Lie to me

16 mai 2024 à 21:49

« Everybody lies…every day, every hour, awake, asleep, in his dreams, in his joy, in his mourning. If he keeps his tongue still his hands, his feet, his eyes, his attitude will convey deception – and purposely. »
(Mark Twain)

Et donc, tout le monde ment. Mais ça n’est pas intéressant, ça. Ce qui est intéressant, c’est pourquoi les gens mentent. Et comment. Le mensonge peut même être un art ! C’est en partie de tout cela qu’Actor, la série iranienne que lance aujourd’hui arte sous son titre international de The Actor, veut explorer.

Et effectivement quels meilleurs personnages pour parler de mensonge que des acteurs ? Ali et Morteza sont amis, et tous deux acteurs de profession. Lorsque démarre la série, ils veulent monter une pièce intitulée Actor, qui serait une adaptation d’une pièce d’Anthony Shaffer écrite par Ali. Pour garantir leur liberté artistique, ils tentent de produire la pièce de façon indépendante, louant un vieux théâtre… ou disons que ce serait le cas s’ils n’avaient pas pris du retard dans le paiement de leur loyer. Il faut dire que pour payer les factures, ils n’ont d’autre choix que de faire des petits boulots, se faisant engager pour des animations et des mises en scène diverses. Dans le premier épisode, on les voit par exemple prétendre braquer un couple d’amies pour une demande en mariage pourrie inoubliable, ou faire semblant de se battre pendant la soirée d’un riche étudiant en médecine. Et ce serait presqu’un moyen de gagner leur vie comme un autre, si Morteza n’avait pas décidé de dépenser le peu d’argent qu’ils ont dans un cadeau pour Sara, la belle vendeuse de parfum dont il est épris, et dont c’est justement l’anniversaire. Donc maintenant, ils peuvent encore moins payer leur loyer. Super.
La galère ne dure pas, fort heureusement. Dans le deuxième épisode de la série, Ali et Morteza sont embauchés par Ghafouri, un ex-flic travaillant pour une agence de « fixer » pour utiliser leurs talents d’improvisation plus en avant encore. Désormais, ils vont conduire pour lui des missions nécessitant des talents d’acteur, s’infiltrer quelque part, et mener des sortes d’enquêtes simples. Toutefois, Actor n’est pas une fiction formulaïque, et l’on ne verra en réalité que deux de ces affaires être conduites de bout en bout.

Et quand je dis « de bout en bout », je le pense : la série suit de très près les phases de préparation, de repérage, de répétition. C’est un peu Mission: Impossible en Iran. Oh, attendez, je sais… c’est Mission : Iranpossible !
…Ce qui, bien-sûr, a beaucoup de sens pour une série qui s’intérese à des acteurs ; toutefois cette approche, ainsi que le choix de s’appuyer sur le feuilletonnant plutôt que d’accumuler les investigations, montre que le but d’Actor n’est que d’utiliser cet ingrédient, pas d’en faire son objet central ; son vrai intérêt est pour le thème du mensonge au sens large. Ali et Morteza ont des superpouvoirs : ils sont capables de devenir n’importe qui, de s’adapter à n’importe quelle situation. Que dit ce don d’eux, de leur moralité, de leur conception de la vie ? Plus encore quand ce don est à vendre ? Sont-ils d’ailleurs les seuls à mentir ?
Bien-sûr que non. Ne serait-ce que parce que le mensonge est au coeur de leurs deux enquêtes, mais aussi récurrent dans leur vie personnelle. C’est là que se loge toute la sève dramatique d’Actor : dans l’exploration des situations qui poussent les protagonistes à mentir, mais aussi à faire le choix de la vérité.

Pour Actor, la vie est une performance (ce n’est pas pour rien que chaque épisode s’ouvre sur l’une des plus célèbres citations de Shakespeare). L’amour est une performance. L’amitié est une performance. La famille est une performance. La légalité est une performance… et ainsi de suite. Il y a des scènes, des interactions, des dialogues, qui soudain révèlent que ce que nous tenions pour acquis, ou au moins, ce sur quoi nous ne faisions que nous poser des questions, est plus complexe et trouble qu’au premier abord, et pas nécessairement vrai. Nous croyons connaître les personnages ou leurs motivations, et c’est, généralement, faux. Si bien qu’au bout d’un moment, on ne sait plus trop à quoi ou qui se fier.
C’est quelque chose dont un thriller serait coutumier… mais Actor n’est pas écrite comme un thriller, mais comme une dramédie ou éventuellement une fiction dramatique (le sérieux de son ton oscille pas mal, elle est difficilement classable sur ce plan). Sa façon de mettre en lumière les mensonges n’est pas exactement de nous retourner le cerveau, ou de nous laisser en suspens (hors le season finale, je l’admets), mais plutôt de nous impliquer émotionnellement dans cette discussion que la série a avec nous sur ce qu’est une relation honnête.
Deux des personnages ont par exemple, au cours d’une conversation, cet échange :
– Je pourrai jamais te mentir.
– Qu’est-ce que t’en sais ? Peut-être qu’il se passera quelque chose qui t’obligera à me mentir un jour.
Et c’est ça, qui intéresse Actor. C’est exactement à cela qu’elle veut que nous montrions attentives. A tous les mensonges, demi-vérités, mensonges par omission, pieux mensonges et vérités indicibles qui se logent dans nos vies ; les nuances entre la personne telle que nous voulons être aux yeux d’autrui, et la personne que nous voudrions être ; les mensonges que l’on dit pour obtenir la vérité de quelqu’un d’autre…

Tout dans nos vies est performance. Tout ?

Pendant ce temps la pièce Actor prend progressivement forme. A travers le financement, la construction du décor, les répétitions (des scènes dont la réalisation devient plus élaborée à mesure que le projet avance ; la répétition générale ressemble même à un film), Ali et Morteza sont, paradoxalement, sincères. Ils sont prêts à beaucoup de choses pour faire aboutir ce projet, en particulier Ali qui est l’auteur de la pièce (et généralement le cerveau de notre affaire), pour qui cette adaptation est un rêve de longue date. Jouer cette pièce, c’est la vérité de ce que font Ali et Morteza, la raison pour laquelle autrement ils mentent si allègrement. Toute leur vérité est dans leur art ; et nul part ailleurs.
Actor se régale de la progression de leur projet artistique, passe de longues minutes à leur faire réciter leur texte ou discuter de références culturelles (d’ailleurs attention, Actor inclut du blackface iranien). J’imagine que dans la deuxième saison, puisque le créateur et réalisateur de la série Nima Javidi semble tenir pour acquis que deux saisons d’Actor seront produites, on verra enfin la représentation ? Pour le moment, je n’ai toutefois pas trouvé trace de cette deuxième saison ; elle n’est probablement pas encore diffusée.

Actor se montre touchante, à sa façon. Aussi touchante que peut l’être une série dans laquelle on ne peut totalement croire personne, disons.
Les relations entre Morteza et Sara (même si celle-ci passe largement au second plan pendant la deuxième moitié de saison) ou Sara et son matron ; entre Ali et Nâzi (c’est malencontreux, mais c’est vraiment un prénom), la psychologue qui travaille dans la même agence que Ghafouri ; entre Ali/Morteza et Alma, l’actrice qu’ils engagent lorsqu’ils ont besoin d’une protagoniste féminine dans leurs investigations et avec laquelle ils commencent à former une petite troupe… sont autant de façons de construire un rapport à l’autre même voire surtout quand on ne lui dit pas tout. La série explore ce thème sous l’angle amoureux, mais aussi amical voire même familial, avec dévotion ; elle adore l’idée que l’on puisse créer des liens même sans sincérité complète. N’est-ce pas la vérité de toutes les relations ? On ne dit jamais tout, même quand on le voudrait, même quand on le pourrait ; or, on ne le veut pas toujours, et on ne le peut pas toujours.
Parfois, c’est même par le mensonge que l’on crée du lien. A plusieurs reprises, Ali, Morteza ou Alma vont être surprises, en plein mensonge, par la vérité d’autrui, qui ressort à un moment émouvant. C’est un échange émouvant avec un couple qu’on voulait manipuler, la video d’un vieil homme prise alors qu’on se faisait passer pour une réalisatrice, et ainsi de suite. Parfois, vous, vous mentez ; mais cela crée une situation dans laquelle autrui, parfaitement sincère, vous confie quelque chose qui autrement ne serait jamais sorti, suscite un moment de partage qui n’aurait pas existé. Actor adore prendre par surprise ses protagonistes et les confronter, avec une délicate brutalité, à une vérité inattendue. Et belle.

A cette grande interrogation sur le mensonge, s’ajoute un autre, qui me semble quasiment accidentel ou en tout cas très secondaire, autour de l’âge et de l’abandon. A plusieurs reprises, on trouve des protagonistes secondaires âgées qui se désolent d’être délaissées, plus ou moins littéralement, par leurs proches plus jeunes. Dans un épisode, « Bibi » la mère d’Ali, semble devenir catatonique par désespoir de n’être plus visitée. Dans un autre, la troupe d’actrices doit vérifier si quelqu’un est entré dans une maison de retraite très select, et découvre que beaucoup des pensionnaires vivent comme une blessure de vivre dans une cage dorée loin de leur famille. Parfois Actor glisse des références extrêmement rapides à ce constat, comme lorsqu’Alma confesse secrètement que si elle gagnait plusieurs millions, cet argent irait à son père ; ou quand Ali rencontre une adorable vieille dame en maison de retraite, qui se torture à l’idée d’avoir été abandonnée par son mari quand celui-ci est décédé ; ou même quand Nâzi parle de ses beaux-parents avec une forme de tendresse. Je n’ai pas trop réussi à déterminer si Actor a vraiment envie d’en faire un fil conducteur de son intrigue, ou d’utiliser cet axe pour dire quelque chose de son thème sur le mensonge (les personnes âgées sont capables de mentir autant que les autres !). Mais il est évident qu’elle porte une grande affection à ces protagonistes secondaires voire tertiaires.
Peut-être que, de la même façon que chaque épisode se conclut sur un baisser de rideau, le dernier acte d’une vie fascine Actor…?

Actor me donne l’opportunité, pour la première fois dans l’histoire du Dotcom, de reviewer l’intégralité d’une série iranienne ! Après la Somalie et le Malawi, j’ajoute donc maintenant l’Iran à mon tableau de chasse. Certes, techniquement ce n’est pas la toute première review d’une série iranienne… parce que j’avais déjà parlé d’Actor l’an dernier dans ma review globale des 36 séries vues à Series Mania. Vous admettrez que l’occasion mérite quand même d’être soulignée ! Et vous savez combien je me régale des premières fois… mais il est important de noter que ce n’est, en revanche (et contrairement à ce que beaucoup d’articles pas super documentés vous racontent cette semaine), pas la toute première série iranienne vue en France. Ce titre revient à Happiness, certes co-produite par… arte. Vous le savez, arte est pour moi LA chaîne française de la découverte téléphagique, mais là ça se confirme.
L’an dernier, je prédisais après avoir vu le premier épisode d’Actor que « c’est triste de savoir que je n’en connaitrais sûrement jamais la suite, considérant le nombre de séries iraniennes achetées et diffusées en France en règle générale ». Bien contente qu’arte ait fait de moi une menteuse.


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