Les yeux bleu marine

20 avril 2015 à 10:00

Je suis en général d’une plutôt bonne nature. Quand un drama décide de ne faire que causer, d’adopter un ton lent, de laisser planer le non-dit, d’empiler les secrets, je dis ok, prenez votre temps, on n’est pas aux pièces, je vais me poser là et je vais attendre que ça vienne.
Pour des quantités de séries, politiques ou non, cette stratégie de patience s’avère payante. Pour Blå Ögon (projetée hier soir pendant Séries Mania, sous le titre Blue Eyes), hélas, ça semble assez compromis au vu des deux premiers épisodes. Aujourd’hui, je ne vous parle que du premier, mais sachez que j’ai vraiment tenu aussi longtemps que possible avant de venir vous dire ceci : d’une excellente idée, courageuse et fascinante, peut absolument découler une série ratée. Croyez-moi, je suis la première désolée.

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Les yeux bleus, ce sont ceux, bien-sûr, des « Suédois de souche » qu’on commence de plus en plus à entendre, à plus forte raison à l’approche des élections : ils sont partout, et les intentions de vote grimpent.
Ce sont aussi, plus doux, ceux d’Elin Hammar, une conseillère politique qui, après un dérapage (excédée par une journaliste, elle l’a un peu violentée) a fini par démissionner et s’est reconvertie comme serveuse dans une brasserie chic. Mais son ancien patron, le ministre de la Justice Gunnar Elvestad, vient la trouver pour lui proposer de redevenir sa cheffe de cabinet. Qu’est-il arrivé à la précédente ? Elle a mystérieusement pris un congé maladie à quelques semaines du scrutin, un choix soudain sur lequel il n’a pas le temps de s’appesantir. Elin finit par accepter de reprendre du service dans un cabinet ministériel… où elle est à la fois une habituée, et une outsider qui pose un regard neuf sur certains évènements.

Série suédoise. Cabinet ministériel. Discussion sur la montée des extrémismes. Comment Blå Ögon a-t-elle pu se planter autant, alors qu’elle avait tout pour être brillante (et tout pour être ma préférée de tout l’univers) ?

Eh bien, quand on revoit l’action au ralenti (pardon, je sortais de la séance de Spitsbroers), c’est finalement assez évident.
D’abord parce que les premières images de Blå Ögon sont totalement muettes. Elles devraient faire planer le suspense, mais comme on ne sait pas qui est qui, qui parle de quoi, et même où on est, eh bien l’effet de mystère passe totalement au-dessus de la tête du spectateur. Pourquoi Sarah Farzin a-t-elle été écartée de… d’un truc, on sait pas quoi, par… un type, on sait pas qui ? Zéro idée. Et si quelques secondes plus tard, Blå Ögon sous-entend lourdement que Sarah est passée de vie à trépas, on n’a aucune idée de pourquoi. Est-ce qu’on est supposés s’inquiéter ? Et si oui, de qui ?
Impossible d’en décider avant de longues minutes. Blå Ögon va occulter cet ingrédient pendant toute une série d’introductions à une palette de personnages dont on ne comprend pas le lien avec cette pauvre Sarah, qu’on est à moitié en train d’oublier (l’autre moitié n’est pas certaine de s’intéresser à son sort).

Il y a Olle Nordlöf, la tête de proue du Trygghetspartiet (« Parti de la Sécurité »), qui a un discours puant auquel il a l’air de croire avec toute la candeur du monde ; il y a Annika Nilsson, une élue locale qui a décidé de participer à la campagne auprès du Trygghetspartiet parce qu’aucun autre parti ne lui a donné satisfaction ces 20 dernières années ; il y a encore Gunnar Elvestad, notre ministre de la Justice dont les rapports amicaux et l’honnêteté forcée n’inspire pas confiance, paradoxalement, surtout qu’il est à deux doigts de perdre son influence au sein du Gouvernement.
Elin se fait finalement recruter et apprend, en fin de compte, qu’elle remplacerait Sarah ; pendant tout ce temps, on n’a pas avancé d’un pouce.

C’est qu’en fait, Blå Ögon n’a aucune intention de se pencher rapidement sur ce qui est essentiellement un prétexte. Pire, en fin d’épisode, elle introduira une tragédie pour un personnage qu’on a réellement appris à connaître, dont on connaît des proches, et au contexte plein de possibilités, ce qui rend ce drame beaucoup plus intéressant pour le spectateur. A ce stade, Sarah pourrit sur une page raturée du scénario et tout le monde l’enjambe pour passer aux scènes suivantes.

Dans tout cela, beaucoup de vide. Des introductions maladroites, ou longues, ou répétitives. Blå Ögon a un vrai mérite, cependant : dépeindre la banalisation du discours d’extrême-droite et la façon dont il s’insinue dans le quotidien de personnes a priori « gentilles », à cause de la fatigue sociale et de la situation économique. Faites-vous une carte à bingo : c’est comme si Blå Ögon avait décortiqué les éléments de langage des partis extrémistes de toute l’Europe et en avait gardé le meilleur : le pays va devenir musulman, marre de s’excuser d’être Suédois, ni la gauche ni la droite ne font rien pour le pays, tous pourris (sauf le Trygghetspartiet), et ainsi de suite.
Au discours bien rodé viennent cependant s’ajouter des pratiques pas très très propres, mais cela n’empêche absolument pas le Trygghetspartiet de progresser dans les sondages.
Hélas, le souci que j’ai eu, c’est qu’au-delà de cette démonstration édifiante (oui, les scénaristes ont lu ou regardé des discours politiques), Blå Ögon manque de propos. Se contentant de régurgiter la rhétorique d’extrême-droite, la série nous dit que ces gens sont douteux, ou dangereux, et toutes les nuances au milieu. Mais ce qui m’aurait vraiment intéressée, ç’aurait été que la série prenne à bras le corps ce sujet et montre ses personnages supposément « gentils » défaire ces argumentaires, au moins en partie, au moins en privé. C’était finalement assez dérangeant de voir les membres du Trygghetspartiet (et certains sympathisants) sortir des ignominies sans jamais entendre le discours contraire. Pour tout dire, Elin nous est présentée comme la force positive de la série (elle fait preuve de compassion suite à un drame, s’intéresse au sort de Sarah alors que même les scénaristes n’en ont rien à péter, ainsi de suite), mais on n’a aucune idée de ses positions politiques. Pour autant qu’on sache, elle pourrait elle aussi penser que « quand le radeau est en surcharge, on ne tend pas la main », et que l’immigration est la gangrène du pays. Dans Blå Ögon, personne à part la droite extrême ne semble avoir de programme politique, de conviction, de vision de la société. Je vous concède que c’est souvent le cas dans la réalité aussi, mais dans la réalité, je n’ai pas besoin d’écouter des racistes s’époumoner pour connaître la suite de l’histoire. Disons que j’aime à croire que la suite de l’Histoire n’en dépend pas, en tous cas.

Alors aux problèmes de forme, s’ajoute quand même ce gros problème de fond. En bâtissant un thriller politique froid, Blå Ögon peine à convaincre. Et je suis polie. On n’y trouve pas grand’chose à se mettre sous la dent niveau réflexion, une fois passé le constat de départ (« ah oui, c’est bien ça, ce sont de gros racistes »), et même dramatiquement, c’est pas Byzance.
Peut-être que Blå Ögon est l’une de ces séries où, promis, après ça s’améliore. Mais quand au bout de 2 épisodes on n’en perçoit même pas le potentiel, autant rendre les armes. Dommage, yavait du beau linge dans cette série : Kjell Wilhelmsen de 30° i Februari, Louise Peterhoff d’Äkta Människor, et plus tard Adam Lundgren de Torka Aldrig Tårar Utan Handskar… Je voulais vraiment l’aimer, cette série.

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Et pour ceux qui manquent cruellement de lecture…

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