Money changes everything

8 février 2010 à 15:39

Imaginez le tableau.
Une industrie par définition contrôlée par l’argent (ce qui explique l’annulation de très bonnes séries considérées comme pas assez rentables, la déclinaison à l’envi de concepts particulièrement faciles à vendre à tour de bras, etc.), mettons… tiens, on va prendre comme exemple la télévision, complètement au hasard. Cette industrie est en grande partie basée dans un pays dont les valeurs tournent elles aussi majoritairement autour de la notion d’argent, disons… bon, on va dire les États-Unis. Et cette même industrie, dans ce même pays, brosse un portrait quasi-systématiquement négatif de la richesse.
Ça ne vous choque pas un peu ? Moi, si, quand même.

Ce weekend j’ai rattrapé un peu de retard de lecture. Notamment, j’ai regardé les deuxième et troisième épisodes de Life Unexpected. Et pour la 712e fois, je me suis fait cette réflexion. C’était la fois de trop.
Je vous refais la scène (ce qui veut dire que ce paragraphe ne sera pas dénué de spoilers, passez au suivant sans faire plus de manières plutôt que de venir râler en commentaires). Nate et Cate ont une fille, Lux, 16 ans, qui vient de réapparaitre dans leurs vies ; vient un moment où il faut bien mettre les grands-parents au courant. Le père de Nate, qui paie le loyer du bar qu’il a lancé, lui intime l’ordre de lui présenter Lux… et si Nate refuse, c’est bien simple, papa reprend le bar. Un bon petit chantage à la Gilmore Girls comme on les aime : « si je ne suis pas inclus(e) dans ta vie privée, ta vie financière va devenir très compliquée ».

Alors voici ma question : pourquoi, mais pourquoi, dés qu’un personnage a de l’argent dans une série, il faut qu’il s’en serve pour effectuer des pressions sur les autres ? On ne va pas parler de Dirty Sexy Money, ce serait trop facile, non, je parle simplement de séries qui baignent dans une ambiance où on ne cherche pas à démontrer quoi que ce soit, mais où soudain, les personnages qui ont de l’argent dévoilent une facette peu glorieuse de leur personnalité (et peu ou pas du tout d’autre facette, d’ailleurs). Parce que quand tu as de l’argent, tu es FORCEMENT pourri. Ca fait partie de la panoplie.

Maintenant, si je regardais des séries russes ou chinoises, je vous dirais que ça se comprend. Mais on parle de séries américaines, créées dans un certain contexte culturel. Et je dois dire que ça m’impressionne, ce portrait du riche forcément corrompu par son porte-feuille. Dans le genre cliché…

La réponse tient peut-être non pas à ceux qui font la série, mais ceux qui la regardent. Je fais une série sur des riches, il y a des chances que je m’en mette moi-même plein les fouilles, mais mon public de base reste quand même le télambda qui gagne sa vie quelques centaines de dollars à la fois, avec ce qu’il faut de crédits et de fins de mois un peu justes voire carrément difficiles. Et quand on n’a pas beaucoup d’argent, on n’a pas envie de s’entendre dire que ceux qui en ont sont des personnes bien. Il faut un certaine justice, en ce bas monde, et savoir qu’une personne qui est pleine aux as n’est pas une personne recommandable, ça rétablit un peu l’équilibre cosmique.

Alors, comme on est aux Etats-Unis, d’accord, tout protagoniste riche n’est pas nécessairement malhonnête, mais au minimum, il est nécessaire qu’il ne soit pas « gentil ». Le méchant est désigné, c’est celui qui a plein de sous et peut exercer son petit pouvoir sur de moins fortunés (c’est le cas de le dire), et qui n’est pas trop gêné aux entournures par sa conscience.

La cause et la conséquence sont les mêmes : plus de séries sur la middle class (ou parfois, middle class améliorée, cf. l’intro de mon post sur le pilote de Modern Family). Il y en a toujours eu, mais dans des proportions variables et, étrangement, chaque vague de séries de ce genre correspond à une réalité économique. La preuve par l’exemple avec Roseanne (ô merveille, le pilote est encore à portée de clic) qui commençait très exactement un an, le temps de développer la série en somme, après le lundi noir du 19 octobre 1987. Ce qui, si je me souviens de façon à peu près décente de mes cours au lycée, a été suivi par une envolée des taux d’intérêt pour les Américains. Ne cherchez pas plus loin sur quoi repose la série…

Donc, l’argent, ça corrompt. Pas au sens politique du terme, mais au sens moral (c’est pire). Il suffit de voir sur quoi est basée la promo de séries comme Gossip Girl : des jeunes qui ont de l’argent, et qui ont perdu leurs repères moraux (et c’est ça qui est bon, ajouteront les fans, et grand bien leur fasse).

Quand une profession s’aventure chez les riches, par le biais d’un personnage pas forcément riche lui-même, c’est pour souligner à quel point ils sont oisifs, déconnectés de la réalité, ou incroyablement insensibles (Privileged ou Royal Pains étant des exemples flagrants de ce thème, avec un syndrome Mary Poppins totalement assumé, c’est celui qui ne paye pas de mine qui va apprendre aux riches comment être heureux).
Beaucoup de séries jouent sur cette idée, notamment les diverses et mille fois trop nombreuses séries policières comme Les Experts Bichkek, Achgabat et Tachkent, ou bien les Law & Order. Autant d’excuses pour aller fouiller dans les poubelles des gens riches (les Law & Order ne sortent de Manhattan que s’il n’y a pas le choix de faire autrement) et sortir leurs sales petits secrets aux yeux de tous. J’irai même jusqu’à dire que la violence dans les séries se joue de deux façons différentes selon le public qu’elle frappe : les pauvres la subissent (conditions économiques, contexte social, etc… genre The Wire), les riches la provoquent par un quelconque vice (cupidité, luxure, etc…). Inutile de dire que le riche, quand il se fait buter dans son salon, il ne fait pas trop pleurer dans les chaumières ; ce qui tombe bien car ces séries reposent essentiellement sur le fait de résoudre intellectuellement une enquête, en évitant le plus possible de s’impliquer émotionnellement (ce qui compte c’est le comment, et non le pourquoi). Donc comme on ne peut pas compatir avec le riche, puisqu’il est riche, tout va bien, l’honneur est sauf.

De toutes façons, dés qu’un type un peu trop blindé se pique d’aller faire le bien quelque part, les spectateurs et même les autres protagonistes le regardent avec scepticisme. Le sort de The Philantropist me semble parlant à cet égard ; il n’y avait pas grand monde pour y croire, ni devant l’écran, ni dedans. Tu as de l’argent ? Tes intentions sont forcément peu nobles (ici, on s’était arrangé pour que le background du personnage jette un peu de discrédit sur ses raisons de se lancer dans un tel projet).

Non, décemment, le riche ne peut pas être vainqueur sur un plan moral. Il n’a pas le droit.
Il a déjà de l’argent, on peut pas tout avoir, merde !

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