Scandinavie romande

20 janvier 2016 à 15:47

Les séries scandinaves ont le vent en poupe, et ce n’est un secret pour personne. Mais en Europe, l’idée fait son chemin que, peut-être, il est possible de faire de bonnes séries en prenant exemple sur la success story nordique. Parmi les télévisions essayant de devenir scandinaves par adoption, on trouve dorénavant la Suisse. Plus intéressant : la Suisse romande.
Si l’inspiration est évidente, en regardant le premier épisode d’Anomalia, on a la démonstration que oui, on peut aller piocher des idées là où il n’en manque pas… tout en produisant quelque chose d’unique, et ancré dans la culture locale. Sacré pari.

Anomalia s’intéresse à Valérie Rossier, une jeune femme qui revient dans son patelin natal de Gruyère avec son jeune fils. Son objectif : s’installer dans la maison de famille, laissée à l’abandon ces dernières années, pour vivre près d’un poste prestigieux qu’elle a accepté à la clinique Le Rosaire. Cette neurochirurgienne de talent est en effet l’une des rares à savoir manipuler un robot permettant des opérations à la pointe de la modernité. Mais tout n’est pas aussi scientifique dans la nouvelle vie de Valérie. Outre les mythes et légendes entourant son village (on dit qu’une sorcière a été noyée dans la source d’eau toute proche, qui s’est aussitôt tarie), elle commence à être sujette à d’étranges phénomènes qui sèment la confusion dans son univers si rationnel.
Ces ombres, ces visages, et ces gens qu’elle croise et qui semble n’exister qu’à ses yeux, qui sont-ils ? Comment concilier l’inexplicable avec son métier rigoureux de médecin ? Est-il possible que ces deux mondes aient des points communs ?

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D’emblée, Anomalia affirme son identité forte avec son premier épisode. Parce que j’avais assisté l’été dernier, à la séance Ça tourne de Série Series, j’avais déjà quelques éléments sur la série ; je savais notamment qu’il y serait question de pouvoirs de guérisseurs (une « tradition vivante » très officielle en Suisse), ainsi que quelques autres petites choses qu’il serait dommage de vous révéler si vous voulez garder la surprise. Je m’attendais à ce que tous ces éléments soient révélés avant la fin de l’épisode introductif, que Valérie comprenne au moins vaguement ce qui lui arrive. L’opposition entre « médecine » traditionnelle et médecine moderne serait le noyau de la progression de la série au-delà.
Mais au terme du visionnage du premier épisode d’Anomalia, il faut qu’une chose soit claire : on n’est pas dans une série procédurale, ici. C’est sous l’angle d’un véritable mystère que la série se présente, avec un fil rouge à lentement dénouer. On peut imaginer comment certaines chose peuvent évoluer (notamment sur la question de l’amitié que Lucas noue avec un jeune garçon à la clinique), mais globalement Anomalia se donne beaucoup de mal pour se refuser à donner des réponses trop rapidement, et c’est tout à son honneur.

Cela implique qu’en-dehors de l’exposition, une énorme partie de son travail repose sur la création d’une ambiance. Et de ce point de vue là, le travail réalisé par Anomalia est impeccable ! La série est logée dans les montagnes de la Gruyère, dans un village enseveli sous la neige ; c’est donc initialement très, très blanc. A l’inverse, beaucoup de scènes en intérieur sont conçues pour introduire des jets de couleurs pop art, grâce à la fois à du mobilier coloré, mais aussi de par l’utilisation décomplexée de néons vifs. Cela accentue le contraste entre la modernité de la clinique Le Rosaire (ou dans une moindre mesure, de la maison des Rossier), et les extérieurs blancs et naturels. Le choix est d’autant plus courageux que la plupart du temps, ce sont les mondes hospitaliers, a fortiori s’ils ont très modernes, que l’on présente en blanc. L’inversion des codes esthétiques du genre fonctionne ici parfaitement ; de surcroit, les espaces abandonnés et moins colorés de ces espaces habités, eux, servent de transition entre les deux mondes ; on y trouve du bois, de la pierre, des vitraux, c’est très efficace.
Alors d’accord, ce n’est pas forcément ce qu’il y a de plus subtil sur un plan symbolique, mais ça marche, et pas qu’un peu ! Franchement c’est un régal pour les yeux de voir tout ce travail, et d’assister à la façon dont les choix esthétiques de la série anticipent sur ses choix narratifs. Au passage, à l’exception d’Äkta Människor, peu de séries scandinaves vont aussi loin dans l’utilisation de la couleur, et notamment de la couleur vive (je ne parle donc pas des tons verdâtres de Jordskott), quand bien même elles maîtrisent les décors naturels froids et hostiles. De ce côté-là, l’élève a sans nul doute dépassé le maître.

Le seul vrai bémol d’Anomalia à ce stade, et je suis au regret d’avouer qu’il n’est pas des moindres, tient dans ses dialogues et leur délivrance.
Les personnages parlent souvent sans signifier grand’chose : l’échange le plus évident est celui entre Valérie et Lucas dans la voiture, au début de l’épisode ; il remplit uniquement une fonction d’exposition, mais ne nous dit rien sur ses personnages et leur personnalité. De la même façon, beaucoup de discussions tombent à plat faute d’être écrites pour être vivantes ; c’est un travers qu’Anomalia a en commun avec de nombreuses séries françaises (les séries québécoises ne me semblent pas être touchées par l’épidémie, par exemple, ce n’est donc pas une question linguistique ; l’an dernier, Station Horizon ne me semblait pas non plus en être victime). Le travail des acteurs est donc prémâché au point qu’ils n’ont plus qu’à répéter leurs répliques, et cela laisse peu de place à une énergie personnelle. Tout est premier degré, et il n’y a pas de place pour le langage non-verbal (quand Valérie n’aime pas quelque chose, elle dit « je n’aime pas ça », parce que le scénario ne pense pas que le regard noir qu’elle a lancé plus tôt suffise). Bref : c’est trop écrit, ça manque de vie. C’est très dommage.
Une série autrement réussie comme Anomalia aurait dû avoir autant de latitude pour travailler là-dessus, que sur son fil rouge ou ses décors. Plusieurs fois, j’ai ainsi été tirée hors de l’ambiance de la série, par de bêtes questions relevant des dialogues et de la direction d’acteurs (et qui sont indubitablement liées), et qui semblent être une raison vraiment idiote de se sortir d’une rêverie suisse comme celle-ci. Anomalia mérite que ces anomalies soient corrigées ; les spectateurs aussi.

Une fois ceci fait, on pourrait bien tenir l’une des séries scandinaves les plus fascinantes du moment. Et à l’heure actuelle, soyons clairs : c’est peut-être géographiquement inexact, mais ça reste un fichu compliment.

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Et pour ceux qui manquent cruellement de lecture…

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