I would love nothing more than to be wrong

1 novembre 2023 à 18:59

Il n’est rien de pire que de ne pas avoir de certitude sur quelque chose d’atroce. Est-il possible de l’avoir imaginé ? Est-il possible de l’avoir mal interprété ? Mais dans ce cas, pourquoi est-ce si difficile à oublier ? Pourquoi l’esprit semble-t-il trouver toujours plus de prétextes pour revivre l’insupportable ? Et que faire de tout ce qui nous dit, tout ce qui nous hurle que ça s’est produit ? Se pourrait-il que ces souvenirs soient faussés ? Ne serait-il pas plus confortable d’être de l’avis de tout le monde et de mettre ça de côté ? Si seulement c’était possible…
Voilà 5 ans que Penny se torture avec ces questions. Des années passées à ressasser quelque chose qu’elle a vu, ou… ou peut-être qu’elle a cru le voir. Il y a, cependant, quelque chose dont elle peut être certaine : en parlant de ce qu’elle a sincèrement cru être arrivé, elle a complètement saccagé sa propre vie. Avec un prix pareil déjà payé de longue date, pas étonnant que Penny campe sur ses positions. Elle a trop investi dans cette vérité.

Trigger warning : agression sexuelle sur mineur (point d’interrogation ?), PTSD.

After the Party est une saisissante série néo-zélandaise qui a démarré fin octobre, et qui mérite d’être vue. Mais qui est difficile à regarder. Plus qu’une série sur un crime sordide, c’est une série sur les certitudes, les incertitudes, et combien la ligne peut être fine entre les deux. Et c’est aussi un magnifique portrait d’une femme dans la cinquantaine, au passage.

C’est sûrement la raison pour laquelle, comme son titre l’indique, After the Party n’est que modérément intéressée par les faits. Certes, les souvenirs (ou plutôt les flashbacks) de Penny nous sont relatés dans quelques scènes de cet épisode inaugural, retraçant lentement la soirée d’anniversaire de Phil, le mari de Penny, 5 années plus tôt. Ce soir-là, toutes leurs connaissances étaient réunies dans leur grande maison, avec Grace, leur fille unique alors âgée de 15 ans, et Joy, la mère de Penny. La musique était forte, les convives joyeuses, et l’alcool abondant. Une fête d’anniversaire comme beaucoup d’autres… au moins au début. After the Party ne veut pas vous révéler, ni même vous faire deviner, ce qu’il s’y est réellement passé. Il n’y aura pas d’enquête même informelle, pas de révélation incroyable ; on n’est pas dans Doctor Foster ou je ne sais pas quoi. A la place, le doute subsiste. Il persiste, même, obstinément.
Et pourtant, Penny était sûre d’elle quand elle a accusé Phil du pire. Il fallait bien ; on n’énonce pas pareils propos sans en être convaincue. Avec le temps, toutefois, les choses se sont compliquées.

Cela fait donc 5 ans et toute la communauté a repris le cours de sa vie. Beaucoup de gens, dans l’entourage amical de Phil, mais aussi professionnel, n’ont jamais cru Penny, et il est devenu encore plus facile de l’ignorer à mesure que le temps a passé. Elle s’est retrouvée, à son tour, accusée d’avoir tenté de ruiner la vie de cet homme. Comme chacune sait, les fausses accusations ruinent des vies, et voilà précisément que Phil revient en ville au bout de 5 ans, et que tout le monde ou presque se rallie autour de lui pour lui souhaiter la bienvenue. Penny, elle, est horrifiée. D’autant plus que même sa fille Grace ne l’a pas prévenue de ce retour, et en semble même ravie. Il faut dire qu’en 5 ans, la relation entre la mère et la fille s’est largement détériorée ; Grace et son très jeune fils Walt vivent maintenant avec Joy, dans une toute petite maison en ville… ou plutôt vivaient, car dans ce premier épisode, Joy entre en maison de retraite, ce qui les oblige à déménager. Cela n’arrange rien.
Isolée, avec seulement une poignée de personnes pour se ranger encore à ses côtés, Penny est accablée. After the Party se focalise sur sa réaction vis-à-vis du retour de Phil, de la distance qui s’ajoute entre elle et Grace, de son lien avec Walt qui semble menacé… Toute sa vie a été déchiquetée voilà 5 ans et pourtant elle semble sur le point de perdre plus encore. Et, surtout, elle y perd sa santé mentale. Si elle parvient (pour le moment ?) toujours à assurer ses cours de sciences au lycée, une fois qu’elle n’est plus devant ses élèves, elle flanche complètement. Est-elle encore capable de se ressaisir, ou la descente aux Enfers est-elle inexorable ?

Dans la vraie vie, on ne sait pas toujours ce qu’il en est. L’ambiguïté est parfaitement intenable. La solution d’ignorer des choses que pourtant on a vécues n’en est pas une, mais comment gérer ce que l’on n’est pas tout-à-fait sûre d’avoir vécu ? C’est une autre paire de manche. Il faut, parfois, décider de la nature de ce qu’on a vu, consciemment décider d’écarter une partie des informations pour pouvoir sortir de l’ambiguïté et enfin être en paix avec soi-même. Dans quelque direction qu’il se fasse, ce choix a des conséquences. Car si elle avait décidé d’adhérer à la même version des faits que la plupart des gens qu’elle connait, peut-être Penny serait-elle encore en couple avec Phil, peut-être que Grace lui adresserait encore la parole, peut-être, peut-être, peut-être… mais il est aussi très probable qu’elle se rongerait autant les sangs à essayer de vivre en paix avec elle-même, surtout quand on sait son sens de la Justice si aiguisé. En fait, à partir du moment où elle a poussé la porte de sa chambre d’amis, il n’y avait probablement aucune issue positive aux événements.
Penny est une femme intelligente, passionnée, engagée, et… pourtant tellement vulnérable, parce qu’elle est à la fois certaine d’avoir pris la bonne décision, et qu’elle peut en même temps constater chaque jour à quel point les retombées lui sont douloureuses. Il n’y aura probablement jamais de réponse et c’est avec cela qu’il faut vivre : la réponse qu’on a décidé de croire. Envers et contre tout.

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