Les dés sont jetés

31 décembre 2023 à 23:27

L’année 2023 touche à sa fin, et elle aura été parfaitement épouvantable. Pourtant, une chose s’est produite qui en a relevé un peu le niveau depuis les abysses du désespoir où elle trempait… j’ai enfin réalisé un projet de longue date de retenter le jeu de rôle. Cet appétit, dont je parle cycliquement depuis des années (principalement sur les réseaux sociaux), a mis 20 ans avant de finalement être… ma foi, pas rassasié, ou du moins pas complètement. Bien l’intention de remettre le couvert en 2024, pour commencer ! Mais en tout cas, m’a permis de gratter quelque chose qui me démangeait depuis bien longtemps.
Dans la foulée, les vannes se sont ouvertes. Et c’est comme ça que pour la première fois, je me suis également penchée sérieusement sur Critical Role, l’émission de jeu de rôles d’une bande d’actrices de doublage un peu nerds sur les bords.

…Par conséquent, je me suis mise également à la série animée, The Legend of Vox Machina, lancée en 2022 après une campagne Kickstarter entrée dans les annales, et dont une 3e saison est actuellement en préparation. Et j’avoue qu’outre mon intérêt croissant pour le JdR, j’ai regardé The Legend of Vox Machina en grande partie parce que je n’ai jamais regardé une série tirée d’un actual play, et que le défi d’adaptation me fascinait.

C’est que, le jeu de rôle, à la base, c’est quoi ? C’est en grande partie de l’improvisation… soit précisément ce que l’on ne trouve pas dans la fiction. Et certainement pas animée ! Vous savez, le truc qui exige des mois de planification, de production, et de doublage…? Difficile d’improviser dans ces circonstances. Outre le genre télévisuel lui-même et ses impératifs de production, The Legend of Vox Machina se trouvait en outre face à un défi supplémentaire : présenter non seulement un univers familier, mais aussi des protagonistes aimées, et un arc narratif déjà connu (en-dehors des deux premiers épisodes, dont l’intrigue était inédite pour les spectatrices des actual plays hebdomadaires ; les raisons importent peu ici), celui des Briarwood de Whitestone. Il fallait donc qu’en plus de changer complètement de genre et de mode de production, The Legend of Vox Machina satisfasse les (nombreuses) donatrices de la campagne Kickstarter, délivre ce qu’il faut de références et de clins d’œil pour rester fidèle aux puristes… tout en essayant d’attirer, si possible, quelques abonnées d’Amazon Prime Video, bien entendu.
Le cahier des charges était donc bien chargé, d’où ma curiosité. Globalement, la première saison de The Legend of Vox Machina trouve un plutôt bon équilibre entre tous ces tiraillements.

Alors, bien-sûr, comme dans toute adaptation, des choix ont été faits ; c’est le contraire qui aurait été étonnant.
En particulier, cette première saison ne dure « que » cinq heures, condensant environ la cinquantaine d’heures de jeu précédemment en douze épisodes de fiction. Il était donc inévitable de tailler dans le gras, et en grande partie souhaitable de toute façon : ça a du sens quand on sait combien une partie de jeu de rôle inclut de discussions autour de la mécanique du jeu, de calculs autour des combats, ou plus simplement, de longs débats sur les choix du groupe. Une grande partie de tout ça n’a aucune raison d’être transposée dans une fiction linéaire. Ce serait un concept, cela dit, que de mettre l’intrigue en pause et regarder les scénaristes se demander où envoyer les personnages ensuite, je suis à peu près certaine que Moonlighting a dû proposer une version de cette blague dans les années 80 d’ailleurs, mais ici on n’est pas là pour faire dans le meta à ce point.
Cela pose, cependant, parfois des problèmes de rythme : on a par moments l’impression que les choses vont trop vite, et que les personnages prennent des décisions brutales (le changement d’opinion du groupe d’aventurières dans le premier épisode, par exemple, n’est pas du meilleur effet). Certaines évolutions donnent parfois le sentiment de n’avoir pas été « méritées » grâce à un processus interne aux protagonistes, qui nous serait détaillé dans beaucoup d’autres séries. Certaines choses doivent se résoudre vite si on veut clore l’arc narratif avant la fin de la saison. Encore une fois, The Legend of Vox Machina s’appuie sur une histoire qu’une grande partie de ses spectatrices connaissent déjà, elle peut se permettre des raccourcis… mais certaines transitions sont quand même un peu abruptes.

Sur un sujet voisin, The Legend of Vox Machina pâtit aussi par moments de son besoin (encore une fois, très compréhensible) de faire un peu tout en même temps, et surtout, de faire parler un peu tout le monde.
Des personnages comme Grog ou Scanlan, qui se caractérisent dans la série animée essentiellement pour leur côté comic relief, n’ont souvent pas grand’chose à se mettre sous la dent dans l’intrigue principale. Or, on n’a pas trop le temps pour des intrigues secondaires, mais on ne peut pas non plus écarter deux des sept personnages qu’adorent les fans de Critical Role. Alors que faire ? Comment s’assurer que deux des huit acteurs ne vont pas être délaissés ? Eh bien, on leur fait cumuler les one liners, à tout moment de l’épisode, et ça donne des scènes pendant lesquelles parfois la tension dramatique voire la dimension tragique peuvent être amoindries voire perdues. Que voulez-vous, il fallait absolument rappeler que Grog, un barbare violent pas très malin, est un barbare violent pas très malin… parce que sinon il n’a rien à dire du tout pendant la saison.

Honnêtement, ces passages un peu moins enthousiasmants, je ne vois même pas comment The Legend of Vox Machina aurait pu les éviter. Ce n’est pas une question de flemme, ou de viser le plus petit dénominateur commun, ou de se dire que le public des séries animées n’est pas capable de capter certaines nuances… non, rien de tout ça. C’est, et je sais que je l’ai déjà dit mais je veux vraiment insister là-dessus, inhérent aux problématiques de l’adaptation. Pour les éviter, il aurait fallu une saison de 24 épisodes… mais c’était déjà un crowdfunding d’exception, faut ptet pas non plus pousser.
En un sens, se heurter à ses écueils est la marque de scénaristes qui ont compris les enjeux du passage à la série animée. Si ces problèmes avaient été résolus, d’autres bien plus graves se seraient profilés à leur place.

Malgré ces quelques inconvénients, la série s’en tire quand même très bien.
Le cast est un peu bridé, là encore, par la force des choses : qui dit pas d’improvisation et peu de temps pour explorer la nuance de certaines émotions ou étapes de l’intrigue, dit que nécessairement, il y a une part de la personnalité qui disparaît dans la manœuvre. Mais les actrices connaissent si bien leurs personnages que les aventurières de Vox Machina ne sont pas des coquilles vides pour autant. L’alchimie n’est en tout cas plus à démontrer, et elle fonctionne malgré les obstacles.
Les scènes de baston sont divertissantes (malgré l’absence complète de hasard, elle aussi inévitable bien-sûr, mais qui forcément change la façon dont on perçoit les scènes d’action et leurs enjeux), et d’ailleurs, me faut-il préciser, extrêmement gore. Si je m’attendais à ce que The Legend of Vox Machina soit parfois graveleuse, et que son vocabulaire soit émaillé de jurons, en revanche je n’avais pas anticipé que je verrais autant de corps déchiquetés, écrasés, empalés, brûlés vifs, ou, euh, qu’est-ce que j’oublie ? Ah oui, éviscérés, aussi. Le monde de Tal’Dorei est cruel et brutal, et même si The Legend of Vox Machina se réclame d’une certaine légèreté, elle ne laisse personne oublier que se lancer dans l’aventure, c’est miser sa vie. Certains passages filent vraiment les jetons, aussi, et il y a notamment une scène de nuit à Emon, notamment, qui crée une véritable stupeur digne des meilleurs films d’horreur. Et puis bien entendu, il y a le Sun Tree… si vous ne savez pas de quoi il s’agit, alors j’ai envie de dire que la fin de l’épisode 5 vaut à elle seule de tenter la série.
D’une manière générale, j’ai vraiment beaucoup apprécié la réalisation. Il y a certains plans ou certaines « manœuvres de camera » qui ont vraiment du mérite. Je suis moyennement fan du recours à la « fausse 3D » (c’est-à-dire les outils de la 3D mais l’apparence de la 2D) pour les scènes d’action, mais ça ne signifie pas qu’elle est mal intégrée, juste que ça n’a jamais eu ma préférence. Toutefois, pour certaines scènes particulièrement agitées avec beaucoup de personnages, on comprend aisément qu’elles présentent des avantages par opposition au dessin à la main.

Il y a donc pas mal de concessions inévitables dans la première saison de The Legend of Vox Machina… mais au final, on ne perd pas au change. La série délivre plus ou moins ce qu’on attendait d’elle : une extension de l’émission sur Twitch/Youtube, ou une porte d’entrée. En tout cas, certainement pas une solution de remplacement.
Pour un projet de cette ampleur, The Legend of Vox Machina parvient à préserver un peu d’âme, et remplit en outre ses objectifs en matière de clins d’œil de toutes sortes. Il est tout-à-fait possible de regarder et apprécier sans avoir les références, attention ! Mais c’est difficile de nier qu’une partie de la tendresse se crée aussi au travers de ces coups de coude à la version actual play.

En 2023, j’ai également commencé à parler de séries d’animation dans ces colonnes, et je me tâte toujours quant à déterminer dans quelle mesure je souhaite poursuivre sur cette lancée. The Legend of Vox Machina a bien gagné sa place parmi les exceptions, en tout cas.

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