À l’Eternel appartient le règne

3 juillet 2022 à 20:34

La politique et la religion ne font pas bon ménage, mais ça ne les empêche pas d’essayer.

L’an dernier, Netflix a lancé la série argentine El Reino (The Kingdom de son titre international, ce qui évidemment ne peut absolument pas prêter confusion avec Kingdom, la série sud-coréenne de cette même plateforme), et c’est enfin à son tour d’arriver en haut de ma très fournie to-watch list. Je la découvre probablement après vous, mais le moment m’a semblé idéal : je suis encore énervée par les élections, mais l’anxiété de l’inconnu est retombée. Dieu merci.
Cela ne rend pas le climat ambiant plus respirable, mais ça permet d’aborder une série politique avec un peu plus de calme qu’il y a quelques semaines encore ; le détachement entre la réalité et la fiction est, en somme, un peu plus facile.

Armando Badajoz est un politicien qui se présente aux élections présidentielles et, ma foi, il semble bien parti pour gagner. Sa popularité n’est pas étrangère à l’identité de son colistier : il a invité un pasteur évangélique très populaire, Emilio Vázquez Pena, à ses côtés. Un homme d’Église à la tête de la puissante Iglesia de la Luz comme potentiel Vice-Président, ça aide largement son image dans un pays très croyant comme l’Argentine ! La campagne touche à sa fin, et les deux hommes se préparent à faire leur dernier meeting politique avant le vote ; cette grand’messe se déroule dans un auditorium bondé, où les fidèles, nombreuses, se pressent aux côtés des militantes politiques. L’omniprésence de symboles et banderoles chrétiennes ne laisse toutefois aucun doute : la popularité de Pena est capitale pendant cette campagne… au grand dam de Badajoz, qui craint que la campagne ne lui échappe. Et il n’a pas tort : non seulement les convictions de Pena en font aussi un personnage controversé (des émeutes apparaissent aux abords de l’auditorium, les manifestantes distribuant des flyers accusant le pasteur de corruption), mais en plus Pena n’en fait qu’à sa tête, et s’apprête pendant le meeting à prononcer un discours très engagé sur… la supériorité des lois divines par rapport aux lois de la République. Bon.
Dans le stress de la dernière ligne droite, alors que les conseillers s’écharpent sur les discours et les épouses apportent leur soutien aux deux hommes, ce que personne n’avait prévu, c’est que le meeting serait le théâtre d’un acte d’une violence inouïe : un homme se glisse sur la scène et plante un poignard dans le dos d’un des candidats… Armando Badajoz s’effondre et quelques minutes plus tard, sa mort est prononcée alors que l’auditorium peine à contenir un mouvement de foule paniquée. Tout semble perdu.
Enfin, évidemment, pas pour tout le monde.

C’est très intéressant, la façon dont ce premier épisode d’El Reino procède. Parce que, ce que je viens de vous raconter, c’est en fait l’apogée de l’épisode introductif de la série, pas son commencement. La série prend le temps de composer une série de tableaux nous présentant les protagonistes séparément, sans comprendre tout de suite comment elles sont connectées ni à l’élection ni même aux autres. Qui plus est, le ton lent et froid, à la limite du cryptique même, de ces scènes d’exposition, a quelque chose de glaçant : El Reino ménage une ambiance qui emprunte moins au thriller qu’à un drama étouffant. On est clairement devant une série qui aurait toute sa place sur une chaîne du câble choyée par un public se voulant raffiné (un public que Netflix ne courtise plus aussi souvent qu’avant), mais El Reino n’est pas non plus dans la masturbation intellectuelle, je vous rassure.
De toute évidence, avec l’assassinat que la série se prépare à dépeindre, l’exposition prend un peu plus de temps avec l’entourage de Pena. Il y a par exemple Elena, son épouse, une femme qui a parfaitement endossé le rôle de l’épouse en retrait (que l’élection comme l’entourage politique de son mari lui imposent), mais qui, dans l’intimité, s’avère être la personnalité dominante du couple ; Julio, son jeune conseiller, fils du candidat de l’opposition et hébergé au sein du temple ; Ana, sa fille, qui entretient une liaison secrète avec Julio… parmi les personnages secondaires d’importance, il faut aussi compter sur Tadeo, un jeune homme extrêmement pieux, employé par le temple, et qui au terme de ce premier épisode sait quelque chose que le reste des personnages ignorent.

Lentement, les pièces du puzzle s’imbriquent. La volonté d’El Reino n’est pas de choquer, et pas vraiment non plus de susciter des frissons ou des questions ; il s’agit de dépeindre les nuances morales d’un univers où tout le monde fait des compromis. Ces négociations avec soi-même, l’entourage, la morale, la loi, ou Dieu, sont le véritable point focal de la série, seulement révélées par cet assassinat. Est-il politique ? Est-il religieux ? Se peut-il qu’il ne soit ni l’un ni l’autre ? Seuls les épisodes suivants sauront le dire, encore que, vu qu’une seconde saison est commandée, je ne sais pas encore dans quelle mesure ma question obtiendra réponse facilement.
Mais au pire, ça tombe bien, en politique comme en matière de foi, il est de toute façon rare d’obtenir des réponses claires…


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Et pour ceux qui manquent cruellement de lecture…

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