Times gone by

5 mai 2022 à 20:49

La fiction sud-africaine produit peu de séries historiques ; c’est ironique parce que… eh bien, parce que la série sud-africaine la plus célèbre dans le monde est Shaka Zulu, précisément une série historique ! Et lourde d’histoire elle-même, qui plus est.
Alors évidemment, on peut nommer des exceptions : certaines séries reviennent sur la fin de l’Apartheid (comme When We Were Black qui retrace les émeutes de Soweto en 1976), et éventuellement on peut considérer The Road comme une série sur les années 50 (on en parlait ici)… mais au final, malgré ces quelques contre-exemples, très, très peu de séries historiques existent. Plus important encore, même quand elles existent, elles ne portent jamais sur la période précoloniale. En 2018, M-Net avait bien annoncé de réécrire cette page de l’histoire télévisuelle sud-africaine en commandant Shaka Ilembe, mais la série n’a finalement jamais vu le jour ; la pandémie y est peut-être pour quelque chose, le tournage n’ayant pas encore commencé à l’été 2019… Même chose pour House of Phalo, sur l’un des tous premiers rois du peuple Xhosa, qui devait être la réponse sud-africaine à Game of Thrones.

C’est ce manque que vient combler Ifalakhe, une série lancée à l’automne 2019 par la chaîne du satellite Mzansi Magic. Et c’est, évidemment, mon sujet du jour, puisque j’en ai vu le premier épisode à l’occasion de ma courte exploration de Showmax.
Tournée entièrement en isiZulu (dans un pays où les séries monolingues sont devenues rares), la série s’intéresse en fait à l’Afrique du Sud avant même la formation de l’empire zoulou. Même si Ifalakhe ne délivre pas de date précise, cela signifie qu’on remonte donc au moins au 16e siècle, voire plus tôt.

Il semble en fait que la série ne se considère pas comme une série sur une partie spécifique de l’Histoire, ou sur des figures historiques en particulier. C’est plutôt qu’elle utilise une période approximative de l’Histoire sud-africaine pour y mettre en place une géo-politique fictive. Dans une interview au moment du lancement de la série, la productrice exécutive, actrice et superviseuse du scénario Gugu Zuma-Ncube (oui, fille de) indiquait que : « Ce n’est pas une série historique et il n’y a pas d’exactitude dedans. Elle ne suit pas de tribu réelle. Bien que les tribus dépeintes soient librement basées sur les zulu et les khoisan, nous avons emprunté à tout le continent. Nous voulions simplement proposer une représentation visuelle de ce que nous étions ». Faute d’être capable de trouver un meilleur terme, je vais continuer de la qualifier de série historique, mais vous le voyez, avec une clause en petits caractères.
Mais alors, du coup, la bonne nouvelle, c’est que cela signifie que tout le contexte dont on a besoin est délivré par la série ; pour une novice comme moi (et, je le présume, comme la plupart d’entre vous), c’est bien pratique.

Ainsi donc, Ifalakhe s’intéresse à 3 groupes ethniques principaux : la tribu Okuhle, qui règne sans partage sur un immense royaume conquis jadis dans la violence ; la tribu Khanya, ennemie jurée, qui a refusé de se plier à son influence et vit à ses frontières ; et la tribu Majongwe, qui a été conquise par les okuhle puis intégrée de force, y compris sur un plan culturel et religieux.
Lorsque la série commence, Khombindlela est le roi okuhle ; à ses yeux, il est à la fois un conquérant et un fédérateur. Quelques années plus tôt, il s’est saisi des terres majongwe, apparemment dans le but de prendre pour épouse Mvelenhle, qui est devenue sa première femme. Plus tard, il s’est marié avec une femme okuhle, prénommée Nomvula. Toutes les deux portent le titre de reine, mais, comme beaucoup de cours royales à travers le monde, il y a tout de même une hiérarchie ; qui plus est, le roi est ostensiblement plus épris de Mvelenhle (ce que ce premier épisode souligne à plusieurs brèves mais très claires reprises). Celle-ci lui a déjà donné sept filles, et est enceinte à nouveau, tandis que Nomvula est, au même moment, enceinte de son premier enfant. Et à ce stade, la course est lancée pour savoir qui aura un fils en premier, lequel hériterait du trône.
Chez le peuple khanya, les choses sont assez différentes. Le roi Ndukuzakhe n’a qu’une seule épouse (également sa meilleure conseillère), laquelle lui a donné une seule fille qui, même si elle n’est encore qu’un bébé, héritera de son royaume plus tard.

C’est bon, vous suivez ? Je sais que je viens de balancer plein de noms, mais je suis pas Ifalakhe, moi : j’ai pas de talent pour raconter des histoires. Parce que, honnêtement, à voir le premier épisode de la série, tout ça a l’air d’une limpidité impeccable, et on comprend instantanément qui est qui, et qui fait quoi, et pourquoi. Les scènes se succèdent avec une remarquable efficacité, et mettent en place les dynamiques de cet univers, et la place de chacune au cœur de celui-ci. Cette place a d’autant plus d’importance que dans le premier épisode, Mvelenhle commence à ressentir ses premières contractions, et que Nomvula comprend, paniquée, que si elle veut donner naissance à l’aîné mâle du roi et maintenir sa place précaire, il va falloir qu’elle s’agite ; elle décide donc de faire tout ce qui est en son pouvoir pour essayer d’accoucher ce jour-là aussi. L’enjeu de l’ordre de naissance n’est pas important que pour les épouses du roi : Khombindlela lui-même est sur le point d’apprendre que les deux fils qui vont naître ce jour-là ont un destin bien spécifique…

À ce stade de ma review, il faut que je vous dise qu’Ifalakhe est aussi… une série fantastique.
Enfin, plus ou moins. Pas au sens de, disons, Merlin, par exemple ; mais en cela que la série tient pour acquis que les croyances des différentes tribus sont fondées. Lorsque le roi Khombindlela prie pour implorer conseil, aide ou pardon de la part de Déesses, celles-ci répondent (par le biais d’une sorte de prêtresse). Lorsque ce même roi emploie un objet mythique connu pour ressusciter les morts et panser les plaies, eh bien, sur le champ de bataille, les morts ressuscitent et les plaies sont pansées. La série tient complètement pour acquis que les croyances de ce peuple sont fondées, que les rites ne sont pas juste venus d’un autre temps, mais qu’ils portent une signification réelle, et surtout, qu’ils ont un impact. En créant un climat où le surnaturel est familier au lieu d’étrange, ce premier épisode ne crée donc pas une irruption dans le réel, mais en étend le sens ; et du coup, les possibilités narratives aussi. Quand cette détestable Nomvula décide d’aller voir un sorcier pour lui demander de provoquer son accouchement aussi vite que possible, et que celui-ci lui propose un échange cruel, on prend complètement au sérieux les tractations et leurs potentielles conséquences. Et quand, à la fin de l’épisode, les Déesses punissent le roi Khombindlela et lui annoncent que son premier fils sera un grand roi, mais le second sera un monstre qui, s’il n’est pas tué à la naissance, assassinera son père dés qu’il atteindra l’âge adulte… forcément, on prend la prophétie au sérieux. La question, bien-sûr, est de savoir qui sera le premier fils ! Et comme vous le voyez sur le matériel promotionnel, la situation devient pressante…
Ces problèmes se présentent alors que, dans le même temps, la guerre fait rage entre Okuhle et Khanya, et que, parmi les citoyennes de la tribu Majongwe ayant survécu se posent la question de l’assimilation.

Cette première heure d’Ifalakhe est vraiment réussie ; les protagonistes ne sont pas très complexes, comme c’est souvent le cas pendant une exposition, mais certaines, toutefois, sortent un peu du lot. Par exemple, le roi Khombindlela est un guerrier valeureux mais aussi un homme très pieux et torturé ; ou bien, l’épouse du roi Ndukuzakhe (dont hélas je n’ai pas retenu le nom) est un fine stratège et une femme au caractère imposant.
Il faut aussi ajouter que la série est incroyablement belle ; je ne suis pas toujours aussi enthousiaste qu’elle sur les ralentis, mais pour le reste, visuellement, c’est formidable, avec notamment des couleurs et éclairages splendides qui élèvent les scènes, alors qu’elles se passent quasiment toutes en pleine nature (la série a été tournée à Africaland, un espace de loisirs logé aux abords d’un parc naturel du nord-est de l’Afrique du Sud).
Hélas en faisant mes devoirs, je me suis aperçue que mon enthousiasme n’avait que modérément été partagé : après son lancement à l’automne 2019, Ifalakhe n’a pas rencontré son public (pire, une petite polémique a apparemment entouré sa conception, qui s’est faite alors qu’une série historique concurrente a été annulée en plein tournage). Hors quelques nominations aux SAFTAs (dont une pour les costumes, méritée vu le travail de reconstitution fait avec si peu d’archives précoloniales existantes), la série n’a pas vraiment laissé d’empreinte, et n’a par conséquent duré qu’une saison.
Ce ne sera pas encore aujourd’hui que les séries historiques sud-africaines trouveront la rédemption.


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Et pour ceux qui manquent cruellement de lecture…

5 commentaires

  1. Tiadeets dit :

    En espérant que 2022 et 2023 apportent de nouvelles séries historiques dans la région parce qu’il y a clairement du potentiel !

    • ladyteruki dit :

      Peut-être que les projets historiques de M-Net finiront par voir le jour plus tard ; le suivi de projets de séries en Afrique du Sud a l’air un peu plus compliqué que pour, mettons, les USA, du coup je n’arrive pas à dire si Shaka Ilembe et House of Phalo ont été réellement abandonnées à cause de la pandémie, ou si c’est juste un retard de production. Ce genre de séries est tellement onéreux à produire en général, ça n’est sûrement pas bon signe, d’autant qu’il continue de se tourner des séries en Afrique du Sud même dans le climat actuel ; mais d’un autre côté annuler DEUX séries historiques, alors que l’idée était justement d’essayer d’innover, ça semble improbable. On verra bien ; que les Divinités de la Téléphagie t’entendent.

      • Tiadeets dit :

        Suivant pas mal les séries chinoises, je connais tout à fait. Comme on dit par chez nous « avec les dramas chinois, je ne crois en aucune date de sortie tant que je n’ai pas le premier épisode sous les yeux ». Prions donc pour que le premier épisode nous arrive un jour devant les yeux.

  2. ladyteruki dit :

    EH BAH MINCE ALORS. Shaka Ilembe est en phase de casting ! L’interprète principal vient d’être annoncé. Comme quoi fallait pas désespérer. Ce sera Lemogang Tsipa qui, détail intéressant, a été vu dans plusieurs productions internationales (Black Sails, Homeland…) en plus de séries sud-africaines. Ca rappelle un peu le casting de Pearl Thusi pour Queen Sono.

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