Jeu, set et match

10 mai 2023 à 13:46

Être téléphage en 2023, ça signifie parfois vous parler d’une série mexicaine sur la pelote basque, créée par un scénariste espagnol et proposée par une plateforme étasunienne.
Ce kamoulox de nationalités vous est offert par Las Pelotaris 1926, une série de VIX+, plateforme détenue par TelevisaUnivision aux USA dont le rôle est de s’adresser à la fois au public hispanophone du pays, et à toute l’Amérique latine dans la foulée. Lancée l’été dernier, ladite plateforme compte déjà une dizaine de séries originales… sauf que je n’ai parlé que de l’une d’entre elles, Turbia (et encore, c’était dans le cadre plus large de SeriesMania l’an dernier, soit avant que la série ne soit achetée par VIX+).

Trigger warning : violences domestiques.

Il était donc grand temps que je vous emmène jeter un coup d’œil à ce qui se fait du côté de VIX+, et cela se fait à l’occasion d’une série historique et sportive, pour changer.

En 1926, les femmes jouent à la pelota professionnellement depuis moins d’une décennie, mais c’est un des rares sports de haut niveau qui leur soit accessible. Beaucoup n’y poursuivent qu’une carrière brève, généralement interrompue par le mariage.
Chelo est l’une des rares athlètes mexicaines qui peut se vanter d’avoir un mari encourageant, qui l’a laissée poursuivre sa carrière. Résultat : elle est à un match près du titre de championne de pelota, qu’elle a toujours rêvé de décrocher. Elle peut en outre compter sur le soutien de sa meilleure amie Itzi, une joueuse un peu plus jeune qu’elle, et qui dans ce premier épisode se marie à son tour. Enfin, pour le moment sans connexion apparente avec ces deux sportives, la série suit également Idoia, une joueuse espagnole également au sommet de son art de l’autre côté de l’océan, dont la priorité n’est pas la performance mais plutôt de faire fortune grâce à sa notoriété.

Las Pelotaris 1926 insiste, et ce dés son introduction, sur le fait que les femmes se sont saisies à peines 14 ans plus tôt de la pelote basque en dépit des hommes, qui jusque là considéraient le sport comme exclusivement masculin ; le simple fait de pratiquer ce sport de façon professionnelle est déjà, en soi, un acte de rébellion.
D’ailleurs le simple fait d’être une joueuse de haut niveau n’efface pas le fait qu’il s’agit d’un univers masculin : les dirigeants de club sont des hommes, les financiers sont des hommes, les entraineurs sont des hommes, et même le public dans les gradins est exclusivement masculin. Ses motivations, d’ailleurs, sont moins un intérêt pour le sport et plutôt un intérêt pour les jupes volantes, sans parler des paris qui vont bon train. Comme si ce n’était pas assez pour avoir l’impression de lutter contre tout (et tous), les trois héroïnes de la série ont chacune une raison supplémentaire d’avoir l’univers contre elles : Idoia est froide, et très calculatrice ; Itzi est lesbienne, et d’ailleurs dans ce premier épisode elle se marie à un homme gay ; quant à Chelo, elle tombe enceinte dans ce premier épisode, et réalise qu’un choix s’impose à elle. Cela ne risque pas d’améliorer l’opinion que la plupart des hommes de leur entourage ont d’elles. Déjà qu’elles ont le toupet d’être des femmes qui jouent à la pelota (chose qui n’est tolérée que parce que cela rapporte de l’argent aux organisateurs des tournois et à certains parieurs), il faut donc en plus qu’elles soient des personnes ! L’audace.
Le premier épisode de Las Pelotaris 1926 établit donc tout cela, essayant de donner de l’âme à ses protagonistes… de façon assez variable. C’est par exemple un peu difficile pour Idoia, qui n’a aucune scène dans laquelle elle s’autorise à être vulnérable ou simplement humaine, comme ça peut être dans les échanges entre Chelo et Itzi, ou même Itzi et son époux Mario. On peut comprendre que vis-à-vis des hommes de son milieu, elle se soit blindée pour se protéger (il y a fort à parier qu’elle ait appris cette leçon à la dure…), mais la voir sans aucune interaction sincère avec quelque personnage que ce soit la limite un peu dans son exposition. Sa froideur passe même, à l’occasion, pour de la cupidité pure et simple, ce qui en soit n’est pas un mal (pourquoi une femme ne prendrait-elle pas toutes ses décisions par appât du gain, après tout ?), mais diminue aussi la portée du propos.

Car Las Pelotaris 1926 veut bien entendu nous parler de survie, d’indépendance, et de liberté. Ses portraits sont écrits comme une ode à ces femmes qui ont surmonté les oppressions passées. Elle s’inscrit pleinement dans la continuité de séries comme Las Chicas del Cable, dont d’ailleurs l’action est quasiment contemporaine.
C’est en toute honnêteté ce à quoi on a affaire ici : une variation de Las Chicas del Cable sportive. Pour sûr, ça se laisse regarder, et certaines intrigues introduites ne sont pas dénuées d’intérêt (en même temps, je n’attends rien de moins de la part de scénaristes ayant écrit des épisodes de Vis A Vis qu’une romance lesbienne !). En-dehors de ce genre d’intrigues, au stade de ce premier épisode, il n’y a cependant pas grand’chose d’intéressant qui se produise, puisque le discours tenu, en substance, est le même que dans les séries historiques équivalentes : le sexisme que nos aînées ont rencontré, c’était mal (sous-entendu : c’est différent maintenant), merci aux pionnières dont les combats nous ont ouvert la voie. On pourrait même dire que c’est tout un sous-genre télévisuel à ce stade, généralement fasciné par la première moitié environ du 20e siècle ; surnommons-le pour les besoins de la démonstration le Mad Women dramaBon, je voudrais quand même demander aimablement quelles foules se passionnent pour la pelote basque en 2023, mais passons.
Vous l’aurez compris, j’ai eu un peu de mal à me fasciner pour la série. Ce qui ne signifie pas qu’elle est mauvaise, ou qu’il soit impératif de l’éviter (…ce n’est pas toujours la même chose !), simplement que l’effet de redite ne m’a pas convaincue. Mais, hey, ne me laissez pas vous écœurer : il y a des spectatrices qui recherchent cet effet de redite ! En un sens, c’est divertissant et confortable. Si vous avez aimé follement Las Chicas del Cable ou n’importe quel autre Mad Women drama, et que ça vous manque, alors vous serez probablement comblée par cette série sportive dont l’action se joue, au moins pour le moment, entre deux continents.

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