A couper le sifflet

8 mars 2023 à 20:57

Ce soir France2 propose Les Siffleurs, une mini-série en deux volets diffusée à l’occasion du 8 mars. L’histoire ? Eh bien tout part du harcèlement de rue, comme le titre le suggère ; mais rapidement il apparaît que le sujet de la fiction est « diffusée à l’occasion du 8 mars », tant on y mélange toutes sortes de sujets. Du coup, bah…

Trigger warning : homophobie/lesbophobie, troubles dysmorphiques, harcèlement de rue, harcèlement en ligne, culture du viol, violences sexuelles (agressions, tentative et menaces de viol, viol), pédopornographie et pornographie sans consentement, violences intrafamiliales, dépression post-partum, PTSD, suicide.

…N’en jetez plus, la coupe menstruelle est pleine.

En un sens, ce n’est pas la pire des idées de montrer, comme Les Siffleurs ambitionne par moments de le faire, que le harcèlement de rue n’existe pas dans le vide, et qu’il existe tout un continuum de violences. Le début du premier épisode est assez parlant à ce sujet, montrant directement comment Lila Rivière, la protagoniste dont part la série, est décidée à dénoncer les nombreux harceleurs qui truffent son quotidien. Pour cela, elle a créé un compte appelé @lessiffleurs sur les réseaux sociaux (pas sûre que la plateforme ait été citée, en tout cas ce n’est pas Instagram), où elle poste les photos des hommes qui la harcèlent pendant son quotidien. Un jour, cela se passe mal, et les jeunes (…forcément les jeunes) qui sont ainsi pris en photos l’agressent sexuellement dans la rue ; Lila tente d’aller porter plainte, et se fait refouler à l’accueil du commissariat.
Toutefois, l’intrigue ne commence réellement que lorsque Lila disparaît, quelques heures après pendant une virée au karaoke avec ses deux amies Rebecca (une pote féministe belge) et Solène (son amie d’enfance), alors qu’elle espérait passer la soirée à se changer les idées.

La mini-série démarre donc plutôt pas mal, en montrant que du point de vue des hommes (et du flic de l’accueil), ce à quoi Lila est confrontée ressemble à des cas isolés (et en démontrant que même comme ça, il y a en plus minimisation de ces cas isolés), mais que dans son quotidien c’est extrêmement pesant. La mise en ligne des photos est, en gros, sa seule option pour contre-attaquer les violences sexistes du quotidien. Jusque là, Les Siffleurs remplit le contrat… et puis, intervient la disparition.
Préférant alors complètement changer son fusil d’épaule, la mini-série décrète alors que la véritable héroïne de la série, ce ne sera pas Lila, ce ne sera pas non plus l’une de ses amies, ou sa mère (une survivante de violences domestiques). Non, la figure centrale de la série, en réalité, c’est la capitaine Marianne Kacem ; vous savez bien que si une série française n’est pas une série policière, elle doit payer une amende, c’est la loi.

Kacem est une figure autoritaire qui nous est présentée, la première fois, comme une flic qui minimise elle aussi les violences sexuelles. Elle va même explicitement tenir des propos blâmant la tenue de Lila pour l’agression sexuelle qu’elle est venue rapporter. Pourtant on va bientôt apprendre que Kacem est elle aussi une victime de viol, ce qui va remonter à la surface quand, pendant l’enquête, elle découvre que le père de Solène n’est autre que son propre violeur, Maulin, formateur dans la police et ami de sa hiérarchie. Comme les faits remontent à leurs années à l’école de police voilà 20 ans, Kacem ne peut pas vraiment faire quoi que ce soit maintenant à titre personnel. Par contre, elle va orienter ses soupçons vers lui, tout en tâchant de suivre les preuves concrètes qui vont (c’est une série policière, donc c’est la règle) la conduire à quelques fausses pistes avant de découvrir la vérité.
Histoire de bien charger la mule, dans le même temps, son nouveau collègue Laurent Tardi est, quant à lui, un enquêteur pro-féministe dévoué qui est choqué par le sexisme normalisé dans la police. Il est également un jeune père qui n’a pas remarqué que son épouse souffre de dépression post-partum. Il va se trouver confronté à la réalité quand son épouse quitte le domicile familial en pleine nuit et s’évapore dans la nature.
Ponctuellement, Les Siffleurs se rappelle quand même qu’elle a introduit d’autres personnages, en particulier Solène, l’amie boulotte et mal dans sa peau ; Rebecca/RBK, la lesbienne féministe qui n’a que des slogans à la bouche ; Pablo, le petit ami bienveillant et dévoué de Lila ; ou encore Matthieu, le pote un peu geek que personne ne calcule trop. Mentionnons également le compagnon de Kacem, le fils de celui-ci, ou encore Lenoir, une collègue qui n’a pas vraiment d’intrigue en propre mais participe à l’enquête. J’ai trouvé l’interprète de Lenoir très solide avec le peu qui lui avait été donné ; justice pour Louise Massin.

Vous l’aurez sûrement compris, Les Siffleurs a très vite cooooomplètement oublié le harcèlement de rue à ce stade. On est tellement lancées dans cette histoire d’enlèvement, avec ses inévitables retournements de situation, que finalement on n’inquiètera ABSOLUMENT AUCUN DES SIFFLEURS DU TITRE. Aucun. Zéro ! Vraiment, je vous assure, je me suis frottée les yeux. On a même droit à une exonération : le seul harceleur de rue interrogé par la police (et temporairement suspecté) est en fait… un pauvre homosexuel de cité qui a agressé Lila sexuellement pour sauver sa propre peau. Ah bah ça va alors, pardon pour le dérangement.
C’est d’autant plus irritant que France2 fait pourtant une grosse partie de sa communication sur le harcèlement de rue, proposant des vignettes consacrées dans un volet spécifique sur le site de la chaîne où la série est en replay.

Ou, pardon : LA harcèlement. Oui, bon. C’est à la mesure du traitement, on va dire.

…Et le harcèlement, du coup, on n’en parle pas trop. Ou alors on essaie d’en dire tout et son contraire. Tout d’un coup on nous parle du harcèlement subi par Solène, à laquelle on extorquait des photos sexualisantes depuis ses 15 ans (axe qui sera balayé vite fait hors de l’intrigue une fois la vérité établie, parce que la série veut surtout offrir une conclusion à Kacem pour son viol). On nous parle aussi vite fait du harcèlement du père de Lila, qui continue de terroriser son ex-femme (il ne se passera RIEN pour lui, ou si peu). Quant à l’épouse de Tardi, bon en fait désolée pour le spoiler mais elle est partie se faire enfermer en isolement dans un hôpital psychiatrique et refuse de lui parler jusqu’à la fin de la série. Si c’était pour dire ça, est-ce que c’était bien la peine d’en parler, je vous le demande ?
Non parce que, je sais pas si les scénaristes des Siffleurs le savent, mais ya pas de bingo à cocher, hein. C’est pas grave si vous n’abordez pas un sujet qui ne vous a jamais intéressées. On vous en voudra pas ! Promis.

Et puis… au-delà de ça, il y a cette obsession policière sur laquelle je voudrais bien qu’on revienne. Bon alors évidemment, une fois qu’elle souffre de syndrome post-traumatique, Kacem est soudain très sensible à ce que tout le monde puisse la croire immédiatement : un luxe qu’elle n’a jamais offert à Lila, et qui d’ailleurs ne fera l’objet d’aucune remise en question. Les Siffleurs parle aussi des relations de pouvoir au sein de la police, à la fois celles qui permettent à Maulin de violer Kacem puis continuer sa vie pendant 20 ans sans s’inquiéter de son sort, et celles qui font de Maulin le meilleur ami du supérieur de Kacem, conduisant à des GROSSES irrégularités de procédure pendant l’enquête parce que « c’est bon, il est de la maison, et puis je le connais ». A la toute fin de la série, cependant, le patron affirme croire Kacem, vouloir l’appuyer (ça aura pris ses aveux enregistrés quand même), et hop on oublie tout comme par magie. Les Siffleurs ne remet RIEN en question. Pas même l’agent de l’accueil du commissariat qui n’aura pas droit à un recadrage en fin d’intrigue histoire de dire qu’on a tous et toutes appris quelque chose d’important sur la prise en charge des violences sexuelles. Nooooon.
Moi, ce qui m’agace le plus dans tout ça, pour être honnête, c’est que tout cela se fasse pendant que Les Siffleurs prend un étrange plaisir à décrédibiliser toute démarche politique féministe et/ou anti-policière. Le compte de Lila où elle épingle ses harceleurs avec photos à l’appui ? Si ça sert à l’enquête de sa disparition, on regarde ; sinon, aucune poursuite, même une fois que tout le monde a eu une épiphanie. Plus tard dans le premier épisode, on apprendra qu’en réalité elle n’a pas disparu : elle a orchestré sa disparition avec Rebecca afin de faire des interviews dans la presse pour parler du harcèlement de rue. Ouh, les vilaines féministes qui s’inventent des enlèvements pour qu’on parle d’elles. Il y a même un moment où la police vient interroger quelqu’un à la fac de Droit (ah oui parce que toutes les protagonistes jeunes de la série sont en fac de Droit), et pour faire diversion, Pablo scande un slogan anti-flic qui permet à un criminel de s’échapper. On n’a JAMAIS des motivations politiques nobles, dans Les Siffleurs. Il n’y a que si on est flics qu’on peut (éventuellement) avoir de bonnes intentions, et (encore plus éventuellement) accomplir quelque chose de positif.
Au point que Rebecca, la copine féministe ? A la fin de la série elle vient demander conseil à Kacem pour rejoindre la police ! Non mais à un moment…

Bon, alors je finis cette review un peu tard, et certaines d’entre vous la liront peut-être après la diffusion, peut-être même après avoir regardé Les Siffleurs. Et il sera trop tard.
Mais moi je la trouve complètement contre-productive, cette série. Sur le harcèlement de rue, au final, on n’aura rien dit. Sur l’engagement féministe de lutte contre ce harcèlement, finalement rien non plus. Sur toutes sortes d’autres sujets, finalement on dira un peu mais jamais rien de concret. Par contre, pour offrir une réparation a posteriori à la capitaine Kacem, et lui permettre de trouver le bonheur, bon bah ça, Les Siffleurs sait faire.

Mais bon. On est le 8 mars. Dans le fond, on a l’habitude des projets comme Les Siffleurs.

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Et pour ceux qui manquent cruellement de lecture…

2 commentaires

  1. Mila dit :

    Bon… ben j’ai eu la chance de te lire avant d’avoit entendu parler de la série, donc tu auras au moins sauvé une personne, comme ça… Ca a l’air… voilà.

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