Les jeunes de nos jours

4 août 2023 à 16:42

Le démarrage de la saison estivale nippone (le Japon ayant, rappelons-le pour celles dans le fond qui ne suivent pas, un pays avec quatre rentrée télévisuelles par an) est toujours l’occasion de tester toutes sortes de séries, et… de trier le bon grain de l’ivraie.
Vous allez vite comprendre dans quelle catégorie ranger Saikou no Kyoushi, une série de NTV qui a démarré à la mi-juillet. Je n’en fais d’ailleurs aucun mystère : c’est tout-à-fait puant. Derrière le synopsis sur le voyage dans le temps se cache un bon gros propos réac, que je m’apprête à décortiquer avec vous. Après tout, c’est vendredi, on a bien le droit de se faire plaisir à tirer à vue sur les navets.

Le scénario de Saikou no Kyoushi (« la meilleure prof ») est… allez, disons « chaotique », par charité ; cet esprit charitable ne durera pas, profitez-en.

Au départ, il y a un meurtre : Rina Kujou, une professeure de lycée désillusionnée (elle en a marre de se faire accuser de harcèlement par ses élèves chaque fois qu’elle intervient dans leur vie…) est poussée d’une balustrade, le jour de la cérémonie de remise de diplômes. Dans sa chute, elle n’a pas le temps d’identifier qui l’a poussée, mais entraperçoit un ruban qui lui confirme que la personne qui veut sa mort vient d’obtenir son diplôme au sein de la Classe D. Or, la classe D, c’est la classe dont Rina était la professeure principale cette année ! Une de ses élèves tente de la tuer ?!
Au lieu de mourir, toutefois, la voilà ramenée exactement un an en arrière, ne demandez pas comment ni pourquoi, ça n’intéresse personne. Toujours est-il que la voilà le jour de la rentrée des classes, devant… la classe D.

Lorsqu’elle réalise ce qu’il s’est produit, forcément, Rina regarde sa classe d’un drôle d’œil : qui donc parmi cette trentaine d’adolescentes est sa tueuse ? Bonjour la paranoïa. Elle prend une grande décision : si l’une d’elles a quelque chose à lui reprocher, alors tout faire pour être la meilleure prof au monde ! Quoi que veuillent ses élèves, elle le fera…
…Et ça tourne mal en moins de dix minutes, parce que la classe D, ce sont les cancres et cas sociaux du lycée ; ces petites teignes ont vu arriver le pigeon. L’immense générosité de Rina s’arrête donc là, et elle change de tactique : désormais elle va être sans pitié ! Cela se matérialise dans le premier épisode par une décision d’aider Kanau Ugumori, une élève de sa classe qui est harcelée par ses camarades. Et ce, par tous les moyens possibles, même illégaux…

Non mais, je vois bien ce que Saikou no Kyoushi essaie de nous dire. Derrière l’excuse de « la classe D ce sont les pires élèves du lycée, c’est pour ça que tout est permis », on voit bien la veine conservatrice qui pulse sous la peau de la série. La bonne vieille rangaine de les-jeunes-de-nos-jours-sont-intenables-et-il-va-falloir-employer-les-grands-moyens, c’est un classique. Les sanglots longs de Rina dans la première scène, lorsqu’elle se plaignait que les élèves hurlent au harcèlement à la moindre contrariété, est d’ailleurs du même tonneau. Les élèves sont en tort par défaut, toutes, dans leur ensemble. On sait très bien qu’en réalité, ce discours s’applique à absolument toute la classe d’âge, et c’est bien le cas ici.  En l’occurrence, le premier épisode de Saikou no Kyoushi prend bieeen la peine de même blâmer les élèves brimées qui en réalité n’ont pas pris activement part au harcèlement, et ont « juste » regardé ailleurs en espérant que ça ne leur tombe pas dessus. Non, on vous dit, tout le monde est pourri jusqu’à la moelle. La nuance c’est pas notre job.
Au passage, il est apparent que la série ne s’intéresse qu’à mater le comportement des jeunes, pas leur scolarité. La première scène le prouve : la classe a majoritairement obtenu son diplôme de fin d’études, tout cancres que soient les élèves… Ce n’est donc pas tant d’éducation que de rééducation qu’il est question ici.

En plus d’un propos nauséabond, on sent que cette histoire de voyage dans le temps, c’est plus un prétexte qui permet quelques deus ex machina qu’autre chose. Et téléphagiquement, c’est dur à excuser.
On en a la démonstration quand, à peu près à la moitié de l’épisode, Rina se souvient soudainement que Kanau va mourir et que dans la timeline d’origine, elle avait assisté à son enterrement. Tout aussi soudainement, elle se met en tête d’empêcher la mort de la gamine, alors que ça a été loin d’être sa première pensée (ou deuxième, ou troisième) après être revenue dans le passé. On voudrait nous faire croire qu’en même temps qu’elle a eu la révélation que ses élèves ne comprenaient que la dureté, elle allait sauver la seule qui soit une victime ? A d’autres. Si Saikou no Kyoushi était honnête avec elle-même, elle admettrait que la digue est tombée, et qu’après avoir été humiliée par certains éléments de sa classe, la fameuse « meilleure prof » a décidé de faire sauter tous les verrous. Ce volte-face est presque contradictoire : dans une scène vers la fin de l’épisode, Rina va annoncer qu’elle s’en fiche si quelqu’un la tue, elle protègera Kanau au péril de sa vie… Elle chantait un refrain différent pendant la première moitié de l’épisode, donc l’abnégation est quand même relative ! On peut décider que c’est un moment d’évolution pour Rina, de la même façon qu’elle fait évoluer ses méthodes (filmant ses élèves à leur insu, les menaçant directement, etc.), mais il faut quand même admettre que le revirement est rapide, et quasiment incongru. A minima, s’il est motivé par autre chose que de la rancœur, il est mal expliqué.

Pire, il ne s’agit pas d’une série qui veut vraiment utiliser le voyage dans le temps comme une façon de réparer l’histoire, mais plutôt comme une béquille quand Rina a besoin d’une information qu’elle peut aller piocher dans la timeline d’origine. C’est un procédé qui apparaît à quelques reprises déjà dans le premier épisode, et qui n’augure de rien de bon pour la suite.
C’est de la fainéantise, soyons claires. Plutôt que de faire opérer à Rina un examen de conscience profond, on prétexte cette histoire de meurtre et de retour dans le temps pour l’inciter à essayer de nouvelles méthodes « pédagogiques » extrêmes. Ce n’est pas Rina qui a échoué, ce sont les lycéennes qui sont trop mauvaises, vous comprenez ? La réévaluation par « la meilleure prof » de ses pratiques ne vient pas d’elle-même, mais de facteurs extérieurs, et ça a tout de suite beaucoup moins de valeur dramatique, surtout si ce n’est pas interrogé par la série. Cela sert juste à établir à quel point ces mômes sont too far gone pour mériter sa gentillesse. Plus largement, Rina ne remet pour le moment rien en question à propos d’elle-même (elle doit devenir intraitable à cause de la dureté des élèves… pas parce qu’elle est un paillasson), et cette paresse coûte même aux intrigues secondaires.
Par exemple, cette absence de questionnement de soi se perçoit aussi dans sa vie privée. Elle sait que dans la timeline d’origine, son mari va divorcer d’elle comme au milieu de nulle part. Pourtant, ça lui semble anecdotique. Elle paraît avoir non seulement accepté ce fait comme une évidence, mais en plus ne s’être jamais demandé si elle avait pu avoir un rôle dans son départ. « Pourquoi est-il parti » n’est pas juste une question de sa vie intérieure à lui, qui paraît impénétrable, ce devrait être une interrogation sur leur couple, et donc la responsabilité que porte Rina dans ce couple. Mais non.
Pourquoi ce mari qui a l’air gentil et aimant devient tout d’un coup distant et se barre en lui laissant les papiers de divorce sur un coin de table ? Peut-être que les épisodes suivants se poseront la question, qui sait. Mais vu l’ambiance générale de la série, j’ai plutôt l’impression que Rina va réussir à empêcher ce divorce, pas questionner son rôle dedans.

Ajoutez à tous ces problèmes une longue séquence bavarde et ridicule en fin d’épisode, et vous aurez compris que Saikou no Kyoushi n’est pas venue pour faire dans la dentelle. Elle est juste bonne à déblatérer des horreurs sur ces saloperies d’ados qui ont perdu tout sens des valeurs, et placer la fameuse « meilleure prof » dans une situation d’échec qui ne peut jamais être sa faute. Après tout, les ados de la classe D ne sont, je cite, « plus vraiment des humaines ».
Bon bah voilà, comme ça c’est dit.

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