The sign of the six

6 mai 2012 à 23:48

C’est extrêmement déplaisant, ces saisons courtes. Alors d’accord, proportionnellement parlant, ça donne l’impression de plus de génie à la minute que si la saison était plus longue, mais trois épisodes par saison, Seigneur, c’est insupportable. Bien contente d’avoir attendu un peu et de m’en être enfilé deux en une semaine parce que je ne vous raconte pas les effets de manque et de frustration sans ça. Limite j’aurais ptet encore dû attendre un peu, tiens.
Eh oui, rappelez-vous, le weekend dernier, c’était le bon temps ; je n’avais vu qu’un seul épisode de Sherlock. Et maintenant, le temps a passé, les saisons se sont écoulées, et j’ai tout rattrapé. Tout cela ne nous rajeunit pas. Je vais donc à présent me joindre en parfaite connaissance de cause au flot intarrissable de compliments sur la série, et je ne suis au juste pas certaine d’avoir quoi que ce soit à ajouter qui n’ait déjà été dit cent fois mais… comme disent les British : it bears repeating.

Sherlock est, comme son nom l’indique, un hymne au célèbre détective. Le portrait n’a rien de flatteur, car sous les apparences de l’acuité et de l’intelligence se cache le profil d’un grand malade. Si ce n’était pas très grave, voire même franchement classe, d’être un homme, disons, distant, à l’époque de Sir Arthur Conan Doyle, à l’ère de la socialisation constante, c’est le plus grave des défauts, et la série se délecte de cet élément, l’incorpore aussi bien dans ses dialogues les plus légers que dans ses axes les plus dramatiques. Le final de la saison 2 tient justement au fait que Sherlock ne maîtrise aucune des normes qui lui permettraient de vivre en société, John agissant comme son interface avec le monde, son traducteur, sa zone tampon, son auxiliaire de vie… parfois au sens le plus strict du terme quand Watson en est réduit à sortir le téléphone de la poche de Sherlock à sa place. On fait ici plus que flirter avec l’idée que Holmes est totalement inadapté…

Mais à l’instar du docteur Watson qui s’attache à ce personnage pourtant souvent insupportable (au point de le frapper avec tout son amour dans le début de la deuxième saison), nous aussi apprenons à aimer ce grand bonhomme détestable. C’est un procédé pourtant cent fois employé, surtout ces dernières années, pour rendre l’antipathique sympathique, et pourtant cela fonctionne, grâce à la seule chose qui différencie Sherlock Holmes de tous les génies désagréables de la télévision moderne (et il y en a). Parce qu’admettons-le, tout comme Watson, nous sommes fascinés par la créature brillante qu’est Sherlock. Comment ne pas tolérer tout de ce personnage à l’esprit absolument génial ?
C’est la plus grande réussite de la série, au fond : réussir à écrire un personnage dont l’intelligence ne soit pas qu’une caractéristique, mais un véritable trait de la personnalité du protagoniste, s’exprimant constamment et de façon plausible. On réfléchit avec Sherlock et on s’attend à ce que ses fulgurances aient du sens, même quand on n’est pas capable de le devancer (une fois de temps en temps, le scénariste a pitié et nous laisse cependant prendre une scène ou deux d’avance sur lui). Contrairement à tant d’enquêteurs de sa génération télévisuelle, Sherlock réfléchit en temps réel, et ne nous met pas face à des épiphanies cosmétiques qui ne sont là que pour faire avancer la trame ; l’intelligence du personnage est réelle, et elle est humaine. C’est en choisissant de nous faire entrer dans sa tête, et non dans son coeur, que Sherlock parvient à construire un personnage réellement envoûtant, pas en lui inventant des failles ou en décrétant qu’on l’aimerait malgré tout.

Le mérite n’en revient pas tout-à-fait exclusivement à l’écriture, bien-sûr. La prestation de Benedict Cumberbatch est à peu près tout ce qu’on vous aura dit qu’elle serait : fine, passionnante, magnétique. Tout, sauf sexy car, pardon, mais quand je vois Cumberbatch dans la peau de Sherlock Holmes, je vois un serpent. Depuis le début, mais encore plus depuis le plan ci-dessus.

Souvent extrêmement intériosé, parfois plutôt excentrique, limite outrancier, le Sherlock de Cumberbatch dont la force réside dans le regard, constamment en mouvement. Avec lui, tout se joue dans les yeux et c’est assez terrifiant, le regard de cet acteur qui suit le cours des pensées de son personnage et leur donne vie pour mieux vous aider à accompagner la progression de l’épisode. Feindre une telle intelligence avec succès, tout en assurant le show au propre comme au figuré, n’est pas à la portée de n’importe qui, et il faut admettre que je ne vois pas beaucoup d’autres acteurs britanniques capables d’apporter autant de substance à ce personnage, sans jamais tenter de le rendre un seul instant plus charmeur.

Et après tout, le charme, c’est ailleurs qu’il se joue. C’est John Watson, alias Martin Freeman, qui en est le dépositaire. Il est l’atout coeur de la série et joue de son côté ours en peluche (ou hérisson, me dit-on) pour nous donner notre dose de soupirs attendris. John Watson est sa mine déconfite, John Watson l’homme à femmes, John Watson le pauvre laquais sous-évalué.

En dépit de cela, John Watson est cent fois plus pervers que Sherlock. C’est un fait établi dans le pilote, en tous cas, même ses manifestations sont plus variables par la suite. Watson n’a pas l’intelligence de Sherlock, il n’a pas son don d’observation, et très honnêtement, il ne sert pas à grand’chose dans le domaine médical non plus puisque les quelques rares passages en laboratoire sont toujours exécutés par le maître lui-même. Mais il se repaît de l’intelligence de son comparse. Il assiste à ses performances et s’en régale, et se faire traiter comme un larbin n’est pas cher payé. D’ailleurs Watson essaye à intervalles régulier de se faire remarquer, mais ce n’est visiblement pas pour son intellect que Sherlock le garde à son service. On est dans une superbe relation voyeuriste/exhibitionniste.

Son attachement grandissant envers son idole, bien-sûr, sera une autre raison de suivre Sherlock. C’est une jolie et tendre histoire d’amitié qui se joue ici (mais il est vrai que je n’ai jamais eu un tempérament de shipper) et qui s’exprime de multiples façons. La loyauté de Watson, parfaitement caractéristique, nous donne l’opportunité de pardonner à Sherlock les pires des excès, qu’en tant que spectateurs nous aurions pu trouver agaçants sans le regard complaisant du docteur.

Tout grand héros a besoin d’une puissante némésis.
Ma première rencontre avec Sherlock Holmes, comme, je pense, pas mal de téléphages de ma génération, a été par le biais d’un dessin animé qui mettait énormément en avant l’opposition avec Moriarty. J’attendais énormément de ce personnage, et ne vous cacherai pas que la mention de son nom, la toute première fois, a déclenché un tonnerre d’applaudissements de mon côté de l’écran (le premier d’une longue série, pas forcément en rapport avec ce génie du mal d’ailleurs).

Mes attentes ont été comblées, et bien plus encore. James Moriarty est un personnage nerveux, imprévisible, en apparence chétif, et à la drôle de voix, mais il s’avère être exactement l’opposant qu’on attend de lui. En fait, le portrait de ce criminel dérangé et dérangeant est si incroyable, qu’on en vient presque à lui en vouloir à la fin de la deuxième saison de commettre l’impardonnable.
Moriarty est le Hyde derrière le Jekyll de Holmes, l’autre facette d’une même pièce, un message d’avertissement. Rarement deux entités prévues pour être similaires mais en opposition auront été aussi bien dépeintes dans une série.
Plus incroyable encore, grâce à l’interprétation parfaite d’Andrew Scott, Moriarty vole régulièrement la vedette ; on le guette, on l’attend, on se régale de chacune de ses apparitions pourtant de mauvais augure.

Le danger, quand on s’attaque à un individu aussi célèbre que Sherlock Holmes pour l’intégrer dans le monde moderne, c’est de vouloir faire trop daté ou trop moderne. Sherlock parvient, et c’est à la fois surprenant et naturel quand on connait le talent de son équipe créative, à trouver parfaitement le juste milieu.
Le look de ses protagonistes ou de leur garçonnière a un côté intemporel. Et pourtant, rarement une série aura utilisé avec autant d’intelligence les outils modernes, et en premier lieu les SMS. De ce côté-là, c’est la réalisation qui fait toute la différence. Le choix de rarement montrer des écrans, mais de ne pas nous priver des messages envoyés, et donc de trouver des façons d’intégrer les textes aux images de l’intrigue (ils tournent dans l’espace, s’affichent sur les murs, s’échappent de multiples façon), est parfaitement calculé pour n’être jamais ni en décalage, ni ridicule. C’est un cas particulier qui illustre en réalité la tendance générale de la série à parfaitement se montrer moderne sans jamais l’être de façon ostentatoire. Pas de démonstration de force ici, pas d’envie de prouver qu’on est moderne, juste une façon d’employer naturellement des outils. Sherlock Holmes est un homme de notre époque, même si ses goûts en matière de papier peint pourraient nous faire penser le contraire. Et chaque fois que la série emploiera le plus petit bout de technologie, ce sera toujours avec bon sens et mesure.
D’ailleurs la réalisation est impeccable en toutes circonstances. C’est fou ce qu’on arrive à faire avec la bonne équation de talent, de budget et de talent, non ?

Alors forcément, seulement six épisodes comme ça, même un peu longuets (j’ai du mal avec le format 90 minutes, je ne vous le cache pas ; il y a plusieurs raisons pour lesquelles je ne suis pas cinéphile, la durée en est une), ça a quand même un sévère goût de trop peu.

Du coup, au lieu d’être indignée par le projet Elementary, je vous avoue que je n’ai qu’une hâte, c’est voir une autre série se frotter au mythe de Sherlock Holmes. Je ne sais pas si c’est parce que je n’ai pas eu envie d’ériger une statue en l’honneur de Benedict Cumberbatch, ou simplement parce que la nuance d’un Watson au féminin me laisse penser qu’on n’aura pas qu’un simple remake officieux de la série britannique, mais je suis toute disposée à être surprise par cette nouvelle vision du personnage et de ses enquêtes, sans lui faire de procès d’intention.
Hey, après tout, c’est bien ce que vous m’avez poussée à faire avec Sherlock, hein. Et je n’ai pas eu à le regretter une seule seconde.

…En tous cas, pas jusqu’à ce que je me retrouve dans l’épouvantable situation de devoir attendre les prochains épisodes.

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