Ma couleur préférée est sépia

8 février 2023 à 14:47

Fin janvier, j’ai remarqué que le premier épisode de la saison 2 de Meikenchiku de Chushoku wo avait été sous-titré… et évidemment, je n’ai toujours pas parlé de la saison 1 ! Devinez donc ce qu’on fait aujourd’hui.
Lancée pendant l’été 2020 par BS-TV Tokyo (la version satellite de TV Tokyo) et co-produite avec BS-TV Osaka, Meikenchiku de Chushoku wo porte littéralement pour tagline Déjeûnons dans un édifice célèbre, en français dans le texte (en fait, la traduction du titre japonais), ce qui en fait une série assez transparente dans son intention.

A l’origine, quand j’avais commencé la série, elle m’avait été présentée comme une « série d’appétit », et je me disais que la regarder pour la reviewer ne pourrait qu’ajouter à ma longue collection de reviews sur ce sous-genre japonais que, vous le savez, j’affectionne particulièrement. Mon enthousiasme à écrire sur la série était un peu retombé en découvrant que la réalité était plus complexe, et surtout moins culinaire qu’attendu. Ce qui ne veut pas dire que Meikenchiku de Chushoku wo soit une mauvaise série, simplement elle n’entrait alors pas trop dans le cadre de ce sur quoi j’avais envie d’écrire.
Meikenchiku de Chushoku wo est (un peu comme Tetsu Oota Michiko, 2 Man Kilo d’ailleurs) une série au rythme lent, contemplatif, et basé sur une exploration du réel moins que sur la fiction. Il y a une intrigue avec un fil rouge, je vous rassure ; mais le cœur des épisodes est surtout de s’intéresser aux découvertes que les deux protagonistes centrales font en découvrant des bâtiments anciens japonais.

Tout commence par un bel été, quand Fuji Haruno (incarnée par Elaiza Ikeda, qui incarnait le rôle principal de Followers sur Netflix), une jeune femme qui aime tout ce qui est un peu vintage, envoie un message à une inconnue sur les réseaux sociaux : elle suit son compte depuis un moment, et admire la façon que l’inconnue a de parler des endroits qu’elle visite. L’inconnue emploie en effet le terme « otome kenchiku » (les sous-titres anglais l’ont traduit fidèlement en « maiden building« ), un qualificatif plutôt poétique et suranné qui donne envie à Fuji de devenir son apprentie, et la suivre dans ses visites pour adopter son point de vue. A sa grande surprise, l’inconnue se révèle être un homme un peu âgé, Chiaki Uekusa (Chiaki étant majoritairement un prénom féminin, la méprise est concevable). Toutefois celui-ci accepte sa proposition, et commence donc à prendre Fuji sous son aile, l’embarquant dans ses visites et en partageant avec elle ses connaissances architecturales.
A partir de là, la série adopte une formule qui bougera assez peu dans les épisodes suivants, consistant à suivre Fuji dans sa vie de tous les jours (avec ses préoccupations personnelles sur lesquelles je reviens dans un instant), puis à interrompre son quotidien par un message de Chiaki : « voulez-vous déjeuner dans… », suivi d’une description vague d’un lieu tenu secret. Le maître et l’apprentie se retrouvent ensuite quelque part dans Tokyo, marchent jusqu’au lieu en question, ont le privilège d’une visite semi-guidée (apparemment tout le monde connaît Chiaki dans ces bâtiments !), puis déjeunent dans le restaurant attenant à l’édifice, ou, s’il n’y a pas de restaurant, font une pause sandwich pendant laquelle Chiaki et Fuji échangent quelques mots sur autre chose que l’architecture. Par exemple avec la jeune femme demande un conseil, ou pose des questions personnelles pour apprendre à mieux cerner son aîné. Une fois le déjeuner fini, chacune retourne à sa vie, ce qui permet à l’intrigue de Fuji de progresser grâce à ce qui s’est dit avec Chiaki au déjeuner.

Si vous m’avez déjà lue au sujet des « séries d’appétit » (et mon Dieu, comment avez-vous pu l’éviter ?), vous pouvez sûrement constater qu’il y a là pas mal de ressemblances avec ces séries culinaires. En particulier, le déjeuner apparaît comme une matérialisation de la satisfaction ressentie pendant cette journée.
Mais la différence, et elle est de taille, est que Meikenchiku de Chushoku wo n’est pas franchement intéressée par le repas en lui-même, qui constitue une très courte de scène, et qui, pour l’essentiel, se penche peu sur le contenu des assiettes. Tout au plus Fuji et Chiaki pousseront-elles quelques « oh » et quelques « ah », confesseront que tout cela est très bon, et apprécieront l’ambiance dans laquelle elles consomment leur déjeuner. Toutefois, la gastronomie n’est pas le but ici. Le violon d’Ingres de la série est résolument l’architecture, et dans une certaine mesure, comment l’ancrage de celle-ci dans le passé peut informer le présent de Fuji.

C’est que, cet été-là est un été de transition. Fuji et sa meilleure amie Ayaka, qui se connaissent depuis leurs études, ont en effet pris la décision d’ouvrir leur propre « café » (appellation à la japonaise légèrement trompeuse pour nous, puisque doit également y être servi un plat populaire comme le curry). Pour réaliser ce rêve commun dont elles parlent depuis l’université, mais qui ne s’est jamais concrétisé, Fuji et Ayaka, toutes deux récemment célibataires, se sont promis de consacrer tout leur temps libre à développer leur projet. Les deux jeunes femmes ont réparti les tâches selon les compétences de chacune : Ayaka, qui travaille déjà dans la restauration, est en charge du business plan et de la cuisine ; Fuji, dont le travail de bureau est moins corrélé au projet, est chargée de penser à un concept, de la décoration, et de trouver le lieu à acheter. D’où les visites, en fait : Fuji espère s’inspirer de lieux anciens pour créer un établissement un peu retro, et les otome kenchiku de Tokyo doivent nourrir sa réflexion.
Il s’avère cependant que Fuji n’est pas aussi passionnée par le projet qu’espéré. Ou disons qu’elle le serait un peu plus si elle ne se posait pas plein de questions… notamment sur son amitié avec Ayaka. Les deux jeunes femmes sont très différentes, et ce qui apparaissait jadis comme une force complémentaire devient, avec les objectifs plus pragmatiques, un obstacle. Ce n’est pas exactement que les deux amies se disputent… c’est plutôt qu’un malaise s’installe, à plus forte raison parce que Fuji se sent inférieure à son amie. Meikenchiku de Chushoku wo se fait la chronique de ce flottement. Fuji aimerait que ce café se fasse, mais elle voudrait aussi ne pas se sentir dépassée, et ne pas se sentir frustrée par son emploi actuel, dont l’ennui et l’inadéquation semblent parfois être son seul moteur à se lancer dans le projet de café…

Il y a donc une vraie intrigue derrière ces épisodes nonchalants, mais, en définitive, assez peu de retournements de situation. Le ton contemplatif de la série donne plutôt l’occasion à Fuji de faire le point pour déterminer où elle en est dans la vie… ce qui, hélas, de par son tempérament, signifie douter d’elle-même, de ses motivations, et du futur qui l’attend. En cours de saison, son ex petit-ami, avec lequel elle a rompu 6 mois avant le début de la série, fait en outre une réapparition, ce qui ne rend pas les choses plus claires. Dans tout ça, Chiaki n’est pas qu’un professeur bénévole en architecture : il arrive à Fuji d’essayer d’obtenir de lui, en tant qu’aîné, des paroles de sagesse qui pourraient l’inspirer non seulement dans les plans pour le café, mais plus largement aussi les plans pour la vie. Cette aide sera ne sera pas toujours celle espérée ! Chiaki est un homme solitaire, détaché, qui mène une vie assez peu dédiée aux autres et entièrement centrée sur son propre plaisir. Toutefois, progressivement, il va commencer à ressentir une affection toute paternelle pour la jeune femme.
Au fil des rencontres dans des lieux atypiques, les deux nouvelles connaissances s’apprivoisent, en apprennent l’une sur l’autre, et, l’air de rien, laissent une empreinte…

Toutefois, n’allez pas croire que Meikenchiku de Chushoku wo n’utilise son sujet (les fameuses otome kenchiku) que comme un prétexte. Les épisodes s’attardent longtemps, au contraire, dans ces lieux hors du commun. La série fonctionne autour de règles qui ne sont pas dictées explicitement (par exemple si Chiaki avait décidé de les suivre dans ses excursions), mais dont l’omniprésence guide néanmoins tous les épisodes. Par exemple, les visites du tandem se font toujours en journée, alors que l’établissement est vide : qu’il s’agisse d’un musée ou d’une bibliothèque, il n’y a jamais personne pour troubler la quiétude du lieu (les rencontres ne sont pas du tout l’objet de la série comme cela pouvait être le cas, par exemple, dans Tetsu Oota Michiko, 2 Man Kilo). On y trouve juste une employée qui les accueille à leur arrivée, leur présente quelques éléments notables du lieu, avant de discrètement s’effacer pour mieux les laisser arpenter les couloirs, les escaliers (grande fan d’escaliers, cette  Meikenchiku de Chushoku wo) ou les jardins. En l’absence d’autres touristes, l’endroit semble alors comme hors du temps, ce qui permet à Fuji et Chiaki d’apprécier aussi bien ce qui relève de l’historique (les moulures d’origine, mettons) que de l’histoire du bâtiment (une rénovation plus récente). Un entre-deux bien pratique. En outre, tous les bâtiments tokyoïtes visites dans cette première saison ont en commun d’avoir été construits au 20e siècle, par des architectes ayant des influences occidentales (soit parce que l’architecte vient d’un autre pays, soit pour avoir étudié temporairement sous un maître européen ou américain).
Ces règles construisent l’identité de la série. Elles se retrouvent dans les bâtiments visités mais aussi, par ricochets, dans les événements historiques discutés, ou même les plats consommés. La formule de la série consiste également à conclure chaque épisode par un montage des différentes photos prises par Fuji pendant la visite (certaines parfois un peu floues ou mal cadrées !). Malgré cet aspect profondément procédural, la première saison a, au fil de ces pérégrinations sages, le temps de boucler son intrigue, et l’on en saura plus sur les choix que fait Fuji pendant cet été pas comme les autres.

Quelques mois après la diffusion de cette première saison, un SP (pour « special« , l’appellation fourre-tout dans laquelle les chaînes japonaises incluent les téléfilms et autres épisodes spéciaux) emmène cette fois Fuji dans sa ville natale, Yokohama. D’une durée de seulement 46 minutes, ce qui est certes le double des épisodes hebdomadaires mais quand même plutôt court, le SP organise des retrouvailles entre Fuji et Chiaki. Depuis la première saison, les deux amatrices de belles bâtisses ont en effet un peu perdu contact, ce qui semble être la faute à personne. En particulier, la jeune femme n’a pas reçu de message « voulez-vous déjeuner dans… » depuis plusieurs mois, et Chiaki s’est fait discret sur les réseaux sociaux. Fuji a quant à elle trouvé une forme d’épanouissement découlant de la conclusion de la saison 1, et profite de ce bien-être nouveau pour s’organiser quelques virées à Yokohama, en profitant pour regarder d’un oeil nouveau les bâtiments auprès desquels elle a grandi, mais auxquels elle n’avait encore jamais prêté attention. C’est ainsi que lui vient l’idée d’inviter Chiaki, rompant leur silence impromptu pour lui proposer un programme dont, cette fois-ci, elle est l’instigatrice.
Les dynamiques sont légèrement renversées pendant cet épisode qui, cette fois, prend le temps d’explorer une partie du passé douloureux de Chiaki. Dans la première saison, on avait appris rapidement qu’il était le fils d’un architecte plutôt fameux, mais qu’il avait terriblement déçu son père ; le SP prend cette information et décide d’explorer la relation entre le père et le fils… hélas, après la mort du père. Est-il trop tard pour panser les plaies passées ? Au fil de cette journée à Yokohama, Meikenchiku de Chushoku wo et son atmosphère calme, si propice à l’introspection, offrent une chance à Chiaki de faire le deuil non de son père, mais de leur relation.
Les ingrédients de la saison passée restent en grande partie immuables par ailleurs (même si évidemment, avec un épisode isolé on n’a pas le bénéfice d’autant de variété que dans une saison complète, avec ce que les variations peuvent permettre visuellement ET thématiquement). Une parenthèse offerte au duo de passionnées, avant de reprendre leur quotidien où elles l’avaient laissé, à Tokyo.
La seconde saison, diffusée pendant l’été 2022, prend cette fois la direction d’Osaka. Elle compte moins d’épisodes : seulement 6, contre 10 pour la première saison… ce qui devrait faciliter une traduction plus rapide. Je ne vous en propose donc pas une review pour le moment, je le ferai peut-être lorsque tous les épisodes auront été traduits. Et puis, c’est HPriest, figure du fansub anglophone, qui a pris le projet, donc les risques d’abandon relèvent de l’inexistant.

Il n’y a, franchement, que la télévision japonaise pour produire des séries comme celle-ci. Meikenchiku de Chushoku wo pousse vraiment l’aspect travel show aussi loin que possible, en s’arrêtant sur les détails du bâtiment visité, en superposant des photos d’époque à l’écran lorsque les protagonistes parlent de figures historiques, en montrant, quand elles existent, des plans ou des images d’archives pour constater l’avant/après de certains endroits. Pourtant, son cœur bat bel et bien au rythme d’une narration dramatique, dont les contours se dessinent légèrement au fil de visites qui ont toutes les apparences de l’anodin.
En regardant Meikenchiku de Chushoku wo, on est frappée par son intérêt sincère pour le sujet ; peu de séries sont dirigées par la curiosité culturelle pure, sans aucun cynisme, sans aucune arrière-pensée. Même si elle est diffusée par des chaînes du satellite, elle serait parfaitement à sa place sur le service public (d’ailleurs je trouve la série comme le format lui-même parfaitement exportables), tant son émerveillement face à des bâtiments méconnus mais chargés d’histoire est communicative. Comme les « séries d’appétit » dont elle est la cousine éloignée, je ne comprends pas que des séries comme celle-ci voyagent si peu. Faites-moi plaisir, allez jeter un oeil au moins sur son premier épisode, c’est un véritable vent de fraîcheur dans un menu téléphagique parfois chargé en superproductions plus impressionnantes mais moins sincères.

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Et pour ceux qui manquent cruellement de lecture…

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