L’enfer, c’est la famille

7 août 2022 à 23:40

Il y a les téléphages à qui ça ne pose pas problème… et il y a celles qui ont l’impression d’étouffer dés lors qu’une série se base sur l’embarras de seconde main. Je suis, vous l’aurez compris, dans la seconde catégorie, et il m’est physiquement insupportable d’assister à des scènes gênantes et/ou humiliantes, en particulier lorsque l’humour d’une série repose dessus.
Dans le cas de la comédie danoise Helved, qui se déroule en milieu familial, ça atteint un tel degré que je n’ai pas peur de dire que cette forme d’humour relève du genre horrifique. C’est typiquement le genre de série pour laquelle 6 épisodes d’une vingtaine de minutes semblent absolument insurmontables… ce qui explique peut-être pourquoi, inconsciemment, je l’avais laissée dormir dans mes archives pendant aussi longtemps.

Au juste, je ne sais pas quelle réaction la série est supposée susciter, et je serais curieuse d’observer quelqu’un qui regarderait Helved en se pliant de rire. Je suppose que ça doit bien arriver ? Ce doit être fantastique d’avoir une expérience différente de ce genre de série, et donc de pouvoir comparer. Pour ma part en tout cas, je dois lutter contre l’envie de mettre en pause l’épisode après environ une réplique sur deux ; c’est insoutenable d’assister à l’humiliation d’un personnage, plus encore quand tout son entourage prend pleinement la mesure de son ridicule (ce qui, certainement, est le mécanisme le plus irritant du lot ; je crois que je serais plus encline à rire si personne d’autre ne relevait que le personnage est ridicule, et continuait l’intrigue comme si de rien n’était). Cette réaction n’est pour moi pas nouvelle, et régulièrement je fais appel à des comparaisons à The Comeback pour vous en parler, parce que vraiment, ce visionnage a été proche du traumatisme pour moi ; mais dans Helved, elle revêt une dimension supplémentaire.
C’est que la série s’intéresse à Albert, un acteur raté qui vit à Copenhague, et a décidé de revenir dans la ferme de sa famille à l’occasion de l’anniversaire de sa grand’mère (80 ans !), qui s’aperçoit pourtant à peine qu’il est là. En plus de la grand’mère, ladite famille inclut également son père, Jens, un homme dont il n’est pas proche et qui donne tous les signes de l’alcoolisme ; sa tante, Jytte, fine observatrice et qui s’occupe des affaires courantes ; et sa sœur, Ida, un peu naïve mais un peu cupide aussi. Et puis, récemment, Ida a commencé à fréquenter Dennis, son petit-ami riche qui roule en Tesla (et ça a l’air suprêmement important). Albert est en fait revenu dans la ferme familiale avec une idée derrière la tête, que le premier épisode dévoile lentement, mais avant d’en arriver cette révélation, on va se cogner de longues scènes pendant lesquelles les membres de la famille interagissent dans le plus grand des silences, avec juste le bruit mou d’une vieille horloge en guise de fond sonore.

DE LONGUES SCENES. Longues. Très longues. Si longues. Jamais un épisode de 17 minutes n’aura duré aussi longtemps.
Albert dit quelque chose. Silence embarrassé. Une membre de la famille répond. Silence gêné. Balbutiements d’Albert. Silence compromettant. Intervention d’une troisième protagoniste. Silence crispé. Non, attendez, pardon : c’est pas le silence qui est crispé, ce sont les ongles de ma main qui s’enfoncent toujours plus profond dans les accoudoirs de mon fauteuil, plus encore que pendant une visite douloureuse chez le dentiste. Ma poitrine se serre. Je manque d’air. Tremblante, ma main essaye de se dégager de l’accoudoir pour aller mettre l’épisode en pause. Faites que ça s’arrête…
Le pire étant qu’évidemment, les dialogues peuvent porter sur absolument n’importe quoi, au final leur sous-texte est presque toujours le même (au moins dans les scènes où toutes les membres de la famille sont réunies) : Albert a raté sa vie, et personne n’est dupe. C’est dans le fait que personne ne soit dupe que réside, en fait, tout l’embarras de seconde main.

Alors, quand le mouton noir de la famille essaie comme il peut de mettre sur le tapis l’idée de vendre la ferme, inutile de dire que la suggestion semble vouée à l’échec. Jytte, en particulier, veille au grain ; il apparaît d’ailleurs qu’il y ait eu un précédent par le passé, Albert ayant vendu des effets personnels de sa grand’mère pour aller démarrer sa carrière à Copenhague.
Sur la fin de l’épisode, Helved tente quelque chose de légèrement intéressant dans sa narration, donc je ne suis pas en train de dire que tout est à jeter. Mais même ce twist ne change pas grand’chose aux dynamiques familiales, dans lesquelles les défauts de tout le monde sont apparents, connus, et omniprésents pendant chaque conversation. C’est ce qui empoisonne les relations familiales, particulièrement à l’âge adulte, lorsqu’on se connaît suffisamment pour avoir une idée arrêtée (à tort ou à raison) sur chaque membre de sa famille ; que cette idée soit correcte ou qu’elle simplifie le rôle de chacune au sein de la famille n’a, en soi, pas d’importance. Il est de toute façon trop tard pour changer les dynamiques. Helved semble vouloir poser la question de savoir s’il est possible d’empêcher que les choses se déroulent comme elles se sont toujours déroulées ; Albert peut-il se sortir de son rôle et en incarner un nouveau, pour changer la façon dont sa famille réagit à ce qu’il dit, à ce qu’il fait, à ce qu’il est ? Vu le ton des longues, longues scènes qui ont précédé, on peut être quasiment certaine que c’est voué à l’échec.
…Et que chaque tentative de quand même essayer de modifier le cours des choses ne va aboutir qu’à des scènes encore plus gênantes. Merci bien, mais si je voulais expérimenter ce genre de choses, je parlerais encore à mes parents.


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Et pour ceux qui manquent cruellement de lecture…

1 commentaire

  1. Mila dit :

    J’ai senti ta souffrance à travers l’article et suis hyper convaincue que cette série n’est pas pour moi non plus u_u

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