Le goût des choses simples

10 janvier 2013 à 12:18

Avez-vous déjà pleuré devant un épisode ? Vraiment pleuré, hein ! Mais attention, je ne parle pas de verser une petite larmouchette de tristesse ; non, là je vous parle de la crise de larmes, des sanglots déchirants, ponctués çà et là de quelques gémissements d’agonie…
Quoique, à bien y réfléchir, c’étaient peut-être de bêtes larmes de jalousie.

Ca commençait à faire un petit bout de temps que je m’étais promis de tester le pilote de Kodoku no Gourmet, après avoir découvert l’existence de la série à l’apparition de sa deuxième saison sur TV Tokyo, ayant un peu zappé l’hiver 2012 au Japon. Depuis, l’épisode était resté là, à m’attendre patiemment, alors que s’égrennaient les semaines et que je tentais toutes sortes d’autres choses. Mais plus tôt cette semaine, me disant que j’avais quelques jours de battement d’ici à ce que les premiers sous-titres de la saison nippone débarquent (j’ai eu tort, ceux de Saki sont déjà sortis), je me suis donc attelée à la série culinaire.
D’où les torrents de larmes.

Si vous aviez été à côté de moi pendant le visionnage de ce pilote, vous vous seriez sans doute demandé comment je comprenais quoi que ce soit. Moi-même je ne suis pas bien sûre de comment j’ai fait mon compte, car très franchement, entre mes glapissements de douleur et mes renifflements blessés, l’épisode était à peine audible.
Enfin j’exagère. Parce que, à l’instar de Hana no Zubora Meshi dont (anti-chronologiquement, certes) on a parlé en novembre dernier, un épisode de Kodoku no Gourmet, c’est 80% d’exposition contemplative, et 20% seulement d’estomacs qui gargouillent.

Kodoku no Gourmet a en effet un pitch assez simpliste à son origine, issu du manga éponyme qui a donné vie à la série : un VRP constamment en vadrouille pour ses affaires, amateur de bons petits plats, se retrouve à chaque épisode dans une échoppe différente, et goûte les spécialités de la maison. Il n’y a probablement que les Japonais pour produire une série comme celle-là, au concept épuré… et aux épisodes aussi tranquilles.
Enjeu ? Connais pas. Character development ? Nenni. Histoire ? A peine.
Ainsi, dans le pilote, le héros (Gorou de son prénom) est en route pour présenter un produit à une cliente ; l’épisode va nonchalamment le suivre tandis qu’il se rend à la brasserie tenue par la femme en question, passant par diverses petites rues qu’il admire, puis qu’il tente péniblement de garder les yeux ouverts pendant leur entretien. Vous pensez qu’une fois dans la petite brasserie il va donner son premier coup de fourchette ? Peine perdue. Il ressort de là, trainasse encore dans les rues, décide de flâner dans un temple qu’il croise, visite une petite boutique d’antiquités… quand on connaît le pitch culinaire de la série, ça agace légèrement.

Et c’est sûrement cette sensation de frustration affamée qui nous saisit à la fin de l’épisode, quand bien même moins d’une demi-heure s’est écoulée pour nous, contre toute une journée pour notre VRP (c’est tranquille d’ailleurs, comme profession, j’aurais jamais cru ; j’ai un peu raté ma vocation on dirait…). Quand soudain, oh miracle, Gorou est pris d’une pénible sensation de faim. Mais hors de question de se précipiter dans le premier resto venu, il faut trouver un menu appétissant, un endroit qui inspire, un commerce accueillant… et pendant ce temps, l’estomac crie famine, et le téléphage s’impatiente : « bon, on va manger, oui ou non ?! ».
Si seulement le porno était tourné comme l’est ce food porn

Mais une fois qu’on s’est installés dans un petit boui-boui austère, que la patronne a pris la commande et que la camera se pose, les hostilités peuvent commencer… et croyez-moi, elles ne le font pas à moitié. Ce sera une succession de plats enchanteurs et pourtant si simples (en somme, très japonais) défilant sous toutes les coutures, qui va envahir l’écran, tandis que je commençais à me répandre en larmes. Chaque commande de Gorou est suivie d’un plan langoureux sur le plat qui lui est servi (avec son nom), un peu comme si le spectateur n’avait plus qu’à prendre des notes pour passer commande à son tour (mais j’y reviens). Puis on observe cet enfoiré de Gorou s’empiffrer d’un air ravi. Voilà, Kodoku no Gourmet, c’est ça. A quelques moments, j’avais envie de dire au cameraman : « ok bah puisque t’es là, rapproche-toi, prends un plan en coupe maintenant qu’il a mordu dedans, qu’on voit la cuisson… » mais la réalisation, très posée et minimaliste, se contente simplement de nous faire observer d’un oeil jaloux. Contrairement à l’héroïne de Hana no Zubora Meshi, Gorou va assez peu se répandre en qualificatifs admiratifs et en onomatopées orgasmiques, mais même avec une réalisation sobre, la séquence est atrocement tentante. Le seul petit hic, c’est que je déteste écouter les gens manger, et que, bon, comme c’est souvent le cas au Japon, c’est assez bruyant de ce point de vue-là. Mais le bruit de mes sanglots a fini assez rapidement par couvrir le problème.
Je pensais avoir prévu le coup : ne pas regarder Kodoku no Gourmet, vu son pitch, avec l’estomac vide, semblait tomber sous le sens. Mais quand j’ai vu ma salade composée sous mon nez, alors que ce sadique de Gorou se tape du yakitori à s’en faire péter la panse à l’écran, inutile de préciser que je faisais méchamment la tronche. Leçon apprise pour les prochains épisodes : regarder Kodoku no Gourmet, et abdiquer en commendant directement au resto japonais du coin. A un moment, il faut cesser de lutter.

Je crois que, de ma vie, je n’ai jamais autant pleuré devant un épisode. Et pourtant vous le savez, j’ai une téléphagie très lacrymale. Entre torture et excitation culinaire, Kodoku no Gourmet n’a pas choisi : ce sera les deux, sans modération.

On est loin avec cette série de ce qu’accomplit Shinya Shokudou sur un registre pourtant similaire : ici, la nourriture ne sert pas une histoire ou une exploration des personnages. On est quasiment dans le guide touristique.
Cette impression est renforcée par le dernier segment de l’épisode. Adieu Gorou, place à nulle autre que Masayuki Kusumi, le scénariste du manga d’origine, qui nous invite… dans le même restaurant que celui où vient de dîner son personnage ! Eh oui, dans Kodoku no Gourmet, le concept, c’est qu’on ne parle que de restaurants qui existent vraiment, et c’est ce qui explique que Masayuki va nous emmener au même endroit pour converser avec la vraie patronne (toute contente de sa ressemblance avec l’actrice qui a interprété son rôle quelques minutes plus tôt) et nous donner les véritables prix des plats dégustés par notre héros dans la fiction, à peine quelques minutes plus tôt. Franchement, le guide Michelin devrait envisager de se lancer dans la fiction française, moi je dis qu’il y a un marché à saisir.

Alors au final, non, Kodoku no Gourmet n’est pas la série de l’année, elle revêtrait presque un caractère de publi-reportage (en tous cas on l’en accuserait peut-être si elle visait des restaurants d’importance au lieu d’un petit grill yakitori de quartier) tant son personnage comme son déroulement sont anecdotiques. Mais, grâce aux pensées de Gorou que nous partageons au long de son « périple », grâce à l’atmosphère chaleureuse et conviviale de la petite échoppe qu’il finit par choisir, et évidemment, de par le caractère éminemment contemplatif de la série, tant avant que pendant la dégustation, il émane de la série un petit quelque chose de tendre et presque poétique.

La vie est si simple, quand on y pense. On peut être à la fois très frustrés par ce que mange un personnage de fiction, et profondément apaisé par le caractère serein d’une série qui se satisfait de présenter les petits plaisirs de la vie.
Mais surtout frustré, quand même.

Donc, deux saisons à regarder, hein ? Ca va me coûter un bras en commandes chez Alloresto.

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Et pour ceux qui manquent cruellement de lecture…

1 commentaire

  1. Arakasi dit :

    Je dois être sadique, et j’en suis désolée, mais ton billet m’a beaucoup fait rire…

    Moi qui désespère de l’apparition d’une simple pomme sur mon écran, qui n’aime ni regarder de série sans manger ni manger sans regarder de série, j’imagine tellement bien ta frustration.
    Ceci-dit, tu dois avoir des tendances un peu masochistes aussi, parce que tu aurais du le voir venir gros comme une maison, pour le coup. Bon courage si tu prévois de regarder la suite !

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