Everywhere Girl

26 février 2023 à 22:03

Quand j’étais jeune, il n’y avait qu’un univers et on était parfaitement contentes. Les jeunes de maintenant, il leur faut des multiverses, sinon rien !

Je plaisante, mais c’est vrai que le concept de multivers est devenu omniprésent en l’espace de quelques années. Pour les jeunes générations, il relève désormais de l’évidence (alors qu’à mon époque, à part dans Sliders et peut-être une ou deux autres séries, bon) avec toutes ses complexités, aussi sûrement que le voyage dans le temps et son paradoxe temporel étaient entrés dans la conscience collective avant lui. En témoigne l’apparition en janvier sur Disney+ de Mila no Multiverso, une série brésilienne pour la jeunesse qui repose entièrement sur les possibilités du genre.
Pour la jeunesse ! Je sais pas si vous vous rendez compte.

L’héroïne de Mila no Multiverso a beau avoir 16 ans (en fait, c’est même son anniversaire quand commence la série), la série s’adresse vraisemblablement à un public plus jeune, le ton et la production value laissant penser que la cible serait plutôt les 10 ans et plus (un peu comme Nowhere Boys, série australienne avec laquelle elle partage plusieurs caractéristiques).
Ludmila dite « Mila » est la fille d’Elis, une inventeuse de génie qui passe tout son temps dans son laboratoire, localisé sous leur maison mais qui pourrait aussi bien être à des années-lumière tant la mère et la fille ne se parlent plus depuis une décennie. Pourtant, elles étaient complices quand Mila était enfant… La jeune fille est même convaincue que sa mère a oublié son anniversaire, et ça ne s’arrange pas quand de mystérieux personnages masqués viennent fouiller leur maison, conduisant Elis à s’enfuir dans un autre univers à l’aide du PÓLEN, un instrument qui permet d’être transférée dans le corps d’une de ses doubles n’importe où dans le multivers (et, du coup, vice versa).
Ces figures inquiétantes s’appellent des Operadores (« Opérateurs » dans la VF, j’imagine), et viennent également d’un monde parallèle. Leur but affiché : détruire chaque univers du multivers… sauf le leur, qui est considéré par leur organisation comme l’unique univers légitime. Mais ça évidemment, Mila ne le sait pas. Elle ignore aussi qu’Elis a passé les 10 dernières années à lui construire son propre PÓLEN, pour qu’elles puissent voyager ensemble. Les événements se sont précipités avant qu’Elis ne puisse tout lui expliquer, et voilà Mila qui trouve, par hasard, le PÓLEN qui lui était destiné, commençant à voyager à son tour.

A ma grande surprise, Mila no Multiverso change assez peu de destination au cours de cette première saison (mais la façon dont celle-ci s’achève prouve nettement que si saisons ultérieures il y a, d’autres mondes devraient être montrés). La série attribue à chaque univers à la fois des coordonnées et un surnom : la Mila que nous suivons a ainsi grandi dans l’univers 1S34T, ou « Casa », et c’est un univers qui ressemble au nôtre (c’est très probablement le nôtre, même, mais la série ne le formalise pas). Sa première utilisation conduit l’adolescente dans l’univers D07P8, ou « Instituto » ; nous verrons aussi, plus brièvement, les univers V537B ou « Purificação » (détruit dés le premier épisode, dans un flashback remontant à 2011), 2R9MP soit « Tóxico », Y61QW aka « Ácido », et un dernier univers non-identifié, dans lequel la seconde saison devrait se dérouler pour tout ou partie. Cependant il faut noter que Mila no Multiverso n’est pas encore officiellement renouvelée, donc ça se trouve, on ne saura peut-être jamais !
L’essentiel de l’intrigue se déroule toutefois entre Casa et surtout Instituto, où Mila va faire la rencontre du double de plusieurs personnes qu’elle connais plus ou moins dans son propre monde. Il faut noter que si les gens ont des doubles dans chaque monde, leur personnalité et leurs relations ne sont pas gravées dans le marbre, et il n’est pas tenu pour évident que leurs relations soient similaires. Dans Instituto, par exemple, l’énergique Juliana n’est pas la meilleure amie de Mila ; elles ne se sont, en fait, jamais parlé dans cet univers, et Juliana a même un peu de mépris pour la Mila qu’elle croise vaguement de temps à autres. Vinícius, qu’elle ne connaît que de nom sur Casa, va en revanche rapidement sympathiser avec elle. Il faut aussi mentionner Pierre, qui va s’avérer être un peu à part et sur lequel je reviens dans un instant. Mila n’a donc au départ personne sur qui compter, et il va lui falloir bâtir des relations avec toutes sortes de personnes ; ça tombe bien, elle a une personnalité plutôt amicale, mais vu les circonstances ce n’est quand même pas si simple.
A cela encore faut-il ajouter que le monde d’Instituto est radicalement différent de Casa. Dans cette réalité-là, où le savoir est une valeur centrale, elle est en effet interne dans un institut d’alchimie, où enseigne également la version d’Elis de cet univers. Le choc culturel est énorme, de la nourriture aux cours qu’il faut suivre, rien n’est familier. Mila no Multiverso n’a pas le temps, hélas, de s’attarder souvent sur ce qu’impliquent les différences entre les divers univers de son multivers. Pas en profondeur, en tout cas, laissant la responsabilité à ses spectatrices de se saisir (ou non) des mondes et de ce que les variations représentent. Toutefois il est assez intéressant, quand on prend le temps d’y prêter attention, de voir comment la série aborde ces différences. En un certain sens, ça m’a rappelé ce que faisait Les 7 Vies de Léa : donner à l’héroïne (et à travers elle, le public) une opportunité de percevoir le monde comme plus vaste et plus complexe que sa propre expérience. Sauf qu’ici, évidemment, Mila reste Mila, elle ne devient pas quelqu’un d’autre, elle endosse juste l’apparence de l’une de ses doubles. Vu le côté éducatif « futuriste » d’Instituto (bien que, multivers oblige, tout se déroule simultanément), ça m’a aussi un peu rappelé Gostya iz BudushchevoJe vous rassure, je ne suis pas sans savoir que vous ne lisez pas forcément mes articles sur les séries soviétiques des années 80 et vous ai donc mis le lien en bas d’article, en plus des tags !

Dans Instituto, les jeunes sont dans une situation non seulement d’apprentissage mais d’expérimentation et de curiosité (il y a une très courte scène assez intéressante pendant laquelle Mila, habituée à l’école telle que nous la connaissons, demande si elle fait les choses correctement, et sa professeure ne semble pas comprendre la question, préférant répéter que c’est à elle d’explorer son sujet d’étude). C’est en outre un monde verdoyant, vivant entouré de plantes qui occupent la majeure partie de la surface de la planète (ou au moins, ce que nous voyons de la planète), dans des matériaux organiques et durables, et alimenté par une source d’énergie propre. Bref, le monde d’Instituto ressemble pas mal à une utopie, et pour moi qui me lamente souvent qu’il soit si rare (parce que difficile) de dépeindre une réelle utopie dans les séries, on en a ici un plutôt solide exemple. A l’inverse, Tóxico est un monde pollué, qui comme son nom l’indique est irrespirable, et en plein déclin.
Il faut noter que lorsque Mila ou Elis voyagent à travers le multivers, leur double y est contraint également. Ainsi, quand Mila arrive à Instituto, son double qui y vivait prend sa place dans Casa ; il y a un passage à la fois amusant et touchant, quand Mila-Instituto et Elis-Tóxico se rencontrent sur Casa, et, comprenant qu’elles n’ont pas le choix quant à leur présence dans ce lieu (elles n’ont pas accès à un PÓLEN), décident d’apprendre à apprécier le meilleur de ce que notre monde a à offrir ; Elis-Tóxico est ravie de l’abondance de nourriture, mais Mila-Instituto, elle, est outrée par le gâchis que représente quelque chose d’aussi simple que la chasse d’eau des WC. Mila no Multiverso ne réfléchit pas longtemps sur ces sujets, mais ils sont bel et bien là, au cas où son public voudrait s’en saisir pour une réflexion sur ce à quoi notre monde pourrait (ou va…) ressembler, et combien ce qui nous paraît normal n’a pas nécessairement à l’être.

Le monde d’Instituto, non seulement de part son approche de la nature, mais aussi de la connaissance, la technologie et la « science » (relative : à mon grand regret souvent une forme de technobabble), laisse en tout cas entrevoir des possibles. Juliana-Instituto est d’ailleurs une force vive qui passe son temps à apprendre et expérimenter de nouvelles techniques, qui a de quoi encourager la curiosité des plus jeunes. Une large part de l’intrigue du milieu de saison va d’ailleurs reposer sur les compétences en résolution de problèmes des jeunes vivant à ce moment-là sur Instituto. La série met très clairement en avant des protagonistes qui brillent avant tout pour leurs compétences intellectuelles, et plusieurs des objets les plus importants pour l’intrigue sont soit des inventions, soit des livres. Le PÓLEN est évidemment le plus important. Ou plutôt les PÓLEN, puisque Elis-Casa et Mila-Casa ont chacune le leur ; celui d’Elis s’est hélas endommagé pendant son transfert (ce qui explique en partie qu’elle ait atterri dans un univers différent de Mila). Comme le PÓLEN est également un outil de communication, cela va conduire à des transmissions incomplètes, et des messages hachés. C’est une bonne métaphore pour les difficultés moins littérales que rencontrent la mère et la fille pour communiquer, quand bien même, une fois encore, Mila no Multiverso n’a pas trop le temps, ni semble-t-il l’envie, d’en faire un axe majeur de l’intrigue ; cela fait une fois de plus partie de ce que les spectatrices, selon leur âge et leur degré d’attention, seront capables de capter ou non. Les choses sont établies pour être assez peu creusées par la suite (comparativement, la relation entre Mila-Casa et Juliana-Instituto, et dans une moindre mesure Juliana-Casa, est plus approfondie), au profit de l’action. Et en particulier, il faudra découvrir le but des Operadores… et notamment l’identité d’Operador Zero (d’ailleurs attention, certaines ressources sur internet contiennent des spoilers !).


Par plusieurs aspects, Mila no Multiverso semble tenir pour acquis qu’elle aura une deuxième saison (une erreur vu l’ambiance sur les plateformes de streaming de nos jours, peut-être), et fait donc plus de place à l’angle « aventurier » de son intrigue qu’à l’exploration dramatique de la situation. Il y a cependant un domaine dans lequel elle brille : ses personnages. Qui ne sont pas seulement bien interprétés (Laura Luz est, fidèle à son nom, parfaitement lumineuse dans les très divers registres exigés par l’intrigue), mais aussi écrit avec pas mal de sincérité, surtout quand on compare à certaines autres productions live action de Disney.
Mila est une jeune fille avec une grande intelligence émotionnelle, un talent d’adaptation évident, et développe une bonne dose de courage ; toutefois elle se montre aussi, parfois, limitée par les paramètres du monde où elle a grandi, qui a certes des avantages (les marques d’affection n’existent pas dans Instituto, où les jeunes grandissent traditionnellement loin de leurs parents !), mais aussi des inconvénients. Et même si on peut comprendre qu’elle se sente ponctuellement abattue par la situation, à l’occasion elle se fait aussi, tout simplement, râleuse. Juliana est, dans toutes ses incarnations connues à ce jour, pleine d’allant ; c’est quelqu’un de volontaire et de loyal, avec un tempérament fort qui peut parfois la rendre antipathique, mais ouvert à apprendre de nouvelles choses, et à apprendre ces nouvelles choses d’autrui. Juliana-Instituto démontre aussi une faculté incroyable à inventer des objets… en leur donnant un nom, une particularité attachante que j’espère voir explorée dans un sens ou dans l’autre si des saisons ultérieures venaient à exister. Vinícius nous est présenté presqu’uniquement par sa version Institituto, mais se présente comme chaleureux, vulnérable, et prompt au doute. Il est très impliqué dans sa rupture avec Felipe, qui occupe une bonne partie de ses pensées, du moins quand il ne s’interroge pas sur les conséquences de l’existence d’un multiverse (Viní est sûrement le protagoniste qui en aborde la portée métaphysique le plus de toute la bande, j’adore la scène dans laquelle il se demande s’il est le meilleur Vinícius ou le pire Vinícius du multiverse, surtout que je sors d’un visionnage frais de The Good Place).
Et Pierre. Ah, Pierre ! Quel fantastique personnage. Quand nous le rencontrons sur Casa, il est solidement codé comme étant sur le spectre autistique, et il est présenté comme un personnage très secondaire. Mais une fois sur Instituto, nous apprenons qu’en réalité… il est le même Pierre ! Dans tout le multiverse, il n’y a qu’un seul Pierre, et c’est en fait la connaissance (accidentelle) du multiverse qui, en gros, le rend neuroatypique, parce qu’il doit gérer le capharnaüm que représente la multitude infinie de ses existences en simultané. J’ai trouvé cette « explication » de son mode de fonctionnement plutôt touchante (d’autant qu’elle n’explique pas TOUTES les neuroatypies par défaut, juste la sienne, donc on n’est pas dans la réification non plus). Elle fait de lui un personnage dont la neuroatypie est une force, à condition bien-sûr de prendre le temps de la comprendre, de l’apprécier, et de l’aider à s’en servir plutôt que la subir… ce qui n’a pas toujours été le cas sur Casa. Mila no Multiverso a une vraie tendresse pour Pierre, au point de faire progressivement de lui l’enjeu amoureux pour Mila, une dynamique que je ne pense pas avoir déjà vue dans une série destinée à cette tranche d’âge ; si j’oublie un contre-exemple, n’hésitez pas à me le faire savoir en commentaire. En tout cas personne ne cherche à changer Pierre, juste à l’aider à vivre mieux, et à faire partie de l’aventure selon ses possibilités ; j’ai vraiment adoré cet aspect. En outre, cela fait en quelque sorte de Pierre un voyageur du multiverse au même titre que Mila et Elis, contrairement à Juliana et Viní qui, dans chaque univers, devront certainement se voir expliquer à chaque fois ce qui se trame. Les possibilités d’évolution de la relation avec Mila sont donc aussi infinies que le nombre d’univers !

Vous l’aurez compris, Mila no Multiverso est avant tout une série de science-fiction et d’aventure, mais elle possède tout de même de solides qualités. Elles ne peuvent que s’épanouir si la série connaît une suite ! La saison est plutôt courte (8 épisodes durant entre 21 et 31 minutes), ce qui est probablement l’une des raisons pour lesquelles certaines choses n’y sont pas approfondies, et se regarde avec plaisir même quand on est une vieille croulante comme moi. Et puis, j’aime l’idée d’une infinité de Mila.
Si vous connaissez/avez des enfants, je gage que ça devrait facilement les charmer. En plus, le world building est plutôt réussi (conséquence logique de passer beaucoup de temps à Instituto), et comme la série est tournée en single camera, elle n’a pas l’air cheap, et ses décors colorés sont un vent de fraîcheur dans le registre de la science-fiction moderne ! Ils m’ont à l’occasion un peu rappelé Spellbinder, mais ne vous en faites pas, les jeunes générations n’auront sans doute pas la référence.
Il ne reste plus qu’à espérer qu’elle trouve une suite.

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Et pour ceux qui manquent cruellement de lecture…

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