Instinct de survie

30 janvier 2016 à 17:02

Il m’arrive de commencer des reviews et de ne pas les publier, parce que leur caractère inachevé (et, généralement, une nouvelle obsession téléphagique ayant pris le pas sur leur finition) m’en empêche. Vous n’imaginez pas le nombre de séries qui sont dans cette situation, réduites à jamais à l’état de brouillon. Parce que soyons réalistes, ces reviews ne seront jamais finies, et jamais lues.
Mais une fois de temps en temps, une exception se produit. Soit parce que je produis un effort (fin 2015, en vue de la publication de mon bilan, j’ai ainsi essayé de finir quelques uns de mes brouillons), soit parce que quelque chose me motive à nouveau. Dans le cas de The 100, c’est une conversation nocturne avec Delphine, hier soir, qui m’a communiqué le feu sacré nécessaire à achever ma review de la… première saison de la série. Pour la seconde, on verra au prochain miracle.

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Le fantastique a toujours eu les faveurs de la fiction pour la jeunesse ; la science-fiction, elle, a généralement moins de chance. Des séries pour pré-ados et/ou ados mettant en scène des vampires, des sorcières, des loup-garous, et autres créatures de cauchemar, ce n’est pas ça qui manque. Mais l’anticipation, le post-apocalyptique, et le space opera ? On n’en trouve franchement pas tant que ça, et moins encore du côté des séries qui survivent à leur première saison (ceci est la seule référence que je ferai à Star-Crossed et The Tomorrow People pour le reste de mon existence). Dans ce panorama, The 100 apparaît donc comme une exception précieuse.

Et la série tient ses promesses, en plus ! Sans jamais totalement renier son orientation adolescente (en témoignent les nombreuses amourettes, qui se font et se défont en quelques heures, quelques jours au mieux, pendant cette première saison), The 100 met en place les ingrédients fondateurs d’un survival drama puissant, exploitant parfaitement son contexte futuriste. Qui est le suivant.
97 ans après avoir fui la Terre, l’Humanité ne va pas très fort : un peu moins de 3000 humains vivent dans l’Ark (une arche, donc, mais comme je regarde en VO, ce sera le terme que j’utiliserai mes reviews) flottant dans l’espace, survivant avec des ressources limitées et dans une structure vieillissante. Ils sont les seuls survivants d’une guerre atomique qui a ravagé leur planète et l’a rendue inhabitable pour au moins un siècle encore. Pour toutes ces raisons, les lois sur l’Ark sont très sévères : toute personne ayant commis un crime, mais aussi un délit, est immédiatement expédiée dans l’espace, c’est-à-dire exécutée. Cette sanction, cependant, ne s’applique qu’aux majeurs de plus de 18 ans, et pour cette raison l’Ark possède également une prison, où sont retenus les jeunes délinquants en attendant qu’ils aient atteint l’âge légal d’être passés par-dessus bord.
La prison de l’Ark compte précisément une centaine d’adolescents lorsque le Chancelier Jaha, qui dirige l’Ark à ce moment-là, décide de les envoyer à bord d’une petite navette… vers la Terre. Ces 100 cobayes humains n’ont qu’une mission : survivre. Jaha a en effet urgemment besoin de vérifier si la Terre est par hasard habitable plus tôt qu’anticipé, car les ressources de l’Ark, mal évaluées, condamnent la totalité de la population à s’éteindre d’ici quelques mois ! L’Humanité a donc urgemment besoin d’un plan B.

Ce que The 100 réussit avec ce sujet de départ n’est pas anodin : la série fait partie des rares en son genre à se créer un univers strictement peuplé d’adolescents (un idéal pour beaucoup de teen dramas !), tout en ayant une justification mythologique de la situation. Il ne s’agit donc pas simplement de faire comme si les adultes n’existaient pas : il y a une véritable raison pour laquelle ils ne sont pas dans le coin (et leur absence physique n’empêche absolument pas la série de continuer à explorer comment ces adultes vivent la situation ensuite, d’ailleurs). La raison de leur absence, en plus, est la source d’un profond conflit de générations, que The 100 va passer une bonne partie de la saison à expliciter, tout en continuant d’approfondir la société adolescente arrivée sur Terre en s’inspirant profondément de Sa Majesté des Mouches.
Le futur dépeint dans la série sont ainsi totalement dénué de gratuité, et joue le rôle dévolu à toute série de science-fiction digne de ce nom : utiliser des éléments imaginaires comme outils pour développer des métaphores importantes. Dans The 100, la nouvelle génération paye les décisions de précédentes, et doit apprendre à survivre dans un monde transformé par les erreurs de ses ancêtres (que ces erreurs concernent leur mauvaise gestion des ressources ou des décisions éthiquement critiquables). Car oui, ok, admettons : la Terre est habitable, au sens où les radiations ne condamnent plus l’existence des humains ; mais dans les faits, rester en vie sur le sol est défi de chaque minute. Tous criminels qu’ils soient (et leurs crimes ne sont pas nécessairement violents, d’ailleurs), les adolescents de The 100 ne sont pas équipés pour faire face à ce qui les attend : une nature hostile, des vivres inexistantes, et même… des autochtones. Quelques humains ont en fait, par surprise, survécu à la guerre nucléaire ; surnommés les « Grounders » (les Natifs en VF) par les nouveaux arrivants, ils se montrent rapidement agressifs. Mais là encore, The 100 se refuse à des explications simplistes : si les Grounders se montrent violents, c’est parce qu’ils se sont sentis attaqués par les agissements des 100, lesquels sont perçus comme des intrus potentiellement dangereux.

La survie de la centaine d’adolescents débarqués sur Terre dépend donc de facteurs multiples. Il leur faut développer des techniques de subsistance auxquelles ils ne sont pas habitués (ils ont après tout grandi dans l’espace, sur une station orbitale où le rationnement était institutionnalisé ; ils n’ont jamais vu d’étendue d’eau de leur vie ; il n’ont jamais chassé d’animal, etc.), mais aussi surmonter les tensions à l’intérieur du groupe, tout en s’organisant pour résister aux attaques des Grounders. Par paliers, la saison va donc accumuler ces menaces, prenant à chaque fois le temps de détailler le processus de décision des 100.

Pour ce faire, The 100, qui décidément ne renâcle pas devant la tâche, n’hésite pas à poser des questions éthiques.
Il y a, bien-sûr, la question de savoir si les adultes de l’Ark (le chancelier Thelonious Jaha en tête, mais aussi le conseiller Marcus Kane, ou encore la conseillère et médecin Abby Griffin) ont pris la bonne décision en envoyant sur Terre les criminels mineurs de ses prisons ; comment assumer la décision prise par la suite ? Quels choix faire lorsque, les instruments de bord ayant pour l’essentiel été détruits dans le crash de la capsule des 100, il n’est pas possible de savoir si la Terre est habitable et donc l’Humanité a une chance de survie ? A quel point les sacrifices d’une minorité sont-ils acceptables pour la survie du plus grand nombre ? The 100 pose la question à la fois du point de vue des décisionnaires, et de ceux dont la vie est engagée par ces décisions, questionnant de surcroît, à plusieurs reprises, certains privilèges de classe, qui déterminent qui survit et qui prend les risques.
Mais The 100 interroge aussi les choix faits dans l’urgence, par ses personnages adolescents eux-mêmes, une fois sur Terre. Survivre, oui, mais à quel prix ? Pendant l’essentiel de la saison, ils sont coupés des adultes et doivent donc à leur tour prendre des décisions difficiles. Et puis d’ailleurs, qui pour les prendre, ces décisions ?

Dans ce chaos, formidablement retranscrit, où la colère et la peur l’emportent souvent, le profile de Clarke Griffin va émerger. Faisant preuve de rigueur, d’esprit analytique et d’un grand sang-froid, Clarke est vite celle vers laquelle il faut se tourner pour avancer. Ce qui ne veut pas dire que tout le monde se tourne vers elle : Bellamy Blake, qui a commis un crime uniquement pour pouvoir faire partie de l’expédition sur Terre (sa sœur fait partie des 100), devient vite un chef de meute charismatique, mais aux tendances anarchiques. Une position tentante pour un groupe d’adolescents ex-taulards furieux d’avoir été utilisé comme cobaye, forcément. Qui pour prendre la tête des 100 ? Eh bien la série trouve le moyen de poser la question sans montrer des luttes de pouvoir mesquines ; dans The 100, l’ambition est totalement absente de la personnalité de ses protagonistes. Chaque héros souhaitant se positionner comme l’arbitre des décisions de survie le fait essentiellement par volonté de faire ce qui est à la fois juste et nécessaire (ils ont juste tous une conception légèrement différente de ce qui est juste et nécessaire). Chacun des questionnements induits par cette position individuelle est nourri par une philosophie personnelle ; c’est d’ailleurs aussi bien vrai sur l’Ark (Jaha, Kane et Dr Griffin tenant chacun une position éthique différente), que sur Terre entre Clarke et Bellamy.
Mais si vous pensiez que The 100 allait jouer sur cette opposition entre Clarke et Bellamy pendant toute la saison, vous n’avez pas encore compris à quelle série on a ici affaire. Après avoir illustré deux visions opposées de la survie sur Terre, les deux personnages finissent par apprendre à s’entendre, et se découvrent profondément complémentaires. Ensemble, ils deviennent en quelque sorte les co-chefs du groupe, et même si la prise de décision ne s’en trouve pas simplifiée (The 100 tient bien trop à explorer la façon dont sont prises les décisions en question), elle est en tous cas nettoyée de tout conflit inutile qui rendrait chaque situation répétitive. Là où au début de la saison, Clarke et Bellamy proposaient deux solutions contraires, progressivement ils permettent, par leur concertation, de couvrir les arrières du groupe tout en allant de l’avant. A la fin de cette saison, The 100 a donc mis en place une stratégie de survie quasi-inédite, dans laquelle les tensions internes sont expurgées afin de pouvoir continuer d’introduire de nouveaux défis, plutôt qu’empêcher la résolution de ceux existant.

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L’autre avantage c’est que cette co-gestion du groupe des 100, sur Terre, permet à l’un des plus incroyables personnages féminins de teen drama d’émerger.
Clarke est la fille d’un médecin et d’un ingénieur, une femme intelligente mais dont les connaissances abstraites pourraient sembler en décalage avec l’urgence de la situation au sol. Il serait si facile de cantonner Clarke au rôle de la « voix de la raison », celle qui aide à prendre les décisions sensées mais laisse d’autres entités les exécuter. Il serait si facile de faire en sorte qu’elle assume uniquement la fonction support du médecin qui tente de réparer les pots cassés après que Bellamy ait pris des risques.
Sauf que non : les décisions difficiles, elle en prend elle-même. Les risques, elle les calcule, et si elle se trompe elle assume. Et il lui sera à plusieurs reprises offert l’opportunité d’entrer dans le feu de l’action elle-même, de devoir tuer ou même de punir, et elle ne refusera jamais cette responsabilité. Les aptitudes de leadership de Clarke sont réelles (elle n’est pas cheffe parce qu’elle est l’héroïne : elle est l’héroïne parce qu’elle a les qualités pour être cheffe). Si elle les partage avec Bellamy à mesure qu’avance la saison, ce n’est pas par défaut, mais parce que justement elle a une vision claire de ce qui est nécessaire ou non, et qu’elle est toujours en première ligne pour mettre en pratique ses propres décisions (on verra que ce trait de caractère est également celui du chancelier Jaha, bien que dans son cas le sentiment de culpabilité soit également un facteur). Et ce qui est nécessaire, souvent, en matière de survie, c’est de s’unir plutôt que de lutter pour conserver le pouvoir à tout prix.

Pour toutes ces raisons, The 100 est une série qui travaille énormément ses aspects philosophiques. Mais n’est jamais dénuée d’action : à l’image de son personnage central, la série ménage un temps pour chaque chose. La saison s’achève d’ailleurs sur une immense bataille comme, franchement, peu de séries en proposent ; mais le plus important est sûrement que ses excellentes scènes de combats, individuels ou de groupe, sont toujours pensées comme un tribut à payer. Chaque lutte a un objet, des raisons profondes, et… un prix. Et The 100 prouve à plusieurs reprises qu’elle est prête à faire payer ce prix douloureux à ses personnages, en fait, elle brille particulièrement dans ces moments.

Par certains égards, The 100 me rappelle des séries comme Falling Skies, où la survie d’un groupe « civil » est déterminée par les décisions d’un plus petit groupe en position de leader, qui doivent à la fois faire des choix difficiles et prendre les armes pour assumer ces choix ; pas juste arbitrer depuis une tour d’ivoire (ou un Ark de métal, en l’occurrence). The 100 emprunte ainsi volontiers au militaire, tout en exploitant ses angles survivalistes (y compris en détaillant comment l’Ark a survécu près d’un siècle dans l’espace). Le mélange ne peut que me ravir. Mais à bien des égards, The 100 fait des choix plus difficiles que la série de science-fiction militaire avec Noah Wyle ; elle interroge bien plus les répercussions des choix, ainsi que la cruauté d’un univers hostile où il serait si tentant d’abandonner tout repère moral.

En fait, quand je regarde The 100, j’ai envie de donner un coup de coude complice à la ladyteruki d’il y a 20 ans. Je pense, non : je sais, que j’aurais adoré dévorer cette série à l’adolescence, qui était l’époque pendant laquelle je regardais une autre série assez cruelle et sombre, SPACE 2063. C’était le genre de série dont j’avais besoin pour illustrer certaines de mes angoisses, et certains de mes propres combats (un peu sur le même mode métaphorique que, quelques années plus tard, Rude Awakening).
Bien-sûr, en tant qu’adulte, ses outils ne me sont pas tous nécessaires ; mais The 100 met en place suffisamment de choses, chacune riche à sa façon, pour que je ne la regarde pas que par « nostalgie rétroactive », c’est-à-dire simplement parce que je l’aurais aimée jadis. Si je l’aime aujourd’hui (et certes, c’est un peu parce qu’elle s’inscrit dans un univers télévisuel qui me correspond depuis longtemps), c’est surtout parce qu’elle est intelligente, douloureuse et ambitieuse. Elle ne recule pas devant les défis qui se posent à elle, et propose des profils impressionnants de personnages qui, dans le sillage de Clarke qui en est l’exemple le plus criant, font des choix complexes. Un peu comme son scénario, quoi.
Pas plus que ses protagonistes, The 100 ne refuse de se salir les mains. Elle ne promet pas de happy end, mais bien d’examiner ce qu’il coûte de survivre. Elle transcende ainsi le genre adolescent, où pourtant elle a entièrement sa place ; c’est simplement une excellente série de science-fiction. C’est aussi, accessoirement, un teen show. Cela n’a rien de contradictoire, et la façon dont The 100 compose avec les impératifs des deux genres aboutit à un résultat extrêmement fin et passionnant. On n’a pas tous les jours l’occasion d’avoir ça sous les yeux.

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Et pour ceux qui manquent cruellement de lecture…

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