Maintenant ou jamais

6 octobre 2015 à 21:03

Quand on est ado, quitter la vie qu’on a toujours connue pour aller tenter sa chance dans « la grande ville », c’est forcément un saut dans l’inconnu, et des bouleversements en pagaille. Mais imaginez ce que c’est pour des adolescents aborigènes…
Avec Ready For This, c’est la toute première fois qu’en Australie, une série pour ados s’intéresse à des personnages aborigènes ; mais, j’ai eu l’occasion de vous le dire il y a quelques mois, la télévision australienne est, maintenant plus que jamais, prête pour ces « nouveaux » portraits. Après les dramas plutôt réservés aux adultes comme Redfern Now, et les comédies également destinées à un public plus âgé telles que 8MMM, la chaîne pour la jeunesse ABC3 lançait Ready For This, dédiée à un public plus jeune. On y retrouve des éléments classiques des teen dramas, mais sans jamais oublier les éléments culturels propres à ses personnages.
En fait, dans un pays qui a une longue tradition de séries pour la jeunesse, il est ahurissant qu’on ait attendu 2015 pour avoir une première série adolescente avec un cast essentiellement non-blanc (un seul acteur blanc au générique), mais enfin, maintenant c’est fait. Et c’est plutôt bien fait.

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A l’instar de Dance Academy, les jeunes de Ready For This se retrouvent ensemble de par leur passion : ils vivent en effet dans une sorte de maison-relai, Arcadia House, qui les accueille à Sydney le temps de leurs études loin de chez eux. Ils sont donc avant tout là parce qu’ils ont une passion, voire de l’ambition pour certains, et en tous cas dans l’idée de se préparer un avenir qui se paie en sueur. L’originalité essentielle de Ready For This sur ce point est que tous ne partagent pas la même passion, en revanche. Certains se dédient au sport (Zoe court, Levi joue au foot) et d’autres à la musique (Ava est chanteuse, Dylan est violoniste). Pour tous, c’est en tous cas un moment charnière consacré à l’amélioration de ses compétences. Pour Lily, les choses sont un peu différentes car c’est aussi la mission de la dernière chance après une énième arrestation ; elle n’a rien d’autre que les problèmes dans sa vie. Elle rencontrera au lycée un camarade (blanc) du nom de Reece, qui lui se dédie au dessin, et qui peut-être lui offrira une piste d’évolution.
Malgré cette multiplicité de profils, Ready For This est très conventionnelle dans ses intrigues : Ava est trop timide pour chanter en public, Zoe essaye de battre la meilleure athlète du lycée, Dylan aurait préféré étudier les musiques électroniques plutôt que le violon, ce genre de choses. On ne peut pas dire que ces intrigues soient nouvelles à proprement parler, ce qui est nouveau c’est que des personnages non-blancs y aient droit dans une série pour la jeunesse australienne (l’un des rares autres exemples récent est Andy de Nowhere Boys, qui est asiatique).

L’apport considérable de Ready For This au genre réside précisément dans tout le reste. D’abord parce que chacun vient à Sydney avec sa langue (et donc son accent), ses traditions, ses croyances, qui ont assez peu de place dans cette grande ville « blanche » ; le décalage vécu est donc d’autant plus grand qu’ils vivent un véritable décalage culturel. Et puis surtout, parce que les jeunes personnages de Ready For This se trouvent confrontés, à leur façon, à diverses expressions du racisme ; ou en tous cas sont sur leurs gardes et s’apprêtent à les vivre, et c’est hyper intéressant.
Ainsi à son arrivée, Zoe se sent en décalage avec le reste de l’équipe féminine d’athlétisme. Vestimentairement, elle n’arrive pas à entrer dans le moule ; elle ressent cruellement l’épaisseur de son accent ; elle est parfaitement consciente de la couleur de sa peau à côté de ses camarades. Personne ne va lui faire de remarque raciste, mais elle, elle a en revanche totalement absorbé ces différences comme étant des désavantages. Dans une scène fugace, mais poignante, elle va confesser à Ava combien elle se sent en marge du groupe. Ready For This pose ces inquiétudes de façon bienveillante, pas anxiogènes pour le spectateur aborigène : l’essentiel se passe dans la tête de Zoe, elle n’a pas à faire l’expérience d’action ou paroles violentes à son égard. Mais la série s’attarde sur ces questions car c’est un facteur de la réussite future de Zoe : ne pas se miner elle-même à cause du racisme qu’elle a intégré ; c’est finement joué et plus que pertinent, d’autant que la question n’est presque jamais abordée par les séries s’inquiétant des questions raciales.
Bien qu’appelant ses personnages à se détacher de cette impression de toujours être « l’Aborigène du groupe », mais qui n’y appartient jamais vraiment, Ready For This délivre aussi, à la fin de son pilote à durée double, un rappel que cela ne signifie pas se détacher de son identité. Ainsi, l’horrible « fantôme » qui hante les murs d’Arcadia House sera-t-il exproprié à l’aide de fumigations traditionnelles, conduites par la maîtresse de maison, Vee (incarnée par Christine Anu que je n’avais pas vue depuis son excellent rôle de geek-lesbienne-handicapée d’Outland).
Chacun des jeunes personnages est ainsi appelé à s’accepter, à apprécier les bons côtés de sa culture, et en tirer de la force pour affronter l’adolescence, déjà pas simple en général et encore plus dans ce cas particulier.

Dans son genre, Ready For This n’a pas l’air révolutionnaire, mais elle fait le boulot, et avec honnêteté. Ses personnages n’y vivent pas le conte de fées à la Dance Academy, le ton s’y veut plus réaliste, plus centré sur l’effort et le dépassement de soi. Même les montages ou les séquences musicales (et elles sont rares) ne sont pas mis en scène pour donner dans l’escapisme, mais au contraire pour mesurer les progrès des personnages et/ou leur motivation. Les tribulations de ses jeunes héros ont quelque chose d’universel grâce à l’ambiance du sport ou de la musique, mais leurs préoccupations sont aussi ancrées dans une réalité jusque là absente des séries dédiées à cette cible. Et dans la droite ligne de sa volonté de ne rien simplifier, il est intéressant de souligner que Ready For This est diffusée sur ABC3 sans le moindre sous-titre quand les personnages échangent quelques phrases en langue aborigène.
Tout cela fait une fiction pour la jeunesse très intéressante, quand bien même je ne suis pas la première concernée… Si vous avez quarante minutes à tuer, ça peut valoir le coup d’œil.

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Et pour ceux qui manquent cruellement de lecture…

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