Ma mère lit mon blog

19 avril 2005 à 15:41

J’ai été suffoquée de l’apprendre, il y a quelques jours.

Je ne sais pas trop pourquoi, au juste. Ce n’était sans doute qu’une question de temps avant que ma frangine ne vende la mèche. Ou que ma mère se rappelle du pseudo que j’utilisais il y a des siècles et fasse une recherche. Ou que j’aie laissé échapper l’adresse de mon site (ou le simple nom de SeriesLive) et qu’elle ait atterri ici par ricochets. Dans tous les cas ça devait arriver, j’imagine.

Dans le fond, ce qui me pose problème, ce n’est pas tant qu’elle le lise : en soi, c’est même positif quelque part.

Ce qui me dérange, ce serait plutôt que je l’aie appris par surprise, au détour d’une conversation sans rapport où elle a utilisé le surnom que j’ai donné à ma grand’mère (« Mirador »), qu’elle l’ait lu sans y réagir, sans y poster de réponse, sans sembler être spécialement touchée par quoi que ce soit qu’elle ait pu y lire. Ce qui me blesse, c’est qu’elle me dise « je l’ai lu » comme elle aurait pu me dire « j’ai été voir les dernières blagues de rigoler.com ». Comme si c’était une activité, et pas un geste significatif. Comme si ce qu’elle y a appris n’a rien touché en elle. Ca me fait toujours aussi mal de m’apercevoir que les personnes de ma famille ne semblent pas comprendre de quoi je suis faite. Ils réagissent comme si ce n’étaient que des mots. Tout comme cette fois où je lui ai fait lire, dans un appel du pied peu discret, un texte où je parlais de mes envies de suicide, il y a plusieurs années. Elle m’a répondu quelque chose du type « c’est pas mal mais tu en fais trop sur le style », comme si j’avais présenté un texte littéraire et non une partie de moi. Elle me dit « je lis ton blog » comme elle me dit « je lis le journal ». Ca semble glisser sur elle, ça me choque.

Est-ce parce que c’est de l’internet ? Elle n’a pas vraiment l’impression que c’est moi ? Elle croit peut-être qu’ici j’amuse la galerie, que j’écris tout cela (quand j’écris…) pour les autres et non pour moi. Je ne sais pas, je ne sais vraiment pas.
J’ai repensé, depuis que je l’ai appris, à tout ce qu’elle a pu y lire si tant est qu’elle ait lu le blog en entier : 100 posts qui n’étaient certainement pas tous de niveau équivalent. Mais quand j’y repense, quand je les relis, je me dis qu’elle y a eu une chance de voir qui je suis vraiment, c’est une facette de moi qu’elle ignore et que je ne cherche plus à lui donner à voir depuis quelques temps maintenant. Lorsqu’à une époque je me confiais à elle, elle semblait ne pas comprendre ce qui me faisait mal, elle me disait juste de patienter, d’attendre, de comprendre… jamais elle ne me disait qu’elle comprennait, elle, ma douleur, qu’elle allait faire quelque chose, ne serait-ce que m’encourager, non, il fallait toujours que je me débrouille seule. Il n’y avait aucune empathie. C’était purement factuel. Peut-être que j’espérais que ce soit parce que je m’étais mal exprimée : je suis tellement plus à l’aise à l’écrit. Ici, le moindre mot me semble parfaitement fidèle à mes impressions. Tout est si fluide sur ce blog pour moi, quand j’y écris. C’est la vraie moi, celle que personne d’autre ne peut atteindre dans la vraie vie, c’est une âme sur pixel d’une certaine façon. J’aurais espéré que ça la toucherait. Que ça changerait quelque chose. Je suis un cas désespéré si j’espère encore en un changement quelconque dans ma famille mais… c’est comme ça. J’ai cet espoir qu’un jour, au lieu de me voir comme la ratée, ils voient que je réussis dans d’autres domaines. Qu’ils sont quasiment incapables de communiquer mais que moi, en cela, je suis douée. J’arrive à tout dire. Je le dis avec toute mon âme. Je ne les ai jamais vus en faire autant. Plutôt de me reprocher de n’être pas comme eux, ma mère avait une chance de voir que ce n’est pas forcément mauvais d’être quelqu’un comme moi.

Que je souffre. Que je doute. Que je me pose des tonnes de questions. Que je réfléchis à un millier de choses, passées, présentes, et à venir. Que j’ai des rêves, des projets, des envies, des goûts. Que des gens m’apprécient, qui me lisent et trouvent formidable que toutes ces choses sortent de moi avec une telle aisance. Il y a dans ce blog pas mal de choses qui émanent de ma personnalité et dont je suis fière. Elle n’en a vue aucune.

Je ne suis même pas révulsée à l’idée de ce qu’elle a pu apprendre sur certaines choses de mon intimité, ma vie affective, amoureuse, sexuelle même (elle me racontait bien la sienne !!!). Ca aurait pu, mais si vraiment c’était le cas, je n’aurais pas de blog je pense. Je n’ai jamais eu aucun problème à dire ce que je ressentais, c’est pour trouver des gens pour l’écouter que ça devient difficile. Apparemment, elle n’a fait qu’entendre, une fois de plus.

Ma mère lit mon blog. Mais elle ne s’en imprègne pas.

Et j’ai soudain l’impression que ce n’est qu’une façon de surveiller ce que je fais, plutôt que d’entrer en contact avec moi. Elle a une chance de me connaître, elle n’a pas l’air de la saisir. Elle pourrait réagir. Elle pourrait être horrifiée de tout ce que je dévoile sur ma famille (laquelle famille n’a certes pas demandé à être épinglée sur le net après tout), sur mon enfance, sur mes sentiments. Elle pourrait me trouver impudique. Elle pourrait me dire que j’exagère (elle l’a déjà fait). Elle pourrait tenter de se justifier. Elle pourrait faire une tonne de choses mais en lieu et place de tout cela, elle préfère cliquer discrètement et me lire sans aucun retour. Pas un commentaire, rien. Ni sur le blog, ni ailleurs.

Non pas que je voudrais que ce blog devienne un relai entre elle et moi, et que nous y communiquions souvent. Il y avait un temps où j’avais envie de cela ; je lui avais écrit une lettre, une fois. C’était son idée et elle semblait bonne. J’ai essayé de lui expliquer dans cette lettre qu’on me menait la vie dure au collège (voyez comme ça date), qu’il y aviat un système hierarchique et que j’étais au plus bas échelon, que j’étais un souffre-douleur. Elle m’a dit qu’elle aurait voulu que je marque des choses intéressantes. Je ne crois pas qu’elle m’ait renvoyé une lettre, je ne m’en souviens pas. Je me souviens surtout qu’elle n’a pas lu la lettre avec son coeur, elle n’a pas compris que je tentais de lui expliquer que ma vie n’était pas difficile qu’à la maison. Cette histoire de lettres est loin et je ne voudrais certainement pas y revenir. Mais tant qu’à me lire… autant réagir.

Des quantités de gens l’ont fait. Je me souviens encore de cette note, c’était un peu avant l’anniversaire de mon grand’père en février, où j’étais attristée par le fait d’avoir vu deux personnes faire l’amour debout à côté d’un abris de bus, le regard dans le vague. Je trouvais ça tellement triste. Je me suis faite incendier. J’ai gardé les posts. Ils reflétaient quelque chose de vrai. Pas la réalité que je vois, la réalité de gens qui trouvent cela normal. A la rigueur, si elle n’étais pas d’accord, elle pourrait le faire savoir ici, à défaut de me le faire savoir dans la réalité. Mais non.

Aucune réaction. Pas même sous un pseudo (personne, à l’exception de nohope dans le post précédent, n’a posté depuis un bout de temps, ce qui est logique vu que moi non plus) Les mots semblent avoir glissé sur elle une fois de plus.

Vais-je fermer mon blog ? Visiblement non, sans quoi je n’y posterais pas actuellement. Mais ça m’a donné à réfléchir sur tant de choses…

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