La vérité toute nue

3 avril 2012 à 20:07

House of Lies avait commencé comme une dramédie trash ; je peux concevoir que cela ait pu rebuter une partie de mon entourage téléphagique ; au sein de l’équipe du SeriesLive Show, par exemple, les avis étaient contrastés, ce qui est une façon polie de dire qu’il y avait d’un côté le mien, positif, et d’un autre côté les autres, franchement pas charmés.
Pour être honnête, elle n’a jamais totalement cessé d’être trash, mais House of Lies a vraiment dépassé les clichés accrocheurs (ou voulus comme tels, mais ça n’a pas fonctionné sur tout le monde visiblement) pour offrir une série d’une densité incroyable. Mais cela, nombre des déçus qui avaient baissé les bras après le pilote ne le sauront jamais. Ce sont les règles du jeu, c’est certain, et moi-même je ne reste jamais dans les parages quand une série me déçoit au moment du premier épisode, après tout. Simplement j’ai le sentiment que les manifestations les plus trash de son pilote, ainsi que le fameux effet « freeze », sont les seules choses que nombre des gens dont j’ai pu lire l’avis ont remarqué. Comme s’il ne se disait rien d’autre. Et c’est justement là que tout le génie de House of Lies s’est déployé.

Le plus fort c’est que pendant les premiers épisodes, je ne m’intéressais pas vraiment aux troubles de son personnage central, Marty Kaan, dont les déboires me semblaient bien peu captivants comparés à l’incroyable dynamique de son équipe. Pour moi le point fort était vraiment dans leurs échanges à la fois intelligents et foncièrement cyniques, teintés de cette sorte d’agressivité dénuée de toute méchanceté propre à certains milieux professionnels. Les intrigues liées au travail de cet équipe semblaient aussi une façon incroyablement brutale et subtile à la fois de parler de l’état de notre société en ces temps de « crise ».
C’est ainsi que le pilote permettait à Kaan de faire la démonstration de tout ce que sa profession implique d’odieux et de réaliste à la fois, en offrant au patron d’une énorme corporation bancaire de faire un geste qui semblerait être généreux et en réalité ne le serait pas. La démonstration était incroyablement perverse et pourtant parfaitement objective quant à la réalité de bien des milieux.

L’intrigue qui allait se développer à partir de là, avec cette fameuse histoire de fusion/acquisition, est la meilleure preuve du regard aiguisé que House of Lies pose sur l’actualité, et dépasse le cliché du « personnage névrosé dans une dramédie excessive » qui colle à la peau de plusieurs séries de Showtime.

House of Lies s’intéresse donc à une radiographie de la façon dont les finances de nos sociétés (dans tous les sens du terme) nous conduisent à notre décadance morale. A bien y réfléchir, tout est absurde dans ce monde-là. L’Ouroboros se mord effectivement la queue : on fait de l’argent en mentant sur la façon de faire plus d’argent, et on vit dans un status quo où on a l’illusion qu’on fait tourner la machine.
On brasse du vent pour mieux brasser de l’argent, à moins que ce ne soit le contraire.

Le sujet n’est pas facile et en réalité, les névroses du personnage agissent comme une personnification des dérives du système. J’ai l’impression que cela souvent été interprété comme l’inverse, et encore, au mieux. Mais à mesure que cette histoire de fusion/acquisition monte en puissance, il devient difficile de nier que le mode de vie déglingué de Marty Kaan va bien au-delà de la formule habituelle de Showtime, notamment grâce à Jeannie et son parcours également erratique.

Qui plus est, House of Lies propose autant de scènes-choc, souvent jouissives il est vrai, que de scènes authentiquement dramatiques. En faisant tomber le quatrième mur, Marty Kaan partage bien entendu ses commentaires blasés sur son travail ou ses collègues, mais plus encore, il emploie ce procédé dans sa vie personnelle. Il nous invite à partager aussi les moments les plus sombres qu’il traverse, par contre, contrairement à son monde professionnel, cela se fait toujours en silence. Son regard est chargé d’émotions qu’il nous inflige directement, difficile parfois de résister à la tentation de détourner les yeux pour y échapper ; plusieurs épisodes se finissent sous son regard accusateur, alors qu’il partage son angoisse autant qu’il cherche à nous rappeler qu’elle n’est probablement pas différente des nôtres. L’échange qui a lieu à ce moment-là est terrible, implacable.
Ce n’est pas simplement impressionnant parce que Marty Kaan est interprété par Don Cheadle, qui apprend progressivement à maîtriser son personnage, c’est aussi tout simplement parce que rares sont les personnages à partager autant. Et que souvent, ceux qui le font sont des femmes (c’est après tout là la réputation de Showtime), et pour la première fois depuis bien longtemps, un personnage masculin se dévoile avec toutes ses fragilités. Marty Kaan est sans nul doute le personnage le plus vulnérable que j’aie vu depuis bien longtemps.

Pour une série qui se déroule dans un milieu où, si l’on est beau parleur, on peut se remplir les fouilles, House of Lies repose donc énormément sur les silences. Et si bien des séries savent à l’occasion utiliser le silence, produire un tel résultat sur 12 épisodes est plus rare, et laisse… sans voix. Oui, les protagonistes de House of Lies sont de grands bonimenteurs… mais ils sont toujours honnêtes avec eux-mêmes, et donc avec nous. C’est assez rare pour être souligné, quand dans de si nombreuses séries, le spectateur doit d’abord faire l’effort de comprendre les motivations du personnage avant de les partager. Ici, Marty ou dans une moindre mesure Jeannie sont dans la nudité la plus complète.

Il y a d’ailleurs beaucoup à dire de la performance de Kristen Bell. Je n’ai jamais eu une sympathie très poussée pour l’actrice, elle est sympathique mais pas incontournable ; et surtout, je n’ai pas vraiment gardé un souvenir impérissable de Veronica Mars. D’ailleurs peut-être que tant mieux, ça m’évite d’aborder sa performance avec une attente trop précise. Mais au fur et à mesure de la série, elle va se révéler comme un pillier des intrigues, se développant plus qu’on n’aura pu l’espérer pour Clyde ou Doug (deux éléments que j’apprécie énormément par ailleurs, mais certainement pas pour les mêmes raisons, leur utilité se bornant aux axes plus légers des épisodes). La progression est lente, mais cohérente pour Jeannie ; à partir du moment où elle signe un pacte avec le diable, les choses se précipitent, laissant à Kristen Bell toute latitude pour nous épater. Mais vraiment.
C’est là que je me suis rappelé de l’incroyable prestation de Bell dans le pilote de Veronica Mars et de mon émotion face à la scène du « lendemain » du viol de Veronica. Soudain je révise mon opinion de l’actrice à la hausse. Il y a des Emmys qui se perdent, à vrai dire.

Soyons sincères, deux autres femmes se débrouillent incroyablement bien pendant leur temps d’antenne pourtant limité : Dawn Olivieri, incroyable en femme à la fois venimeuse et perdue dans une spirale de haine de soi, Megalyn Echikunwoke (j’ai dû copier/coller) se montrant parfaitement charmante mais aussi terriblement humaine. Quand tant de séries ont tendance à écrire les rôles féminins au détriment des rôles masculins, ou l’inverse, la présence de ce cast de charme formidablement bien servi par une écriture très tendre fait un bien fou.

Et au final, voilà comment on part d’une dramédie en apparence légère, trash, et pas forcément très profonde, à l’une des meilleures séries de ce début d’année. House of Lies n’est pas juste un coup de coeur, c’est un travail bien plus profond que cela qui parle à ce qu’il y a de plus fragile en nous, tout en nous servant une vision très sensée des organes financiers de notre monde, et des passages excessifs mais jamais totalement gratuits.
Alors c’est vrai que mon avis vaut ce qu’il vaut puisque ça doit être la dixième série qui m’impressionne en ce début d’année. Mais ça veut aussi dire que, les amis, le crû 2012 est absolument épatant. On a une chance de folie d’être téléphages en ce moment. On ne s’en rend probablement pas compte, mais le monde nous envoie de toutes parts des productions d’une exceptionnelle qualité. House of Lies en est une, et ça va être une torture d’attendre jusqu’à la saison prochaine.

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Et pour ceux qui manquent cruellement de lecture…

3 commentaires

  1. Bw dit :

    Une des choses qui me chagrine dans cette série c’est tout le boulot que devrait abattre cette team pour contenter ses clients qui ne se voit-ressent- pas c’est un peu comme ta review de 30Beats,je trouve tous ça improbable.

  2. ladyteruki dit :

    Mais justement, l’idée c’est en général de montrer que leur boulot tient plus au baratin qu’au travail, dans la majeure partie des cas. L’épisode 5, qui se déroule en terre mormone, montre cependant très bien les nuits passées à préparer une présentation quand il y a un problème et qu’il n’est plus si facile d’utiliser des techniques d’esbroufe toutes faites.

  3. Shoone dit :

    Tu as tout dit et bien plus encore Magnifique plaidoyer pour la série. Les gens ont été bien durs avec elle et ça me rend bien triste maintenant qu’elle a évolué en quelque chose de très réussi, pas seulement trash et divertissant, avec un univers dense comme tu dis.
    Bon, c’est vrai tout n’était pas parfait au début, et je n’étais pas entièrement convaincu non plus, mais j’avais bien accroché et j’ai voulu croire au potentiel de la série.

    Je pense que le déclic a eu lieu avec l’épisode chez les mormons justement, c’est le moment ou j’ai su que j’aimais vraiment la série. La dynamique de l’équipe y est impeccable, les personnages plus creusés (notamment Jeannie/Clyde/Monica) et le « schéma » d’épisode qui semblait s’installer est bouleversé pour plus de surprises.

    Toute l’intrigue de la fusion a aussi été un grand plus je trouve, faisant passer la série dans une dimension feuilletonnante que j’apprécie davantage.
    Elle complète d’autre part très bien les intrigues sur la vie privée de Marty. Celles-ci m’ont également bien plu, grâce à un Don Cheadle effectivement impeccable et un ton unique… mais il fallait quelque chose en plus pour occuper le reste de l’équipe et développer l’univers. La fusion est donc arrivée à point nommé.
    Bien content sinon que tu fasses mention à Bell qui effectivement s’en sort très bien, après des premiers épisodes où j’étais assez déçu de sa prestation. Le truc c’est que son personnage est un peu coincé dans un rôle assez répétitif et sans beaucoup de perspectives au départ… mais dès qu’on s’intéresse plus à sa gestion de sa vie professionnelle et qu’elle se retrouve à « oser » davantage, notamment avec le Rainmaker, elle devient bien plus intéressante et offre à Bell la matière pour briller.

    Bien d’accord enfin sur les autres rôles secondaires, aussi très réussis. Olivieri fait une délicieuse bitch et Megalyn Echikunwoke est très attachante, j’espère qu’on la reverra en saison 2. Richard Schiff, Griffin Dunne et Greg Germann mériteraient aussi quelques louanges, j’ai adorés leurs personnages savoureusement décalés.

    Bref, un très bon show, peut-être un peu trop injustement condamné trop vite. J’ai hâte de voir la saison 2, la dynamique de l’équipe va vraiment me manquer d’ici là.

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