Un pour rattraper l’autre

21 janvier 2022 à 23:39

En ce moment je ne sais pas ce que j’ai, une forme d’épuisement peut-être, mais je suis plus encline à fouiller dans mes dossiers qu’à regarder à tout prix la dernière série du moment. Ou en tout cas, pas dans les mêmes proportions. Puis d’ailleurs, suivre les dernières sorties, ça a tendance à toujours finir par aboutir à 15 reviews de Netflix d’affilée, ça me gave. J’ai pas signé pour faire la promo d’une plateforme de streaming à longueur d’année.
Du coup quand j’ai vu que loin, loin dans mes archives, il y avait une série belge de 2016 que je n’avais pas encore touchée, j’ai été rapidement été vérifier sur quoi elle portait, et euh…


Je.
Ok donc aujourd’hui on parle du premier épisode de la série flamande De 16, c’est acté.

Bien que je ne porte pas dans mon cœur le procédé du mockumentary, je dois à la vérité de reconnaître que la série De 16 l’emploie de façon plus intéressante que la plupart de ses consœurs. C’est sûrement, en partie, à cause de la nature politique de son sujet : les caméras sont là pour filmer la vie d’un cabinet ministériel, où l’on a plutôt l’habitude d’avoir un contrôle parfait de ce qui est montré et dit à l’extérieur. Or, parce que les caméras sont là pour filmer au nom de la chaîne publique VRT, il est impossible de leur refuser accès à quoi que ce soit, sous peine pour le gouvernement de devoir payer une amende. C’est pas tant le montant que le fait que ça la foutrait mal, d’ailleurs…
Alors ces caméras dont on a tant l’habitude qu’elles filment la vie politique son leur meilleur profil sont là, cette fois, pour capturer ses dessous pas très propres, bon gré mal gré. Cela donne des personnages encore plus embarrassés que d’habitude, tentant de contrôler ce qui est filmé (ou, au pire, ce qui sera diffusé), utilisant des stratagèmes pour rendre certaines choses inutilisables, ou tout simplement s’énervant de leur présence. Il faut aussi noter, même si c’est moins spécifique au genre politique, que les interactions entre les personnages et les caméras sont nombreuses (regards brisant le 4e mur, bousculade, etc.), et que De 16 a aussi l’intéressante idée d’utiliser les caméras de surveillance du cabinet pour montrer les trajets des équipes de tournage, comme si la série incluait le making-of du documentaire. Ce sont parfois des détails, mais ça montre que le procédé a été pensé en profondeur, au lieu d’être utilisé de façon superficielle comme dans beaucoup de séries qui en définitive ne nous disent jamais pourquoi elles sont des mockumentaries.
J’apprend que la série est entièrement tournée sur iPhone, ça par contre je ne suis pas convaincue d’y voir une plus-value notable, mais bon ça n’enlève rien non plus.

Ce rapport aux caméras, il est en outre très symptomatique de ce que l’on découvre dans ce premier épisode. Steven Kennis, vice-premier ministre en charge du budget donc, est un incompétent notoire. C’est également un profiteur de la pire espèce, mais il est aussi, bien-sûr, un ambitieux, avec des rêves de grandeur. Dans le premier épisode, il sue à grosses gouttes en apprenant que Charles Van Praet a été dépêché pour conduire un audit de son cabinet, qu’il dirige depuis 6 mois et où il a déjà des choses à se reprocher.
De 16 établit très, très tôt quel genre de personne est Van Praet : un salaud. Il est méprisant, vulgaire, agressif, et… et, ma foi, compétent. En matière de politique, c’est un homme qui a parfaitement compris les rouages de son milieu, les besoins stratégiques d’un gouvernement, et même, le genre de personnes qu’on croise souvent dans les couloirs de ses cabinets ministériels. C’est un « bon » politicien, au sens où il connaît son métier, a une excellente capacité d’analyse, et s’avère être un fin observateur des faiblesses des autres. Pour les spectatrices, bien-sûr, rien de tout cela n’en fait un personnage aimable, mais c’est le moins pire de la série.
Face à lui, il y a donc Kennis, roi du bullshit n’existant que par et pour les apparences ; Joris Weyns, jeune chef de cabinet pas idiot mais manquant totalement d’assurance et d’expérience ; Alain L. Pieters, flemmard incompétent sauf pour s’inventer des excuses ; Dirk Kerckhove, premier de la classe plus absorbé par la beauté d’une loi budget bien écrite que par ses conséquences ; et enfin l’assistante Denise Van Steen, qui en a vu d’autres et qui abat son travail sans jamais se laisser duper par toute cette bande de bras cassés. On ne sera pas surprises d’apprendre en fin d’épisode que Van Praet apprécie cette dernière, d’ailleurs.

Lors de son audit, Van Praet entre donc en contact avec tout ce petit monde, et, sans aucun mystère, perce le secret des dysfonctionnements du cabinet. Il y a une seule personne dans ce bordel qui lui donne un peu d’espoir : Weyns, qui certes a l’aplomb d’une feuille de papier à cigarette (même pas, puisqu’il ne fume pas, contrairement à Van Praet et ses gros cigares), mais qui n’est pas totalement irrécupérable, et a quelques bonnes idées. Le passage-clé de l’épisode, pour ne pas dire la profession de foi de la série, se trouvera d’ailleurs logée dans un échange entre Van Praet et Weyns. Pendant celui-ci, le vieux de la vieille donne une leçon de politique (et de démocratie) au jeune loup, qui a bien compris qu’il a affaire à quelqu’un dont il peut tout apprendre :
– Est-ce bien démocratique ce que nous faisons ?
– Je ne crois pas à la démocratie. De nos jours, il suffit d’avoir la bonne coiffure ou de participer à un jeu télé.
– En quoi croyez-vous ?
– L’artistocratie. Comme chez les Grecs. Le pouvoir des aristoi, les meilleurs.
– Et Kennis est le meilleur ?
– En matière de votes, oui. En tant que vice-premier ministre, c’est un eunuque.
– Malgré tout, le parti veut qu’il devienne premier ministre ?
– Il ne doit pas être premier de classe pour ça. Mais ceux qui marchent pour lui dans les couloirs de son cabinet, si. Ce sont ses cerveaux, les aristoi. C’est toi.
Il n’y a qu’une seule chose sur laquelle Van Praet se trompe : l’identité du chef de cabinet. A la fin du premier épisode, alors qu’il vient de finir son audit et ne pourrait pas être plus soulagé de foutre le camp, il reçoit en effet les ordres du parti de prendre ce poste : sentant le vent tourner, Kennis vient de virer Weyns. Mais comme l’audit a prouvé qu’il fallait quelqu’un pour remettre le cabinet sur les rails, après tout, nommer Van Praet a du sens !
On aurait presque pitié pour Van Praet, s’il n’était pas un tel connard lui-même, quand bien même il est clairement, aux yeux de De 16, un connard qui a raison.

Glaçant ? Oui. Mais j’ai envie de dire : c’est ce qu’on attend d’un mockumentary sur le monde politique, dans le fond. Et d’ailleurs je confirme son diagnostic.
Un peu inconfortable, mais pour de bonnes raisons, De 16 mène son épisode d’exposition tambour battant. On y détruit les quelques rares illusions qu’on pourrait encore avoir quant à la politique, avec un cynisme qui se veut réaliste. Le bilan n’est pas réjouissant, et on rit d’ailleurs assez peu. Cela dit, si vous attendez d’une série politique qu’elle vous fasse passer un moment de joie et de bonne humeur, vous faites un peu partie du problème.


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Et pour ceux qui manquent cruellement de lecture…

1 commentaire

  1. Tiadeets dit :

    Encore une série qui a tout pour me plaire et qui pourrait vraiment m’intéresser, mais je me connais, ces séries-là, je les ajoute à ma PàV et je ne les regarde jamais. Oh well.

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