Deviens ce que tu es

17 avril 2021 à 23:58

Quand une série peu connue, qui commence légèrement à dater, apparaît soudain sur un site de, hm… cagoulage (ça fait des siècles que je n’avais plus utilisé cet euphémisme, tiens !), mon premier réflexe est de me demander quelle plateforme l’a récemment acquise à l’international. Si cette série est européenne, et qu’il s’agit d’un thriller, d’une série policière ou d’un crime drama, vous pouvez être sûre que c’est MHzChoice qui est derrière tout ça.
Eh bien une fois de plus ça n’a pas raté : les épisodes de la série norvégienne Kielergata (qui « date » de 2018) se retrouvent dans la nature, et effectivement, après vérification, MHz les propose bien depuis l’automne dernier sous le titre de Kieler street.

Comme les séries n’ont pas de date de péremption, me voilà donc, presque quatre ans après que la série ait démarré, à m’atteler à son premier épisode. Non sans reconnaissance pour l’inconnue qui a pris la peine de rendre cette série accessible à quelqu’un comme moi.

De prime abord, Kielergata évoque des séries comme la comédie suédoise Solsidan, qui se déroulent dans une banlieue pavillonnaire sans histoire. Le héros des deux séries est d’ailleurs un homme ; ce qui quelque part est rafraîchissant, tant le contexte de la banlieue pavillonnaire est souvent associé principalement à des personnages féminins (jurisprudence Desperate Housewives et la tripotée de séries qui se sont engagées dans son sillon). Jonas vit dans une petite maison dotée d’un petit jardin dans une petite rue d’une petite banlieue sage, avec son épouse Elin et la fille de celle-ci, issue d’une première union, Sofie.

La Norvégienne Kielergata est, pour commencer, clairement une série dramatique, ne serait-ce que par son format. Et surtout elle n’a pas vraiment l’intention de s’intéresser à la vie plan-plan de la banlieue. Contrairement à beaucoup de séries situées dans un décor similaire, sa thèse n’est pas que le problème principal est qu’il n’y a pas de problème.
Il y a un vrai problème, et les premières minutes de l’épisode vont nous faire comprendre, d’une façon grinçante, son ampleur.
Jonas et sa famille n’ont pas toujours vécu à Slusvik, voyez-vous. Pour lui, s’installer dans cette banlieue calme, avec sa femme et sa belle-fille, tout en tenant un job un peu ingrat dans un diner local, c’est une façon de se ranger. A plusieurs reprises, Jonas va réitérer, en particulier devant des interlocuteurs masculins qui semblent douter de sa sincérité, que cette vie est celle qu’il souhaite. C’est assez difficile à entendre, semble-t-il, parce que précisément cette vie banlieusarde a l’air petite. Etriquée, même. Mais Jonas paraît réellement penser ce qu’il dit.
D’ailleurs elle lui va en apparence plutôt bien, cette vie. Son boulot est un peu ingrat (et son patron un peu con, mais c’est le job des patrons, après tout) sans être vraiment désagréable ; il connaît tout le monde dans le quartier et y a lié des amitiés ; et il s’avère même être un excellent père de substitution pour Sofie, comme une épatante scène va nous le montrer assez tard dans cette introduction. Alors oui, parfois on peut passer une mauvaise journée, ou en tout cas ce qui passe pour une mauvaise journée à Slusvik (c’est-à-dire quand la supérette n’a plus de pains pour hot dogs), mais dans l’ensemble, ça pourrait être largement pire. Calme, voire diplomate, Jonas a l’air d’avoir conscience de cela dans tout ce qu’il fait.

Or c’est justement cette façon posée d’aborder les choses qui devrait alarmer quelqu’un. Kielergata pense (une brève scène au lycée va enfoncer le clou), que la vie de banlieue n’est pas notre véritable nature. En tout cas, certainement pas la véritable nature de Jonas.
Au cours de la première journée que nous passons en sa compagnie, alors qu’il doit à la fois calmer Elin qui stresse en organisant un barbecue, qu’il doit intervenir entre Elin et Sofie, qu’il doit assister à une réunion d’anciens alcooliques, qu’il doit s’assurer que les soucis de santé de son chat sont pris en charge, et qu’il doit acheter ces fichus pains pour hot dogs, survient la goutte d’eau qui fait déborder le vase. Son voisin et ami Geir, qui fréquente les mêmes réunions d’alcooliques anonymes que lui, lui apprend que par son métier d’assureur, il a eu accès aux données personnelles de tout le voisinage, et qu’il veut faire du chantage à tout le monde avec ce qu’il a appris. Mais surtout, Geir n’a rien appris sur Jonas, et il trouve ça énormément suspect. A ce moment-là, Jonas, enfin, lâche la rampe et pendant un bref mais important moment, il perd le contrôle.

C’est à ce moment que non seulement les spectateurs comprennent quel est le problème, mais aussi ses implications. Sans que la série n’en dise trop, nous prenons la mesure de qui est réellement Jonas. De qui il a été avant, dans une vie précédente ; et de qui il est toujours, même enfoui sous des tonnes de self-control.
Nous pouvons essayer de nous installer dans une petite maison dotée d’un petit jardin dans une petite rue d’une petite banlieue sage, nous dit Kielergata, mais nous ne cessons jamais d’être la personne que viscéralement nous étions avant d’y mettre les pieds. Il est là le problème, non pas dans la banalité de la vie banlieusarde, mais dans notre insistance à essayer de ranger nos instincts dans un lotissement en posant un mouchoir par-dessus.

Malgré sa nature, Jonas a le désir apparent de se ranger, et de mener cette vie idéale quand bien même, au fond, ce n’est pas qui il est. Alors bien-sûr, la question va être : quelle partie de lui va gagner ? L’animal incontrôlable ou l’homme sociable ? Ces deux identités peuvent-elles durablement coexister ? Et se pourrait-il qu’il ne soit pas le seul à cacher une bête immonde derrière ses polos pastels ?
La fin de l’épisode lance un fil rouge qui va probablement lui donner l’opportunité de mener la chèvre et le chou, mais ce genre de choses ne dure jamais longtemps. Et je suis curieuse de voir comment Kielergata va traiter son sujet en l’espace de seulement dix épisodes, que je vais découvrir après la bataille, mais hey, ça tombe bien, les séries ne sont pas bio-dégradables.
Gloire, gloire au cagoulage !


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Et pour ceux qui manquent cruellement de lecture…

1 commentaire

  1. Tiadeets dit :

    En tant qu’enfant de la ville, les banlieues, c’est vraiment l’angoisse. Intéressant de voir un nouveau point de vue et je serai ravie de lire ton avis sur la saison complète après que tu aies fini ton visionnage.

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