Put my sneakers on

7 août 2022 à 23:37

Russell n’a jamais réussi grand’chose dans sa vie : sa vie sociale, sa vie amoureuse, sa vie professionnelle… A l’âge de 36 ans, il travaille comme vendeur à Sports Depot, un magasin d’articles de sport. Ni pour la gloire, ni pour le salaire, mais par amour pour les chaussures de sport, qui sont sa grande passion. Il estime en effet que les chaussures de quelqu’un le définissent… ou en tout cas il l’espère, avec quelques unes des plus belles sneakers au pied.
Sauf qu’un jour, par un concours de circonstances (c’est toujours par un concours de circonstances !), le voilà promu manager de son magasin. La vie lui sourit-elle enfin ?

Il y a peu de cultures télévisuelles au monde plus enclines à s’intéresser à la vie professionnelle des groupes sociaux-économiques les plus modestes que le Royaume-Uni, en particulier dans le domaine de la comédie (mais pas exclusivement). Les séries britanniques jouent depuis des décennies la carte non pas de l’escapisme, mais au contraire de l’identification, et au fil des séries de nombreuses professions se sont ainsi retrouvées mise en scène. Cela ne signifie pas, évidemment, qu’on ne trouve pas une ribambelle d’avocates et de docteures dans les séries d’Outre-Manche (d’ailleurs il faut que je me cale un peu de temps pour This is Going to Hurt, dont paradoxalement je n’entends que du bien), mais il y a en parallèle une longue tradition de séries sur des professions ouvrières, ou leur équivalent dans une économie moderne. Et donc Sneakerhead s’inscrit dans cette longue histoire, ce qui lui procure certains avantages en matière de ton, notamment de trouver tout cela normal au lieu de se comporter comme si on était au zoo (certaines autres séries, qu’on ne nommera pas, respirent la condescendance envers leur sujet).
Russell lui-même, qui assure la voix-off d’une partie de l’épisode, prend les choses avec énormément de naturel. Pour lui c’est parfaitement banal d’avoir une vie nulle, d’ailleurs il ne voit même pas forcément à quel point sa vie est miteuse tant cela représente la normalité pour lui.

Dans le premier épisode, sa petite-amie Clare lui vole ses chaussures ET le plaque pendant la même conversation… partant donc avec ses sneakers aux pieds. Désabusé mais pas plus traumatisé que ça, son premier réflexe est d’aller en parler à ses collègues, qui sont aussi ses amies. Il y a Mulenga, qui a toujours un side hustle en tête pour se faire un peu plus de blé ; Amber, maussade de nature mais aussi secrètement romantique ; Jemma, qui est une recrue récente mais aux dents qui rayent le parquet ; et enfin George Allen, un employé un peu plus âgé et qui parvient toujours à tirer au flanc. Tout le monde encourage Russell à tourner la page et arrêter sa fixette sur Clare, avec laquelle de toute façon il n’a jamais couché et qui est, de l’avis général, insupportable. Mais pour Russell, qui possède une capacité hors du commun à relativiser le pire, peut-être qu’il y a moyen de moyenner.
Toujours est-il qu’au fil des conversations, il arrive dans le bureau de sa manager, laquelle est enceinte jusqu’aux yeux ; elle est au téléphone avec sa hiérarchie, mais comme elle n’a pas d’équivalent à un CDI, elle n’a pas droit à un congé maternité. De rage, elle fourgue le téléphone à Russell et démissionne séance tenante… si bien que Russell se voit propulser manager du magasin, sans aucune qualification. Et en même temps tout le monde s’accorde à dire que Sports Depot est un endroit tellement minable qu’il n’y a besoin d’aucune sorte d’expertise.

L’humour de Sneakerhead repose essentiellement sur la façon dont Russell accepte tout ce qui lui arrive, sans être totalement aveugle aux inconvénients, mais en prenant toujours les choses du meilleur côté possible (par exemple il dit à un moment, au premier degré, qu’il a de la chance d’habiter encore avec son père…). Qui plus est, galvanisé par ses potes, il se met en tête d’être un meilleur manager et de transformer Sports Depot en un lieu de travail parfait ! Enfin, meilleur, pour commencer. Sauf qu’évidemment ce n’est pas si simple, entre corporate qui lui souffle dans la nuque, ses préoccupations personnelles vis-à-vis de Clare, ou tout simplement… bah, ses collègues. Qui l’aiment bien, mais ne changent pas leur attitude pour lui.
Sneakerhead navigue tout cela avec une bonne humeur qui n’entâche pas son désir de préserver une certaine forme d’authenticité, mais qui élève le quotidien tout de même avec des situations absurdes (Mulenga a récupéré des ordinateurs au moment de la fermeture de l’agence de voyages, et essaie de les vendre pour son compte à des clientes de Sports Depot, par exemple…). Contrairement à beaucoup de héros de séries similaires, Russell, parce qu’il est d’une bonne nature, ne réagit pas comme quelqu’un de perpétuellement dépassé par ce qui se produit, plutôt comme quelqu’un qui ne perçoit pas forcément le décalage entre l’idée qu’il se fait de son job, et la réalité de son lieu de travail (qu’il veut améliorer, donc) et l’attitude des personnes qui l’entourent. Il y a quelque chose d’incroyablement décontracté dans sa façon d’appréhender les situations, et qui, au final, tourne plutôt en sa faveur lorsque s’achève l’épisode.

Ce n’est pas une vie de rêve, loin de là. Mais dans Sneakerhead, et pour beaucoup de gens qui regardent Sneakerhead, c’est la normalité. C’est une comédie à la fois humble et sincère, avec une pointe d’optimisme et de bonhommie, qui ne révolutionne pas la télévision, mais ça tombe bien, elle n’est pas faite pour. Son objectif, c’est de ne pas tourner ses personnages ou son contexte au ridicule, mais de permettre de rire de choses plus ou moins relatable, bref, d’offrir quelque chose de familier et confortable. Comme des sneakers.


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Et pour ceux qui manquent cruellement de lecture…

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