LOVE again

24 décembre 2022 à 23:43

Le soir du 1er décembre, alors qu’elle est installée en bout de table avec ses neveux à peine capables de tenir une cuiller à soupe, et moins encore une conversation, Gianna réalise qu’elle va passer Noël en étant célibataire. Ce qui à la limite serait encore tolérable… si sa famille, et en particulier sa mère, n’insistait pas tant pour la voir en couple. Avec la pression (et l’impression de ne pas pouvoir exister autrement au sein de sa famille), le craquage est total, et en plein milieu du dîner familial, Gianna annonce qu’elle viendra au réveillon de Noël avec son petit ami.
Bon, c’est juste qu’elle n’en a pas, de petit ami. Détail.
A partir de là notre héroïne de romcom transalpine décide de tout faire pour sauver son réveillon du naufrage. Elle qui n’a pas eu de vie amoureuse depuis la fin de son histoire avec Francesco… il y a 3 ans. Dire qu’elle est un peu rouillée est en-dessous de la vérité, et il lui faudra pas mal de suggestions et de soutiens de ses amies pour se rem-…

Attendez voir ? Oui, c’est bien ça : Netflix a trouvé le moyen de nous refiler la même camelote deux fois, puisque la série Odio Il Natale (ou I Hate Christmas de son titre international, une traduction littérale) est en fait une adaptation italienne de la dramédie norvégienne Hjem til Jul. J’ai regardé le premier épisode en espérant m’être trompée, en grande partie parce que j’ai encore des sueurs froides, la nuit, en faisant des cauchemars basés sur cette série (plus spécifiquement, dans ces cauchemars je regarde la saison 2 de Hjem til Jul… brrr, n’en parlons plus, ça me met déjà mal à l’aise rien que d’y penser). Et en partie parce que, quand même, Netflix, est-ce bien raisonnable ?

Pour les besoins de ma vérification, et donc de cette review, je n’ai regardé que le premier épisode d’Odio Il Natale : la vie est suffisamment difficile sans s’infliger une série qu’on a détestée pour la SECONDE fois, juste pour le plaisir d’y assister dans une langue différente. Même mon masochisme a ses limites.
C’est largement suffisant, vu ce que j’y ai découvert : Odio Il Natale, qui est une production de nos potes de chez Lux Vide, est un copier-coller assez simpliste. Il ne semble pas y avoir eu de réflexion sur le fond de notre affaire, par exemple : Gianna passe en un clin d’oeil de « je veux que ma famille me traite comme une adulte donc je vais ramener quelqu’un pour Noël » à « il me faut trouver l’amour avant Noël », sans l’ombre d’une explication même à elle-même. Moi, si je devais réécrire une série (ce qui évidemment n’est pas mon job donc interprétez-le comme vous le voulez) avec un plot hole de cette taille, je m’arrangerais pour au moins expliquer comment Gianna passe d’une notion à l’autre, ou bien plus prosaïquement j’arrêterais de lui faire dire qu’elle est parfaitement satisfaite de sa vie amoureuse. Ce sont des motivations largement différentes, et la motivation d’une protagoniste principale n’est quand même pas accessoire. Et puis cette nuance logée dans le « je me suis adulte mais je ne suis pas vue comme adulte », que la série met pourtant sur le tapis, n’est pas dénuée d’intérêt dramatique ! Mais non, dans Odio Il Natale, le travail n’a pas été fourni là-dessus, alors qu’il n’empiètrerait même pas vraiment sur le sujet de la série, seulement sur son intérêt envers la vie intérieure de sa protagoniste. C’était strictement le même problème que j’avais avec la mise en place de Hjem til Jul, mais apparemment on n’arrête pas une équipe qui perd.

Il y a, cependant, quelques nuances entre les deux séries, et la preuve d’une réflexion d’adaptation qui a bel et bien eu lieu (plutôt qu’une bête traduction des scripts). Cela se limite exclusivement à incorporer des traditions de Noël italiennes plutôt que scandinaves, mais c’est mieux que rien, me direz-vous. C’est d’ailleurs ce qui, au début de l’épisode inaugural, alors que je cherchais encore à déceler des différences entre les deux séries, m’a induite en erreur : il ne s’agit, évidemment, pas d’un duplicata exact. Il est question d’aller chercher du houx dans la forêt, d’aller à l’église pour assister à une messe/chorale, d’installer la crèche avec le petit Jésus, ce genre de choses qui, si je me souviens bien (mais j’admets volontiers avoir eu recours à des pratiques d’hypnothérapie pour oublier un maximum de mon expérience devant Hjem til Jul ; on est bien d’accord que je suis assez endommagée comme ça sans avoir en plus à revivre ce traumatisme-là aussi), n’étaient pas présentes dans la série originale. Au plus, je me souviens d’un sapin de Noël, ce qui est autrement moins marqué en termes de traditions. C’est une mission tout-à-fait normale pour un remake international, naturellement, que d’adapter à la culture locale ; mais effectivement cela limite l’effet de redite… au moins en apparence.
En outre, Odio Il Natale a décidé de flanquer Gianna de toute une bande de copines genre Sex & the City (enfin, tellement fades que ce serait plutôt Cashmere Mafia…), qui remplacent donc la colocataire de Johanne dans la série d’origine. C’est un choix qui pourrait être intéressant si ces personnages avaient la moindre épaisseur, mais comme les archétypes sont strictement les mêmes (il y a une amie qui annonce dés sa première apparition qu’elle est vierge à 30 ans, une autre qui fait sa Samantha en parlant cul, etc.), cette « innovation » s’avère rapidement n’avoir aucune sorte d’impact. Au final, Odio Il Natale ne sort pas grandie de ce changement, qui délivre quelques uns des pires clichés sur les femmes sans que cela n’ajoute quoi que ce soit à la série.

D’une façon générale, Odio Il Natale a l’air d’adorer se vautrer dans l’expression du sexisme le plus primaire. Il y a même une scène ahurissante, dont je suis à 712% sûre qu’elle n’existait pas dans la version norvégienne parce que je pense que ça m’aurait marquée, pendant laquelle Gianna décide de rejoindre des cours de cuisine et s’entend dire par l’instructeur, dans une classe uniquement masculine, que seuls les hommes font de l’art culinaire. Pardon : fond de la CREATION (oui c’est vrai que les femmes ne créent rien, même pas la vie, punaise c’est Noël en plus, il est sorti d’un homme le petit Jésus ? faites un effort quand même). Alors bien-sûr, c’est une série de 2022, et une série de Netflix de 2022 qui plus est, alors à un moment Gianna a quand même un mouvement de recul devant le sexisme extrême de ces personnages. QUAND MÊME. Mais le reste du temps, personne dans la série ne semble tilter : ni elle, ni aucun autre personnage. La famille de Gianna, en particulier, parle de sa fertilité d’une façon débectante, et je ne me souvenais pas d’autant de violence dans la série d’origine. Est-ce qu’une série norvégienne oserait faire ça à son propre public ? J’ose en douter, j’ai peut-être tort. Mais mon professionnalisme s’arrête là où commence la nécessité de revoir Hjem til Jul pour vérifier.
En même temps, je vais être honnête avec vous : je ne suis pas surprise. Et en particulier, je ne suis pas surprise que ce soit dans une série de Lux Vide qu’on trouve ces ingrédients, la société de production étant plus qu’habituée à une ligne éditoriale très conservatrice (…si vous n’avez pas cliqué sur le lien la première fois, voici une seconde chance de comprendre cette référence). Qui veut se dévouer pour vérifier que dans la version italienne, Gianna n’a pas d’expérience avec une femme, cette fois ? Je suis à peu près sûre que, vu la teneur d’Odio Il Natale, cet aspect a été écarté ou au moins gommé.
En somme, il n’y a pas de hasard : une série qui au départ était très insuffisante a capté l’attention des personnes les moins bien intentionnées pour fourguer de la romcom plus sexiste que la moyenne (à un public largement présumé féminin).

Ce serait oublier un peu vite la responsabilité de Netflix dans notre affaire. C’est la deuxième fois (au moins ?) que la plateforme décide de fourguer un remake d’une de ses propres séries à son public. Et la deuxième fois pour une série dont la thématique est Noël, d’ailleurs, je me demande si ça a un rapport ? Pour sa défense, au moins cette fois-ci elle a diffusé le remake après la série originale, au moins !
C’est ça, le business model de Netflix maintenant ? Proposer des remakes de ses propres séries moins de deux ans après leur arrêt ? C’est une pratique de monétisation qui vaut le coup, d’ailleurs ? Je veux des chiffres, qu’on m’explique la logique. D’autant que Hjem til Jul avait plutôt bien marché (suffisamment pour obtenir une seconde saison, en tout cas), donc l’intérêt de commander un remake plutôt que poursuivre la série d’origine me questionne légèrement, même si je sais aussi que Netflix a développé une allergie considérable aux séries de plusieurs saisons. Peut-être que c’est rentable de produire deux séries à partir de la même propriété intellectuelle ; bon, même si de toute évidence il faut quand même procéder à un travail d’adaptation. Alors du coup, pourquoi l’Italie, d’ailleurs ? Est-ce que Netflix a découvert que c’était un marché qui pouvait apprécier l’histoire de la série norvégienne, mais pas les spécificités de son contenu ? Est-ce que les aides à la création font que c’est un bon endroit pour produire une série à peu de frais ? Je n’ose croire que l’idée vienne de Lux Vide, je vois encore moins de raisons pour une société de production (plus encore de cette envergure) de pitcher un remake à Netflix d’une de ses propres séries… Honnêtement je ne sais pas ce qui peut motiver pareille décision. C’est forcément, au moins en partie, financier ; mais de quelle façon ?
Autant de réponses que je n’aurais probablement jamais. La plupart des articles que je trouve prenant la peine de mentionner qu’il s’agit d’un remake ne dépassent pas l’amusement léger (« et devinez quoi, c’est un remake de cette série qu’on avait aimée ya deux ou trois ans ! sympa pour les fêtes ! »). Peut-être que j’ai mal cherché. Peut-être que ça n’existe vraiment pas. Peut-être que je suis de mauvaise humeur. Vous ne pouvez rien prouver.


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Et pour ceux qui manquent cruellement de lecture…

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