The problem with the sySTEM

28 décembre 2022 à 23:29

L’un de mes plus grands regrets de 2022 aura été de ne pas réussir à parler d’autant de séries indiennes que je l’aurais voulu. Des tonnes de bonnes séries ont émergé du sous-continent indien tout au long de l’année (et ce n’est pas la première année que c’est le cas), et il aurait fallu leur rendre justice. Malgré toute ma bonne volonté, y compris sur la dernière ligne de décembre, cela n’aura pas lieu, mais donnons-nous rendez-vous en 2023 pour arranger un peu cela.

En attendant, pour vous faire patienter, laissez-moi quand même caser quelques mots sur le premier épisode de Physics Wallah, une série inspirée de faits réels proposée depuis le début du mois par Amazon miniTV, une app pour l’instant exclusive à l’Inde qui constitue l’offre gratuite (soutenue par la publicité) d’Amazon dans le pays depuis peu.

Vous ne connaissez pas Physics Wallah, et pourtant ce nom est très familier de millions de jeunes indiennes : il s’agit d’une chaîne Youtube éducative dotée de plus de 9 millions de followers à l’heure où j’écris ces lignes, dédiée à l’enseignement de sciences en particulier dans le cadre des examens d’entrée dans plusieurs facultés. Lesdits examens étant très sélectifs, il n’est pas rare pour les étudiantes de recourir à des cours dans des instituts de formation privés, mais Physics Wallah s’est démarquée au fil des années comme une alternative à ces programmes onéreux. Elle a aussi, avec le temps, élargi ses programmes à tous les niveaux scolaires.
La série s’attache donc à décrire l’avènement de cette chaîne Youtube… et c’est probablement la seule situation possible dans laquelle je pouvais trouver que raconter la fondation d’une chaîne Youtube est digne d’une série toute entière !

Naturellement, quand démarre Physics Wallah (la série), le succès n’est pas encore là. Il n’y a qu’un étudiant ingénieur du nom d’Alakh Pandey, qui ne sait pas trop quelle direction faire prendre à sa vie.
Dans la toute première scène, il établit même, à travers ses doutes personnels, une critique assez sévère de l’écosystème indien lorsqu’il s’agit des STEM : peu importe d’apprendre les sciences à l’école ou même à l’université, de toute façon, le seul secteur qui recrute, ce sont les métiers de l’informatique. Les entreprises viennent recruter des personnes fraîchement diplômées, peu importe leur spécialité du moment qu’elles aient un socle scientifique, puis les forment pendant quelques mois et les mettent à un poste IT jusqu’à la fin de leurs jours. Et ça, Alakh, il n’en veut pas. Il ne veut pas passer les examens, non plus, qui à son sens n’ont pas de réel intérêt.
C’est justement ça qui le trouble : la perte de sens. Et devant sa grande sœur qui essaie désespérément de lui faire comprendre qu’à un moment, il va falloir qu’il devienne sérieux et qu’il entre dans la vie active (ne serait-ce que parce qu’elle est la seule à subvenir aux besoins de leurs parents, et accessoirement à ceux d’Alakh, pour le moment), il a du mal à expliquer sa recherche de sens. Mais il se souvient ce que c’est que d’être passionné par les sciences, et il voudrait éprouver ça, plutôt que de se lancer dans la course à l’emploi.

Le hasard faisant bien les choses, après s’être disputé avec sa sœur, il se retrouve par hasard devant l’un de ces instituts qui préparent aux examens d’entrée à la faculté de médecine. Figurez-vous que, super coup de bol : on y recrute des enseignants ! Alakh a une épiphanie, et réalise que c’est peut-être ça, la solution au problème qui le tenaille, et se présente les mains dans les poches à un entretien avec le patron de l’institut. Et ça tourne un peu au job dating de l’Education nationale
Physics Wallah s’attache à nous raconter cette origin story comme si elle était grandiose (musique à l’avenant, considérez-vous prévenue), et ce n’est pas toujours bienvenu. Lorsqu’Alakh répond à un examen de physique improvisé devant l’intégralité des étudiantes de l’institut, on a l’impression qu’à la fin tout le monde va applaudir alors que… mais mec, si tu veux être prof encore heureux que tu connais la réponse à dix malheureuses questions ! Tu veux une médaille ?! On ne comprend pas toujours pourquoi certains aspects de la trajectoire d’Alakh devraient être considérés comme exceptionnels. Par nous, en tout cas ; pour lui il est certain qu’il y a une progression, une révélation même, dans ces passages… cependant la série insiste vraiment beaucoup sur l’aspect héroïque de ce qui est, somme toute, pour le moment très banal.

Et c’est très dommage parce que, si Physics Wallah se l’autorisait, elle pourrait au contraire être très touchante. C’est clairement le registre dans lequel donne l’acteur Shreedhar Dubey dans son portrait d’Alakh, en plus, essayant de capturer, presque malgré tout, une vulnérabilité attachante.
La réalisation s’arrête juste assez sur ses expressions pour ne pas trop en perdre, mais le scénario semble s’obstiner à ignorer la progression intérieure du personnage, alors qu’elle semble pourtant capitale tant Alakh Pandey est indissociable de Physics Wallah (d’ailleurs la chaîne porte aussi son nom…). Quand il réalise qu’être calé en physique n’implique pas d’être un bon enseignant, on effleure à peine ses doutes avant d’avoir droit à un montage musical pour nous montrer à quel point, en quelques jours, il progresse à ce sujet au point de devenir meilleur que le prof le plus respecté de l’institut. On voudrait ressentir à ses côtés la joie d’enseigner, ou la peine d’être viré de l’institut (oui, dés le premier épisode), mais rien à faire, c’est à la fois le sujet et pas du tout le centre d’intérêt de la série, qui préfère plutôt insister sur combien Alakh, avant même d’être populaire, est aimé.
Elle est vraiment là, la thèse de la série : dans la façon dont le monde entier ne peut qu’être absorbé par la passion d’Alakh Pandey pour la science, et l’enseignement de la science. Mais pas pour nous la faire ressentir à notre tour, non ! Juste dans l’espoir que ça soit contagieux.

Ce qui aurait pu donner un formidable conte moderne sur l’enseignement, ses difficultés, ses limites (d’où la création de la chaîne, et plus tard de l’app), devient finalement… une version enseignante de la pas du tout regrettée hagiographie Girlboss (cette dernière avait au moins l’excuse d’être co-produite par la personne sur laquelle la série portait). Avec moins de fringues et plus de bons sentiments.
Alors, vous me direz, c’est la période des fêtes, les bons sentiments, c’est de saison. Et puis, si on ne voulait pas entendre parler de l’enseignement du point de vue de celles qui le produisent, on ne serait pas toutes en train de porter Abbott Elementary aux nues comme en ce moment. Est-ce que Physics Wallah pourrait faire mieux ? Oui. Est-ce que pour autant elle est dénuée d’intérêt ? Non. Elle se regarde agréablement, et offre, qui plus est, l’opportunité de se glisser dans un système scolaire que nous connaissons mal, ce qui est… une bonne opportunité d’apprendre.

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Et pour ceux qui manquent cruellement de lecture…

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