Forever young

30 juillet 2022 à 18:23

Ces dernières années, les biopics hispanophones n’ont pas manqué : captivées par le destin de quelques unes des plus grandes célébrités du continent, les spectatrices ont pu voir Luis Miguel, La Guzmán, Selena, El Último Rey… Vous constaterez qu’il s’agit souvent de personnalités musicales très connues, ce qui explique en grande partie le succès de ces séries.
En tout cas, se pencher sur la vie de personnes célèbres, ce n’est pas rare… en revanche, sur leur mort, c’est beaucoup plus rare. C’est pourtant ce que fait Santa Evita, une biographie argentine récemment lancée par Star+. Ou plutôt devrais-je parler de nécrographie ?

Car il n’est pas ici question de raconter ce qu’a fait Eva Perón de son vivant (les flashbacks incluant son interprète sont au contraire plutôt rares), mais de raconter ce qui s’est passé après le 26 juillet 1952, date de son décès.

Sur la décision de son mari, le Président Juan Perón (et contre l’avis de sa famille, notamment sa mère Juana Ibarguren), son corps est immédiatement embaumé par le docteur Pedro Ara, un spécialiste. A l’issue des funérailles nationales, pendant lesquelles elle est exposée devant tout le pays, des préparations sont faites pour l’installer dans un cercueil qui sera, à terme, exposé dans un monument à la gloire des travailleurs, qui n’existe pas encore. Dans l’intervalle, sa dépouille repose donc au siège de la CGT, auprès de laquelle Eva avait été active. Ara continue de s’occuper de son corps, travaillant à améliorer sa préservation au fil des ans.
Comment on fait une série de 7 longs épisodes sur ce genre de choses ? Eh bien, l’Histoire ne s’arrête pas là. Basée sur un livre éponyme publié en 1995, la série a d’autres événements à relater. Le monument n’est en effet jamais érigé, Juan Perón étant renversé par un coup d’État en 1955. L’ancien Président fuit le pays avec l’aide du Paraguay, puis s’exile en Espagne, sans avoir la possibilité de protéger le cadavre d’Evita, resté à la CGT. Or, craignant l’aspect hautement symbolique de celui-ci, les autorités militaires décident de le faire disparaître. De fait, la série s’intéresse à l’enquête du journaliste Mariano Vázquez, en 1971, qui reçoit une information inédite : on aurait retrouvé la dépouille d’Eva Perón, qui pourraient même être restituée.
Où s’était donc trouvée Evita pendant ces 16 années, et… s’agit-il réellement d’elle ?

Des séries sur la mort, il y en a pas mal ; mais ce sont essentiellement des série sur le deuil que l’on fait d’autrui, voire, à la grande limite, des séries où une à plusieurs protagonistes composent avec leur mortalité plus ou moins imminente. En revanche, des séries s’intéressant à ce qui nous arrive dans les années qui suivent notre mort, c’est tellement rare que là tout de suite, il ne m’en vient aucun exemple précis à l’esprit (mais n’hésitez pas à me contredire si jamais vous arrivez à penser à un contre-exemple). Par conséquent, ça ne me frappe que maintenant : à quel point, de tous les sujets possibles et imaginables (et de tous les traitements possibles), si peu de séries nous invitent à nous interroger sur ce qu’il advient de nous lorsque nous ne sommes plus là. Comme s’il y avait un interdit dans cette question, alors que, pourtant, ce n’est pas anodin : puisque nous allons toutes mourir, il semble naturel de se demander comment nous voulons être traitées. Moralement et émotionnellement, ça soulève plein de choses qui sont, d’un point de vue dramatique, très riches à explorer.

Il y a pourtant plein de questions qui se posent devant ce premier épisode de Santa Evita. Pour commencer, les volontés d’Eva Perón sont très peu évoquées : voulait-elle être embaumée et exposée de la sorte ? Au moment de l’arrivée du docteur Ara, plusieurs de ses proches dont sa mère Juana disent qu’elle aurait été hostile à l’idée d’être ainsi manipulée, mais ces protestations ne sont pas entendues, Juan Perón ayant le dernier mot sur le sort de la dépouille. Toutefois, s’agit-il là du reflet de sa propre volonté, ou de celle de sa famille ? En fait, chacune des membres de son entourage personnel et/ou politique a une idée arrêtée sur ce qu’il faudrait faire, y compris Ara qu’elle n’a jamais rencontré mais qui devient, plus ou moins organiquement, son gardien, travaillant chaque jour sur son cadavre au siège de la CGT, pendant trois longues années jusqu’au coup d’État. Evita est morte, et ne s’appartient donc plus… du coup elle c’est comme si elle appartenait un peu à tout le monde, au moins sur un plan symbolique. Mais légalement, se posent d’autres questions, bien-sûr, surtout après l’exil de Juan Perón, alors que le corps doit être évacué pour être protégé… Dans le fond, on peut aussi se demander si c’est important, la façon dont ce corps est traité : elle est décédée, ce n’est plus vraiment elle. Alors, chacune peut bien donner à ce cadavre l’importance qu’elle voudra, à condition de ne pas lui manquer de respect. Mais justement, comment on définit ce respect ? Après la mort d’Eva Perón, les passions personnelles et politiques dont elle faisait l’objet se cristallisent autour de sa dépouille, à l’instar de ce militaire, Koenig, qui lui voue secrètement une adoration mêlée de ressentiment. La fin du premier épisode est un peu glaçante à cet égard, reprenant implicitement ce que je lis être un mythe assez répandu (mais pas démontré) à propos du corps préservé d’Evita : il aurait fait l’objet de nécrophilie à plusieurs reprises.
Alors évidemment, après votre mort, après ma mort, après la mort de la plupart des gens, ces considérations n’ont pas la même portée. Je n’aurai certainement pas de quoi me payer un cercueil, surtout à ma taille, alors un embaumement, n’en parlons pas. Et puis, pour être exposée à qui ? Mais cela ne change pas le fond du problème, qui est que le respect des volontés funéraires des individus, et la dignité de leur dépouille, est une question importante. Et que plus largement, ce qui nous arrive après la mort (sur un plan autre que spirituel) est une réflexion qui mérite d’être considérée. Santa Evita, parce qu’elle s’intéresse à une femme célèbre, aimée, et décédée soudainement à un jeune âge, est un cas particulier, mais pose des questions universelles en matière d’éthique… même si ce n’est pas le cœur de son intrigue.

Il y a des moments de malaise dans ce premier épisode, et quelques lourdeurs scénaristiques à l’occasion. Toutefois, à travers son mystère (la dépouille d’Evita a-t-elle été retrouvée, est-ce vraiment elle, que lui est-il arrivé pendant tout ce temps ?), la série nous met face à un aspect de notre mortalité que très peu de fictions interrogent… et le quotidien pas beaucoup plus. A ce stade, je n’ai pas encore décidé si j’allais voir la suite, mais si je devais regarder les épisodes suivants, il serait sûrement très enrichissant, et inédit, d’être confrontée à mes pensées sur la question.
Personnellement, je veux être enterrée avec mes possessions les plus importantes.


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Et pour ceux qui manquent cruellement de lecture…

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