Il n’y a pas que le bol qui m’écoeure

1 septembre 2010 à 23:49

Vous avez déjà vu une série raciste ? Attention, hein, vraiment raciste. Je ne parle pas d’une série au ton exagérément patriotique : certes, on ne se sent pas toujours des atomes crochus avec une telle série, mais elle n’est pas raciste pour autant, c’est juste que vous n’êtes pas dans son public-cible. Non, je vous parle d’une série vraiment raciste.

Ce serait trop facile si je vous parlais d’une série qui revendiquerait violemment qu’on brutalise des étrangers, ou incitant au rejet de l’autre. Non, pas un racisme aussi évident, ni aussi spectaculaire.
Vraiment, j’insiste, une série raciste dans le sens le plus banal du terme, un petit racisme ordinaire de derrière les fagots, camouflés sous une bonne dose de sourires et de politesses, le racisme d’une série qui le fait probablement même sans penser à mal, limite avec l’impression d’être tolérante et ouverte.

J’ai vu une série raciste il y a quelques semaines. Désolée de ne pas vous en avoir parlé plus tôt, j’ai préféré d’autres priorités.

Quand je l’ai vue, je n’ai même pas été furieuse. Je n’ai même pas jugé utile de couper avant la fin du pilote. Je n’ai même pas été vraiment offusquée.
Mais quelque part, l’expérience était quand même intéressante. Déjà, parce que la série était raciste, entre autres, envers moi, chose d’autant plus rare qu’il s’avère que je suis blanche et agnostique. Et puis, parce que les manifestations de ce racisme ne m’étaient pas nouvelles, j’en avais déjà entendu parler. Enfin, parce que ce racisme s’exprimait dans un contexte culturel qui n’est pas vraiment sensible.
Si la série dont je vous parle était venue d’Afrique noire, ou d’un pays arabe, nul doute qu’une ribambelle de questions de plus ou moins bon aloi auraient accompagné son visionnage, lequel se serait immédiatement lié avec certaines problématiques actuelles que le gouvernement français a à cœur de ne pas nous faire oublier (je manie bien l’euphémisme, qu’en dites-vous ?). Mais là, j’ai pu voir une série raciste sans que, finalement, aucun lien ne se tisse avec les sujets qui font débat dans notre beau pays.

Le racisme de cette série, je l’ai dit, était dirigé contre moi (bien que probablement de façon bien involontaire), mais n’avait aucun moyen de me toucher personnellement. Je suis consciente de ma chance, car je me demande souvent ce que ressentent certains spectateurs devant la façon qu’ont certaines séries d’aborder certains sujets (pourrais-je être plus vague ?).

Imaginez une série où le personnage principal est une jeune femme moderne, au caractère bien trempé, indépendant, habillée à la dernière mode. Elle pourrait se fondre sans problème dans la masse si elle venait à se promener sous nos latitudes. Mais elle est ici chez elle, donc la question ne se posera pas. Notre héroïne veut enseigner et, par un curieux concours de circonstances, elle se retrouver à enseigner sa langue natale à des étrangers.
Au vu du pilote, on peut raisonnablement deviner que la structure de la série sera la suivante : elle va aider l’un de ses élèves à se fondre dans la société, bien qu’il y soit étranger.

Très vite, il apparait que son premier élève, engagé en outre à temps partiel dans un petit restaurant, a un besoin urgent en vocabulaire culinaires. Elle s’en aperçoit en le voyant se faire engueuler par son patron, en cuisine. Jusque là, admettons que tout va bien. Le langage du patron n’est pas tellement des plus nuancés : il reproche à l’employé étranger de ne rien comprendre et, dans ce qui semble être une furieuse envie de se défouler, lui fait remarquer qu’en plus il est incapable de faire la vaisselle correctement. Mais vu qu’il était en colère, je ne me suis pas tellement formalisée. C’est ensuite que ça s’est corsé. Quand notre héroïne emmène l’étranger/commis de cuisine dans un restaurant, où le chef de l’établissement lui apprend (ainsi qu’au reste de la classe) quelques mots particulièrement précis pour se débrouiller en cuisine. Et alors que tout le monde profite pleinement de la leçon, l’héroïne ajoute que notre étranger n’a plus qu’à faire la vaisselle.

La quoi ?! Je pense qu’il faut que je me le repasse, ce passage !

« Qu’est-ce que c’est que ça ?
– Tiens ! Lave-le !
– Pas question !
– On te traite comme un moins que rien parce que tu es étranger, alors lave !

– Allez, un peu d’huile de coude ! Et rince après avoir lavé ! Rince jusque dans les coins ! »
(et encore, je vous épargne la musique puante des violons en plastique)

Ah oui, donc c’est bien ça. Il est étranger, DONC il faut lui apprendre à laver un bol correctement. Et effectivement, son patron est impressionné, il n’a jamais vu un étranger laver un bol correctement. Il fait un clin d’oeil à notre héroïne, oui, il est satisfait, ça c’est un bol lavé comme il faut, merci de lui avoir appris !!!
Vraisemblablement, un étranger qui ne sait pas s’exprimer est forcément incapable de faire quoi que ce soit d’autre.

Et à bien y regarder, tout l’épisode consiste à infantiliser les 9 étrangers venus suivre des cours (c’est leur faute aussi, ils prennent des cours comme des enfants), alors qu’ils sont largement adultes (l’un d’entre eux est un homme d’affaires…). Ou quand l’ignorance linguistique est considérée comme de l’ignorance tout court.

Mais heureusement, cette série est japonaise, et je me suis depuis longtemps faite à l’idée que les Japonais ont un rapport aux étrangers qui n’est pas absolument un modèle que j’aimerais suivre. Rien de nouveau, rien de choquant.
Nihonjin no Shiranai Nihongo (car c’est de cette série qu’il s’agissait) est juste à déconseiller vivement à tous ceux qui ont envie de garder du Japon une image idéalisée et parfaite. Grand bien vous fasse. Mais si vous y allez, pensez surtout à rincer les bols jusque dans les coins.

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1 commentaire

  1. akito dit :

    Il me semblait qu’un apprenti commençait par les bases, et tant qu’il ne les avait pas maîtrisées il était hors de question pour lui, autochtone ou non, de passer à la suite de son apprentissage… Mais je suis peut-être trop naïf ? Ton analyse n’est pas fausse, il n’y a, sous pas mal d’aspects, pas plus raciste qu’un Japonais. Dans le sens à mon avis, où ils considèrent que leur savoir, leur culture, est inaccessible aux étrangers car trop complexe ou trop raffinée. D’ailleurs un « gaijin » au Japon ne pourra s’intégrer que jusqu’à un certain point et encore, à condition de toujours savoir rester à sa place, garder à l’esprit sa condition (inférieure ?) d’étranger. Cette série est intéressante, je pense que je vais continuer ! Merci pour cet article

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