de vivre de façon plutôt confortable (c’est quand même pas Roseanne).
Vous le voyez, comme souvent lorsqu’une tendance se dessine à la télévision, George Lopez (la série ; punaise c’est pour ça que je déteste les vehicles) s’y conforme pour mieux essayer d’y apporter sa contribution personnelle, et enrichir le genre.

L’intrigue de ce premier épisode commence justement de façon extrêmement conventionnelle, alors que Carmen, la fille aînée de George et Angie, est prise la main dans le pot de confiture : elle présente de faux mots d’excuse au collège pour se faire exempter de cours de natation, prétendant avoir ses règles. Depuis six semaines… Puisqu’elle a menti a tout le monde pendant un mois et demi, George lui promet qu’il va aussi lui mentir UNE fois, à elle, à un moment dans le futur, et qu’elle ne saura jamais ce qui est vrai ou non. Ce sera sa punition, elle verra ce que ça fait. C’est d’ailleurs une jolie forme de punition, assez éloignée de l’éducation par la contrainte ou la manipulation, très présente dans les sitcoms domestiques. Je ne dirais pas que c’est une solution parfaite, mais elle est quand même plutôt élégante, surtout que Carmen est immédiatement avertie de ce qui l’attend, elle ne saura juste pas quand le mensonge sera prononcé. Pas de « ah et au fait je t’ai dit ça mais c’était un mensonge, maintenant tu vois ce que ça fait » plus tard dans l’épisode (en fait, on ne saura jamais sur quoi George lui a menti… s’il l’a vraiment fait).
Toutefois, tout de suite après, on entre dans la vraie intrigue principale de ce premier épisode. George Lopez (la série) suit en effet son héros éponyme au travail aussi, et en tant que manager fraîchement promu, l’une des premières missions qu’il reçoit de son patron (le propriétaire de l’usine Mr. Smith) est de choisir qui il va devoir renvoyer : l’équipe qui inclut son meilleur ouvrier… ou bien l’équipe qui inclut sa mère.

Nous y voilà. Benita dite « Benny » est en effet elle aussi une ouvrière ; c’est d’ailleurs elle, va-t-on apprendre, qui a jadis trouvé un job pour George à l’usine. Aujourd’hui elle fait partie de l’équipe d’inspection, ce qui n’est pas un job essentiel (plusieurs machinistes pourraient le faire) par temps de restrictions budgétaires. Le choix semble évident, c’est elle qu’il faut virer. Sauf que George, en fait, est terrifié. Il est terrifié par l’idée de renvoyer sa mère, bien-sûr, comme n’importe qui, mais pas seulement parce qu’il a peur pour elle. Il a peur pour lui.
Il faut dire que dés sa première scène, Benny s’est révélée absolument glaçante. Elle vit à proximité de la maison des Lopez, et, comme c’est la tradition dans les sitcoms US, s’y invite quand ça lui chante (grosse ambiance Everybody Loves Raymond), et arrive donc au beau milieu de la découverte du mensonge de Carmen. Sa contribution à la conversation ?
Benny : « They lie because they’re not afraid of you. »
Angie : « Benny, we’re handling this. »
Benny, mimant une torgnole : « I don’t see anybody getting hit ! »

Il n’y a pas de mots pour vous décrire la façon dont je me suis figée devant mon écran, à la fois à cause de la réplique et du rictus de haine sur le visage de l’actrice. Je regardais George Lopez précisément à cause de ce personnage… et celle-ci m’a quand même surprise. J’ai rarement vu des sitcoms dépeindre la violence parentale aussi vite, et aussi clairement ; c’est encore plus rare pour un personnage féminin (comparez avec quelle prudence Malcolm in the Middle a abordé le sujet). Ce qui est dit avec ces deux répliques, 2 minutes après que la série ait démarré, de la personnalité de Benny, nous en suggère aussi beaucoup sur l’enfance de George ; c’est l’un des nombreux indices de la violence, et une violence cruelle qui plus est, qui l’enjoignent à avoir peur de sa mère même à l’âge adulte.
Même si elle ne le frappe plus, Benny continue d’ailleurs encore aujourd’hui de se montrer violente, en ne loupant pas une seule occasion de rabaisser son fils ; à ses yeux, George n’est pas un vrai homme, parce que, je cite : « you’re always like this, you wanna be the good guy, why don’t you grow a pair ?! » (oui c’est étonnant, hein, comment un parent maltraitant peut élever un people-pleaser…). Elle voudrait ouvertement qu’il soit aussi cruel qu’elle, et dans ce premier épisode, la série fait le choix de ne même pas élaborer pourquoi elle l’est autant. George Lopez pourrait décider d’expliquer ou d’excuser cette femme, pour nous dire : « il faut comprendre son expérience, c’est une immigrante pauvre, elle pense que le monde est dur et qu’il faut être implacable pour y survivre », par exemple ; mais non. Il n’y a pas d’autre excuse donnée qu’une simple constatation : la première (et seule, pour le moment) impulsion de Benny, c’est la violence. Qui n’aurait pas peur de la réaction d’une femme comme celle-là ?
Le pilote va être jalonné d’indications complémentaires à ce sujet. Une autre manifestation de la perversité de Bennie se révèle ainsi plus tard dans l’épisode, quand George lui avoue que c’est elle qui va être virée. Le premier réflexe de la vieille femme est de lever la voix pour s’insurger… ou plutôt, tenter une opération de chantage émotionnel de la plus basse espèce.
Benny : « What’s best for the company ?! I’m your MOTHER ! Was the company there when you won your Little League trophy ? »
George : « Mom, YOU weren’t even there ! You dropped me off at the curb ! »
Pardon, mais qu’y a-t-il de plus typique qu’un parent maltraitant révolté à la moindre contrariété, prêt à ressortir des dossiers vieux de plusieurs décennies pourvu d’obtenir de vous ce qu’il veut ?
George n’est d’ailleurs pas le seul à la craindre. Le fils de George et Angie, Max, qui n’a pourtant qu’une poignée de répliques dans cet épisode introductif, mentionnera à deux reprises faire des cauchemars récurrents… dans lesquels Benny le tue. La famille est tellement habituée à ces cauchemars qu’elle les traite comme une banalité (mais aussi un argument pour ne pas renvoyer Benny de l’usine, ce qui risquerait de la faire emménager à la maison). Dans le fond tout le monde a un peu peur de la vieille femme, à part peut-être Angie, qui est la seule à vraiment exprimer de la colère à son égard à un bref moment… mais hors de sa présence.

Et pourtant, ce que dit cette intrigue inaugurale de George Lopez, c’est que George ne lui veut pas de mal, à cette horrible femme. Il n’a que des mauvais souvenirs de son enfance, il est conscient qu’il vivrait mieux si elle n’était pas en permanence dans sa vie, mais… mais c’est sa mère. Il ne veut pas qu’elle perde son travail. Il envisage même, avec Angie, de laisser Benny emménager avec la famille si jamais elle perd son travail. Et par la suite, il finit même par négocier quelque chose en sa faveur auprès de Mr. Smith… Benny a raison : c’est un good guy. Ce n’est certainement pas grâce à elle, toutefois.
George Lopez, en vingt minutes suivant un cahier des charges aussi strict que celui du sitcom multicam, a réussi à en dire beaucoup, en creux, sur les tiraillements complexes que l’on peut ressentir face à un parent violent à mesure que l’on grandit. J’ai ressenti ce tiraillement d’adulte pendant près d’une décennie, moi aussi, avant de couper enfin les ponts avec mes parents ; je le trouve très bien retranscrit.

Je n’ai pas fait exprès de trouver le premier épisode de George Lopez juste avant les fêtes, je vous le jure ! Pure coincidence. Mais ça tombe plutôt bien qu’il me rappelle pourquoi je « célèbre » Noël seule, comme toutes les autres fêtes de l’année d’ailleurs, sans plus aucune famille dans ma vie. Parce que ma vie n’est pas un sitcom, et que je ne trouvais pas d’humour dans les dialogues de Benny. Au juste, je suis incapable de dire si je suis devenue une good guy aujourd’hui (une people-pleaser, c’est assez certain en revanche). Je ne suis pas grand’chose aujourd’hui.
Mais je sais ce que je ne suis pas aujourd’hui : avec Benny (et Emily). C’est mon cadeau de Noël de moi à moi.


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Et pour ceux qui manquent cruellement de lecture…

1 commentaire

  1. Tiadeets dit :

    Ce genre de sujets est dur à aborder, mais je trouve ça tellement important de les voir traiter dans des fictions grand public. Pas sûr que ça fasse réagir les abuseurs, mais si ça peut aider les victimes, c’est déjà beaucoup.

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