Leaving home ain’t easy

4 mars 2022 à 21:20

Une fois n’est pas coutume, nous partons pour le Pakistan, dont je reviewe assez peu de séries alors que, bah, ya pas de raison. Pour preuve : la chaîne Youtube de Hum TV a mis en ligne le premier épisode de sa toute dernière série en date, lancée ce mardi, et répondant au nom de Badshah Begum.
Son sujet est intrigant : il s’agit d’une série se déroulant dans un pays imaginaire, et suivant les luttes de pouvoir de la famille royale. Les sites pakistanais promettaient de l’intrigue de cour et de la politique, et j’étais curieuse de voir à quoi cela pourrait bien ressembler dans une série se déroulant à l’époque contemporaine.

Du pays fictif de la série, on ne nous fera pas de description détaillée ici ; c’est plutôt par petites touches qu’on nous dresse le décor de Peeraan Pur, un Etat à la tête duquel la famille Pir tient à la fois un rôle régnant et un rôle religieux. Pourtant, le patriarche de cette dynastie royale, Pir Shah Alam, a décidé de s’éloigner de son fief. Il vit désormais, avec ses deux filles Jahan Ara et Roshan Ara, « en ville » (je reviens sur ce terme dans un instant), tandis que ses deux fils Shahzaib et Murad sont restés au palais. Avec Badshah Begum, l’épouse du roi (mais apparemment n’ayant pas le statut de reine), ils gèrent désormais l’essentiel de la vie de leur peuple. Le problème majeur, cependant, est que l’absence de Pir Shah Alam signifie qu’il a plus ou moins abandonné le trône, et qu’il y a donc une place de roi à prendre. Une information qui n’a pas échappé à l’ennemi juré de Shahzaib, un dénommé Kaiser, qui semble penser qu’il a toutes ses chances pour prendre la tête du pays. Je vous le dis tout de suite, je n’ai absolument pas compris pourquoi Kaiser pouvait prétendre au trône, ça m’a complètement échappé si ça a été dit.

Voilà ce qui se dit dans ce premier épisode, du moins, dans les grandes lignes. Mais entre ces lignes, il se dit aussi bien d’autres choses.
Le fait que Pir Shah Alam soit parti « à la ville » est ainsi lourd de sens. Il faut ici entendre cette fameuse « ville » comme un monde progressiste, voire occidentalisé (on y parle volontiers avec un mélange d’anglais). Ainsi Jahan Ara et Roshan Ara suivent des cours dans une université mixte, ce qui est proprement inconcevable pour elles à Peeraan Pur. Roshan Ara est une jeune femme très sociable, qui a beaucoup d’amies (et un ami, Bakhtiar, sur lequel elle a des vues), qui fréquente les nightclubs et consomme des, euh… « médicaments », si j’en crois les dialogues. Quant à Jahan Ara, elle est férue de connaissances, compose de la poésie et disserte volontiers de la nature de la liberté humaine. Ces existences plutôt normales sont à mettre en parallèle avec l’une des toutes premières scènes dans la série, dans laquelle Badshah Begum, administrant la prière pour les femmes dans les quartiers qu’elle occupe au palais, fait briser les chevilles d’une femme enceinte venue se présenter à elle, parce qu’elle a potentiellement fait entrer un mâle dans son gynécée sacré (…le bébé dans son ventre).
C’est vous dire si on est dans deux mondes différents : l’un, moderne et plutôt décontracté ; l’autre, conservateur et violent.

A Peeraan Pur, le trône est donc vacant. Il ne saurait le rester longtemps, ça va de soi, plusieurs hommes commencent à sérieusement se languir de pouvoir s’asseoir dessus. Pour le moment, ce n’est pas le cas de Murad ; décrit comme un psychopathe plus qu’un calculateur, il a l’air de ne pas s’y intéresser. Il préfère sûrement torturer des animaux à longueur de journée, mais c’est peut-être trompeur ; d’autant qu’un type vicieux et violent comme lui y serait parfaitement à sa place !
En revanche, Shahzaib a toutes les intentions de prendre la relève de son père au plus vite, ce qui fait de Kaiser, également décidé à monter sur le trône, son ennemi juré. Il semble cependant que (pour des raisons qui, là encore, m’ont échappé) ce ne soit pas aussi simple d’accéder au statut de roi, et Kaiser, dont l’épouse est enceinte, semble avoir une longueur d’avance. Si l’enfant est une fille, le pouvoir lui est acquis ! Shahzaib va donc, dans ce premier épisode, essayer d’organiser aussi vite que possible un mariage avec une jeune femme noble bien sous tous rapports… sauf qu’il a besoin, pour cela, de l’aval de Badshah Begum. Or, celle-ci n’est pas prête à céder le peu de pouvoir qu’elle a dans cette situation ! Est-ce que vous êtes en train de me dire que Peeraan Pur est une monarchie matriarcale ?!
A ma grande surprise, Badshah Begum n’est pas vraiment l’héroïne de la série qui porte pourtant son titre ; elle est, cependant, le pivot qui peut tout changer dans la vie d’un bon nombre de ses personnages.

Plan tiré d’un des trailers de la série.

Vous l’aurez compris, il y a une partie des enjeux qui m’ont échappé ; je blâme, entre autres, ma consommation trop sporadique de séries pakistanaises. Beaucoup de choses dans la série reposent en effet sur le non-dit, et d’après mon expérience avec d’autres culture télévisuelles, il devient plus facile de lire entre les lignes avec la pratique. Dans le cas présent, j’en manque.
Il me fallait en somme m’adapter deux fois, au lieu d’une seule pour la plupart des séries de la planète. D’abord, m’adapter aux codes de Badshah Begum ; elle emprunte un peu aux intrigues de cour (d’ordinaires plus courantes dans des séries historiques), et un peu au soap, notamment pour les intrigues « en ville » car éloignées du pouvoir. Et puis, m’adapter aux codes de Peeraan Pur, une contrée volontairement décrite comme un endroit autoritaire et où l’intégrisme religieux est la règle ; certaines scènes m’ont parfois aidée à mieux comprendre de quoi on parlait ici (le dialogue entre Badshah Begum et Shahzaib, hélas placé vers la fin de l’épisode, était par exemple éclairant ; il y a aussi une scène dans laquelle plusieurs sujettes du royaume parlent avec crainte des limites imposées à Peeraan Pur, et qui clairement savent que critiquer même à voix basse peut leur coûter cher), mais d’autres, notamment sur les règles de succession, m’ont un peu échappé.
La série ne fait pas beaucoup de cas de l’exposition de son échiquier, et s’intéresse avant tout à l’exposition de la place de chaque pion pour la partie à venir. Même si ça peut sembler paradoxal !

Certains de ces défis seraient probablement plus faciles à relever en connaissant mieux la culture et/ou la télévision pakistanaises. A plusieurs reprises je me suis interrogée : que signifie le choix de faire de Badshah Begum une série contemporaine, quand la majorité de ses intrigues pourraient être portées à l’identique par une série historique ? De toute évidence, c’est lié à cette dichotomie entre Peeraan Pur et « la ville », mais encore ?
C’est le genre d’expérience téléphagique qui rappelle à un peu d’humilité. D’ailleurs en écrivant cette review, j’ai réalisé combien, souvent, je dois donner l’impression (erronée !) d’avoir toutes les réponses quand je parle de séries venues de l’autre bout de la planète. Je fais, certes, pas mal de recherches en amont pour arriver à fournir du contexte (historique, culturel, popculturel, industriel…) à mes reviews et analyses, donc en un sens, encore heureux que j’arrive avec quelques clés !
…Mais cela veut dire aussi que je ne parle pas assez des moments pendant lesquels le visionnage d’une nouvelle série peut être incertain. Parfois, la découverte n’est pas juste excitante, elle est aussi maladroite et flottante, et il faut le dire aussi. C’est inconfortable de se lancer vers de nouveaux horizons, et quand bien même je trouve cet inconfort grisant (et le vois comme un défi à relever : pour mieux comprendre une série, il faut juste que je persévère dans ma compréhension du monde qui l’entoure !), il faudrait ne pas le gommer.
Il faudrait ne pas le gommer, parce que ce serait malhonnête de vous exhorter à la curiosité et la découverte sans vous dire que, parfois, ce que vous avez à y gagner signifie aussi perdre ce qui vient avec la familiarité. Ce n’est pas toujours l’évidence-même de se glisser devant la fiction d’un autre pays ; surtout quand rien ou si peu dans notre éducation nous a donné des clés de compréhension. Parce que je crois que cet inconfort (souvent temporaire) en vaut la peine, il me semblait important aujourd’hui de souligner le mien ; pour, peut-être, rendre le vôtre un peu plus léger la prochaine fois qu’il se présentera.


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Et pour ceux qui manquent cruellement de lecture…

5 commentaires

  1. Tiadeets dit :

    C’est vrai qu’une série du Pakistan, c’est peu commun. Je regarde des séries de moins de pays que toi, mais j’avoue que c’est aussi ce qui me plait dans le fait de regarder des séries de quand même un certain nombre de pays, c’est de voir les codes qui changent. Je commence à avoir regarder un certain nombre de séries chinoises et thaïlandaises au point que je commence à en saisir les codes sans avoir besoin d’aller lire des metas sans cesse. Je rate toujours des choses, mais moins qu’au début et c’est exhilarating de se rendre compte qu’on ait passé d’un statut de néophyte à celui de, euh, apprenti (?).

    • ladyteruki dit :

      Je n’arrive pas à me souvenir de la dernière fois que j’ai regardé une série sans avoir 10 onglets ouverts sur différentes cartes, biographies, pages Wikipedia, dictionnaires et autres explications diverses. C’est « du boulot » (au sens où toute culture générale s’acquiert avec un minimum d’effort, disons) mais qu’est-ce que c’est grisant ! Et comme tu le dis, tout aussi grisant quand tu maîtrises de plus en plus de choses, mais qu’il reste toujours une foule de nuances à appréhender. Quand tu ajoutes en plus l’appétit linguistique à l’équation…
      C’est sûr que, n’étant pas natives, il nous échappera toujours quelque chose. Parfois je reviens sur une série deux ou trois ans après l’avoir vue et je peux déjà constater que ma lecture en était lacunaire parce que j’avais moins de pratique !
      J’ajoute que du coup, entre les codes culturels et les codes popculturels, au bout d’un moment, tu te découvres des préférences. Par exemple il y a plusieurs années je suis tombée amoureuse de la fiction sud-africaine, pour laquelle j’ai une nette préférence sur le continent (et au début j’ai lutté dur pour l’accès ! j’achetais même des DVD imports de séries dont j’avais juste lu des résumés). Jamais je n’aurais pensé que je préfèrerais (en moyenne) les séries sud-africaines aux kenyanes, par exemple. Mais finalement tu réalises qu’il y a des codes, même quand tu ne les possèdes pas tous, qui te correspondent mieux et te grattent là où ça te démange. C’est plaisant aussi…

      • Tiadeets dit :

        Mais c’est totalement ça. J’ai découvert les dramas quand j’étais au lycée. J’en avais déjà entendu parler avant (des japonais, mais fallait les trouver donc je n’étais pas allée chercher plus loin), mais c’est lorsqu’une amie avait fait sa présentation en cours d’anglais sur You’re beautiful que j’avais commencé. Mais je n’étais pas allée très long parce que je n’arrivais pas à rester concentrée (bon les épisodes divisées en 13 parties avec pubs avant et après sur Drama Passion n’aidait pas, soyons honnêtes). Mais depuis que je suis tombée dans les BL, j’ai découvert les dramas de plusieurs pays et je suis tombée tête la première dans les dramas chinois justement. Je ne regarde pas de dramas chinois contemporains (pour l’instant, viendra un temps où je voudrais pratiquer mon chinois plus sérieusement avec les séries et les séries historiques ne sont pas forcément les plus simples pour ça), mais les séries historiques (autant les intrigues de court et stratégie que d’autres) et de wuxia, c’est tellement tout ce que j’aime avec de beaux costumes que ça rentre tout à fait dans mes préférences pour passer le temps. Autant de séries introuvables pour un public non-sinophone il y a encore quelques années, mais dont je peux me régaler aujourd’hui (et comme toujours on remercie les personnes qui se décarcassent pour faire les sous-titres, vraiment des personnes trop peu reconnues).

        • ladyteruki dit :

          De temps à autres j’ai une brutale envie de regarder un drama chinois, parce que visuellement c’est presque toujours du bonbon. J’avoue que mon premier amour en matière de séries asiatiques, le Japon, reste indétrônable à mes yeux sur d’autres aspects ; mais un bon wuxia où tout est beau, vraiment, des fois ça fait du bien là où ça passe. Même si je les finis pas toujours parce que trop d’épisodes ^_^;

          • Tiadeets dit :

            J’ai pas mal de recommandations suivant les envies si l’envie t’en prend (y compris certains qui ne détonnerait pas sur des chaînes pour enfants par chez nous. En ce moment je regarde un drama de xianxia (fantasy) que je comparerais à ces téléfilms et séries des années 90 des US qui parlaient de lepreuchauns et autres, les trucs avec peu de budget qui passent et repassent sur W9, en tous cas dans l’esprit, ça demande 0 temps de cerveau, c’est parfait).

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